Avec pertinence et modération
l’auteur, dans son liminaire, souligne combien l’enseignement de
l’histoire de France est réduite à une portion de plus en plus
congrue : « l’histoire de
France est peu enseignée, peu apprise, peu aimée ».
Pour quelles raisons les J. Michelet, E Lavisse, H Martin et autres, dont François
Ier et son connétable de Bourbon, ont-ils disparu des programmes,
pourquoi les cours d’histoire d’autrefois qui intéressaient les élèves
sont-ils réduits à une portion minime ?
Personne ne le sait.
Cela s’est fait silencieusement,
sournoisement, tout un passé toutes les racines sont ainsi passées à la
trappe : « table rase de la
France de la royauté et progressivement l’histoire de notre pays a
commencé avec la révolution, puis avec la guerre de 1914-18, puis avec
celle de 1939-1945 » et ce
pour aboutir à un mélange anarchique.
De grands personnages ont été
balayés, tant on désire actualiser l'Histoire à l'aune des programmes
contemporains ?
Mais, peut-être, s’il y a une
date historique que les collégiens connaissent c’est : 1515 : Marignan,
enfin nous l’espérons… Ils retiennent cette date comme on s’agrippe à une
branche dans un tsunami.
En d'autres termes, Berthier pose ces questions
avec acuité, mesure, sans agressivité, avant de nous inviter au travers
de ses recherches à mieux pénétrer, comprendre, cette période brillante
et troublée de la Renaissance, années qui ont si durablement façonné
notre pays.
C’est pourquoi nous ne pouvons
que remercier, admirer les écrivains qui, en véritable chartriers, avec
rigueur et passion, creusent, cherchent, fouillent les archives
nationales, départementales, les correspondances.
C’est ce qu’a fait l’auteur dans
ce recueil qui pose une énigme : pourquoi le roi François Ier et le
Connétable de Bourbon, de grands et véritables amis, qui, « ensemble ont remporté la bataille de
Marignan, pourquoi dix années plus tard s’affrontent-ils à Pavie » ?
Pour mesurer à quel point la
haine était grande entre ces deux personnages, on apprend par exemple, que « la tête du connétable est mise à prix pour dix milles écus
d’or » !
Pourquoi Charles III, duc de
Bourbon, connétable de France issu d’une grande et noble lignée, il
descend de Saint Louis, pourquoi ira-t-il jusqu’à dire du roi :
c’est « un voleur sans
pudeur ».
Pourquoi, au travers des siècles,
lorsque le connétable sera évoqué on gardera « l’image d’un félon, du traître que l’histoire reprendra
sans nuance » ? Y. Berthier se garde bien de prendre
position, mais ne manque pas à ce propos de rappeler « l’absence de nuances des récits historiques qui
qualifient de traître le Grand Condé et le maréchal Bernadotte… »
Cette « tragique mésentente » entre deux personnages si
puissants qui sèmera tant de haine, d’affrontement, de morts, de
traîtrise est le noyau du livre et nous ne dévoilerons pas le pourquoi de
cette énigme, laissant au lecteur le plaisir de la découvrir.
L’auteur, pour permettre une
meilleure compréhension du récit historique, a émaillé sa narration de
nombreuses généalogies claires, simplifiées : celle des ducs de Bourgogne,
des Stewart d’Aubigny, des ducs de Bourbon, celle de Saint Louis à
François I er et Charles III de Bourbon, des premiers rois d’Angleterre,
de Guillaume le Conquérant à Elisabeth I, celle de Charles Quint.
L’histoire ayant parfois des
retours étonnants, bien après la mort du roi François Ier (ses
successeurs étant François II, Charles IX, Henri III qui marque la fin
des Valois), on retrouvera un Bourbon à savoir Henri IV dont la
descendance dirigera la France pendant deux siècles, jusqu’à la
révolution.
Et l’auteur de poser cette
intéressante question :
« Après l’affrontement qui a culminé à Pavie du roi Valois François
Ier et du duc de Bourbon, est ce que l’on peut voir : la réhabilitation
de la Maison de Bourbon, la revanche sur la confiscation du duché de
Charles III ? La restauration de l’honneur du connétable ? » Le
lecteur reste juge de sa réflexion et
éventuellement d’une réponse.
Ce recueil est ponctué d’une
foule de petits points oubliés par exemple : l’origine de la fête des
morts fixée au 2 novembre de chaque année, tradition perpétuée jusqu’à
nos jours qui est due à un moine de Cluny : Odilon, inhumé à
Souvigny.
Il est une autre énigme évoquée
par l’auteur: qu’est devenu le corps du connétable qui avait été
transporté par deux de ses amis de Rome, lieu de son décès, jusqu’à Souvigny? « Aujourd’hui on cherche en vain la
tombe du troisième duc de Bourbon, son cercueil a-t-il été placé sans
inscription, en raison des soldats du roi François qui quadrillaient
encore la région de Moulins,
image de la vindicte royale
toujours vivante ? ou est-ce à la révolution de 1789 que la trace fut
perdue, ou est-il inséré dans l’armoire aux reliques de «
l’abbaye ? » Personne ne le sait.
Nous retiendrons aussi dans ce
recueil le beau poème de Rutebeuf, récité, les larmes aux yeux, par
Charles III de Bourbon, lorsqu’il apprit la mort de beaucoup de ses amis
tués par ordre du roi : « que
sont mes amis devenus / que j’avais de si près tenus/ et tant
aimés… »
Ce livre nous donne aussi
l’occasion de revoir le déroulement des guerres avec les Anglais,
l’emprisonnement du roi François, puis celui de ses enfants, la paix des
Dames, la non-reconnaissance de Charles Quint pour le vrai vainqueur de
Pavie à qui il n’accordera pas le duché de Milan, pas plus que la plus
petite parcelle de terre italienne.
Nous ne saurions oublier de
mentionner les superbes photographies, nous pensons ici particulièrement
au Parc du monastère Saint Michel de Grandmont dont émane une sérénité
transcendante, à l’escalier des moines illuminé d’une lumière comme venue
d’ailleurs, au cloître de la collégiale de Souvigny où les prières
semblent inscrites dans les reflets de la pierre. Nous n’oublierons pas
la délicate aquarelle de l’hôtel Babette réalisée par le peintre Renon et
l’excellente retranscription des plans originaux du peintre Beauvais.
Ce
précieux recueil d’Y. Berthier, somme de travail, de recherches nous
éclaire, nous remet en mémoire des faits oubliés nous permet peut-être de
mieux comprendre et comme le disait Spinoza, « comprendre est le commencement d’approuver. »
©Nicole Hardouin
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