Au-delà d'un humour
bienfaisant, ce livre est un cri aux frontières de notre humanité qui est
parfois (souvent) décrite de manière monstrueuse dans l'Ancien Testament.
Ces pages peuvent générer
une certaine remise en question de nos croyances toutes faites car la
très sainte Bible, socle de notre
civilisation judéo- chrétienne, est censée être belle, rassurante...
Or, en réalité, les textes
d'avant le Christ sont souvent (mais pas toujours) une accumulation
d’horreurs : à Sodome et Gomorrhe
pas un seul juste, tous les habitants furent brûlés vifs : préfiguration
d’Hiroshima. Et Luezior d'ajouter : et
les enfants / et les bébés ? Somme de crimes,
d’holocaustes : l’invasion de Canaan, la
destruction et le carnage à Jéricho (aux cours d'instruction religieuse,
l'histoire des trompettes nous
avait pourtant été décrite de manière si candide !)
Barbarie : Vous avez laissé la vie à toutes ces
femelles ! Maintenant tuez tout enfant mâle, tuez aussi toute femme
ayant partagé la couche d’un homme. Et pourtant il est maintes fois
répété que Yahvé est bon...
Somme d’incestes, de
trahisons, d'ostracismes, d'anathèmes.
Pour ce qui de la forme du
présent livre, on retrouve toujours le style ciselé de l’auteur qui est
un nautonier du mot. Luezior a cette langue rigoureuse, celle qui rend si
proche de ce gris argent du matin, cher
à L.R. des Forêts.
Quant au fond, il faut
souligner la somme de citations, de recherches, de minutie que représente
un tel ouvrage, travail de chartreux, mots rédigés à travers les
tourments de l’ombre, respirations profondes.
L’auteur débarrasse les
textes anciens de leur gangue pour en faire ressortir l’effroyable.
Paradoxalement il sait malgré tout atténuer une partie de leur noirceur
par son humour, par des réflexions inattendues : remarques burlesques,
surtout en ce qui concerne la Genèse
: Le sage Noé, charpentier amateur de son état, était tout à la fois
zoologue et botaniste. Dans son arche, véritable cage à poulets, il
enferma quelques millions d’espèces ! (...) Les baleines furent dispensées de
figurer dans cette histoire pour raison de corpulence et les sardines
ironisèrent sur le manque de place dans la boîte à Noé.
Autre sourire, après la
faillite de la tour de Babel : Grammairien
dans l’âme, le bon Yahvé fit de sorte qu’ils n’entendent plus le
langage les uns des autres : désespoir des potaches du monde entier.
Disparités scripturales
évidentes lorsqu'apparaît soudain un puissant hymne à l’amour dans le Cantique des Cantiques : Tes deux
seins sont comme deux faons, jumeaux d’une gazelle. Et Luezior de
commenter : de quoi faire
convulser une bonne douzaine de pères de l’Église, non ? Par
ailleurs, l’auteur ne peut
s’empêcher de poser une question intéressante : combien de livres bibliques ont-ils été écrits par des femmes ?
La vie se nourrit
d’interrogations. L'auteur de ce livre précise que les exégètes démêlent
le vrai du faux, la fable de la réalité, le symbolique du révélé. L'Ancien Testament est peint dans une
plume trempée dans le Nil, le Tigre, l’Euphrate, le Jourdain, où l'on
perçoit un Yahvé manichéen, cruel
et jaloux : nous a-t-il fait à son image où l’avons-nous plutôt fait à la
nôtre ?
Il est impossible de ne
pas souligner les similitudes entre l’Ancien Testament et notre monde
actuel où se perpétuent des conflits au nom d’un Dieu unique sensé être
l’alpha et l’oméga de l’humanité.
Et Luezior de conclure : ce qui est rassurant, c’est la
présence, dans le Nouveau Testament, d’un rebelle d’un nouveau genre,
incarnation du pardon, et de l’amour : le Nazaréen Jésus Christ.
L’Ancien Testament, déluge de violence est un recueil puissant,
qui ne peut laisser personne indifférent : il atteste que nous ne sommes
toujours que le refleurissement de nos cendres aussi bien dans la
barbarie que dans l’amour.
©Nicole Hardouin
Nous avons fait la connaissance de l’écrivain
suisse Claude Luezior dans cette même rubrique, aux numéros de mars-avril 2019
et de septembre-octobre 2020.
Pour Nicole Harduin, voir également dans cette
rubrique la note de lecture qui lui est dédiée au numéro de
septembre-octobre 2020, pour son recueil Lilith.
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