Un souffle
de mélancolie s’exhale des poèmes de Michel Herland du recueil bilingue Tropiques suivi de Miserere/ Tropice
urmat de
Miserere (Ars Longa 2020), inspirés par le paysage tropical, en même
temps que la nostalgie d’une époque surannée à laquelle il emprunte
fréquemment la forme du sonnet, comme une musique
d’un temps révolu.
L’exotique
et l’érotique se conjuguent en une sorte de duo provocateur, comme nous
aiguillonne la beauté sauvage de visions rappelant certains poèmes de
Baudelaire. Le paysage tropical, ses couleurs fascinantes et ses senteurs
enivrantes excitent la sensualité du poète qui s’abandonne à une passion
troublante pour sa noire déesse. La
douceur de l’air, quand ce n’est pas la torpeur torride ou la moiteur
humide des forêts, fait s’épanouir en la mystérieuse femme d’ébène un
archétype qui hante les mythes et les littératures du monde.
La femme
qui envoûte Michel Herland prend cependant de multiples visages :
ceux d’Ève, d’Aphrodite, incarnation de la beauté et de la
sensualité, de Laure de Pétrarque, d’une jeune fille diaphane et
innocente, d’une femme frivole et sensuelle, habituée des fêtes galantes,
objet du désir et des plaisirs, d’une touchante femme-enfant, d’une
beauté noire, sauvage et mystérieuse, d’une femme raffinée et
inaccessible, d’une fille du désert. Quelle que soit la forme sous
laquelle elle s’incarne, la muse de Michel Herland est toujours une sorte
de déesse qui ensorcelle par sa beauté.
Rêve ou
passion, accomplissement ou déception, admiration ou dédain, innocence ou
dépravation, sensualité délicate ou obscène, toutes les variantes de l’amour
et des sentiments se manifestent dans ces poèmes.
Il y a
chez Michel Herland de la désinvolture, voire du plaisir, à évoquer la
séduction et le désir, ce qui nous renvoie à l’hédonisme du XVIIIe
siècle, si ce n’est à l’amour courtois. Est-ce la nostalgie du
libertinage savant de ces temps jadis, d’un art de séduire oublié que le poète aimerait ressusciter ? Ou
est-ce la beauté sauvage et troublante des paysages exotiques découverts
par les romantiques ? Les deux certainement. Le choix du sonnet, la musique
des vers renvoient d’emblée à l’atmosphère des fêtes galantes
d’autrefois.
Si les
vers rappellent parfois Verlaine, les paysages et les personnages de
Michel Herland, malgré leur charme mystérieux, ont une troublante réalité
grâce à la précision des détails. Ainsi dans certains poèmes, les
toponymes permettent-ils de situer précisément le décor des Caraïbes où
le poète est désormais installé.
L’art de
rimer et d’évoquer la passion sont remarquables chez Michel Herland,
poète marqué par l’harmonie classique comme en témoigne sa prédilection
pour le sonnet. Le lecteur découvre avec surprise en lui un poète
raffiné, qui s’assume à l’écart du postmodernisme dont se réclame la
poésie du XXIe siècle. Comme s’il voulait prouver que rien n’est jamais
démodé en art, que l’on peut faire renaître d’anciennes formes, les
mettre au service d’une sensibilité actuelle.
L’exotisme
et l’érotisme de Tropiques
s’opposent au triste et au sordide qui dominent dans Miserere, intégré dans le même recueil. Les misères de la vie
(pauvreté, souffrance, chagrins, dégradation, perversion, vieillesse,
solitude) sont évoquées par une mosaïque d’images souvent hideuses, voire
abjectes de la ville. Ainsi, au charme envoûtant du paysage tropical
s’oppose brutalement un espace repoussant, ses maux et ses vices. Les
plaies du monde contemporain sont peintes sans fard dans des poèmes comme
Migrations ou La fureur est tombée sur la ville
écarlate. Là éclate la révolte du poète contre la condition humaine
et les injustices ; sa plume se fait aigre et la poésie tourne à la
satire sociale.
Conclure le recueil par la figure du
poète est éminemment symbolique. Le poète est plus que quiconque sensible
à toutes les beautés, toutes les laideurs du monde. C’est donc à lui
qu’il revient de les raconter.
©Sonia Elvireanu
(*)
Repris de la revue
en ligne Traversées, 17
déc. 2020)
Michel
Herland, économiste, poete, romancier, essayiste, critique de theatre et professeur d'universites,
est le directeur de la revue Mondes francophones.
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