Poète et
prosateur belge contemporain, d’une rare sensibilité, Patrick Devaux fait
de son œuvre une sorte d’éloge à la vie, malgré ses coups violents qui
viennent de son passé, mais n’empêchent pas de sentir et de comprendre
son côté lumineux. Sa sensibilité frémit au souvenir du mal, mais ne
laisse pas le noir creuser son sillon douloureux et obscurcir la lumière de
son regard serein d’adulte. Il prend distance de tout ce qui était
douloureux dans son destin et tente de se libérer par le récit d’une
souffrance longtemps blottie au tréfonds de son âme.
De Porcelaine (Éditions Le Coudrier, 2018) est un récit
troublant, l’autofiction d’une enfance malheureuse. Mais ce qui touche le
lecteur c’est la manière de raconter la douleur d’un enfant innocent qui
ne comprenait pas pourquoi il devait subir sans raison la violence de son
beau-grand-père alcoolique.
Le titre
renvoie à la beauté et à la froideur de la porcelaine, mais ne laisse pas
deviner ce qui se cache derrière, l’incipit du récit non plus. Le
personnage-narrateur est un adulte, mais derrière lui on devine l’auteur
qui emprunte son vécu malheureux au personnage, son alter égo.
Pendant
son vol vers l’inconnu, immobilisé des heures dans la chaise de l’avion,
l’esprit de l’homme est envahi de souvenirs. Il ne cesse de penser,
s’interroger, revivre des fragments de sa vie. Comme pris de vertige, il
voit défiler dans sa pensée un cortège d’images qui lui restituent par
bribes le cauchemar de son enfance.
Le récit
homodiégétique à la première personne s’organise sur deux axes
temporels : le présent et le passé.
La réussite de l’auteur se trouve dans la substitution de l’enfant
maltraité par une poupée en porcelaine, un jouet reçu qui le terrifiait
par son immobilité et froideur.
Ce n’est
pas sans raison que l’auteur opère le transfert de son corps mortifié et
souffrant l’attribuant au jouet. L’enfant supportait en silence la
brutalité de son beau-grand-père alcoolique, les coups violents qui
faisaient saigner son corps fragile. La candeur de l’enfant est pareille
à la finesse et délicatesse de la porcelaine, son mutisme face à la
violence, à celui de la poupée. Il endure la terreur des brutalités tel
un jouet maltraité par un mauvais esprit. La poupée est le témoin de la
brutalité et de la souffrance de l’enfant qui finit par s’identifier à
celle-ci. Il devient aussi immobile et muet que le jouet à supporter la
terreur de la brute.
Son âme
trouve le pouvoir de survivre par l’évasion dans le rêve, l’espoir d’une
autre vie, entrevue chez les voisins ou découverte dans les livres d’une
bibliothèque, son seul refuge contre le quotidien insupportable.
Le récit
de l’enfance brutalisée et fracassée est livré discontinuellement,
alternant le présent et le passé. Les souvenirs éclatent dans la mémoire
de l’adulte et tentent de libérer son cœur d’une souffrance longtemps
réprimée. L’écriture acquiert ainsi un rôle thérapeutique, libérateur, de
catharsis.
© Sonia Elvireanu
Connue à Francopolis comme poète
roumaine et francophone (un groupage bilingue en sa propre traduction
figure dans notre rubrique D’une
langue à l’autre de février 2017), Sonia Elvireanu
est aussi traductrice et critique de poésie. Elle anime, en Roumanie et dans des pays
francophones européens, un réseau et des événements dédiés à la poésie en
langue française.
Elle a été publiée dans le
dernier numéro (72) de la revue Poésie/première.
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