Poète française contemporaine,
traductrice et critique littéraire, Marilyne Bertoncini est co-directrice de la revue Recours au poème et docteur es lettres. Elle a publié 7 volumes de poésie: Sable (2019, Mémoire vive des replis (2018), L’Anneau de Chillida (2018), Le Silence tinte comme l'angelus d'un village englouti (2017), La Dernière Oeuvre de Phidias,
suivi de L'Invention de l'absence (2017), Aeonde (2017), Labyrinthe des
Nuits, suite poétique
(2015).
Ses
poèmes se retrouvent dans beaucoup d’anthologies en
France et à l’étranger. Elle traduit de l’anglais et de l’italien, ayant déja 7 volumes publiés, mais aussi 7 livres d’artiste
réalisés en collaboration avec des plasticiens. Elle s’implique dans le
montage des spectacles poético-musicaux et dans les ateliers d’écriture.
Marilyne Bertoncini est invitée en mai 2019 au
Festival international de poésie de Bucarest, en Roumanie.
Son livre le plus récent, en édition bilingue
français-allemand, illustré par les gravures de Wanda Mihuleac, vient de
paraître à Paris en janvier 2019. Conçu sur le dialogisme des voix et des arts, Sable correspond au besoin de syncrétisme dans l’art
contemporain, séduit encore par le mythe grec et l’éternel commencement,
suggéré par le grain de sable.
La poésie et les arts plastiques se rencontrent dans
un superbe dialogue entre deux artistes françaises, la poète Marilyne
Bertoncini et la plasticienne Wanda Mihuleac. Leur art tente de
représenter l’éphémère de la vie, l’immatérialité des instants, la fragilité
de la beauté, de surprendre la naissance du mirage et son évanouissement,
les images du monde aussi passagères que les formes dessinées sur le
sable effacées par le vent ou l’eau.
Poète et
peintre témoignent de la beauté éphémère et de son effacement de la
« mémoire de sable »
(Marilyne Bertoncini). De ses plis surgissent les mondes illusoires comme
les couleurs d’un palimpseste, « sable
de mémoire » (Wanda Mihuleac), par les souvenirs qui brillent
tels les reflets de la
lune, les scintillements du sable ou de la mer.
Sable est un poème ample, composé
de dix séquences inspirées par les gravures
de Wanda Mihuleac. Celle-ci crée avec du sable des images inédites de la
même façon que Marilyne
Bertoncini avec ses mots, dans le jeu atemporel de la création.
Le sable est la métaphore du temps
qui efface tout, un moyen artistique de représentation de l’univers de
ses poussières fines ou grumeleuses, des petis cailloux: le cercle de la
vie, l’univers infini, l’oeil cosmique, l’oeuf primordial, la Femme archétypale
engloutie par le sable, l’osmose de la vie et de la mort.
Du sable de Wanda Mihuleac se
détache une présence féminine qui est dans le poème de Marilyne
Bertoncini « la Femme de sable », « sans visage, sans lèvres, sans
bouche », atemporelle et troublante, métaphore de la création, qui se
confond avec la Poésie. La femme « drapée de dune » tel le serpent primordial, « prisonnière des sables », cette
« Femme-sable
effaçable
dont la trace
se dissout
dans le léger tourment soulevé par le vent
au flanc de la colline »
ce « corps de Danae
enseveli sous l'or »
est Ève
mystérieuse, la fille Morgana du désert, l’illusion de la vie :
« Femme-sable
effaçable
dont la trace
se dissout
dans le léger tourment soulevé par le vent
au flanc de la colline »
Wanda
Mihuleac transpose l’image d’un éternel commencement par le sable et
Marilyne Bertoncini par les mots, la trace fragile de l’immatérialité des
instants vécus et retrouvés par les souvenirs, effaçables comme les
formes dessinées par le vent ou la main sur le sable :
« Elle veut
naître
être n'être rien de plus
mais l'ogre de sable-ocre dévore sa parole
Le souffle de la femme
Eve sans lèvres sans
bouche
sous le baillon
soulève à peine d'infimes
tourbillons près de ma tête
cuisant dans la lumière des cistres et de l'iode »
Sable et mer recomposent les images de l’éphémère, ces
souvenirs blottis dans les plis de la mémoire, des traces du présent
effacé, sans consistance. Sans la mémoire du lieu, le passé s’évanouirait
définitivement, il n’existerait pas. Les artistes le retrouvent par
bribes comme des sédiments alluvionnaires et ils donnent corps à l’irréel
de la mémoire fragilisée par le temps.
Les vers de Marilyne Bertoncini ont la fluidité
et le rythme des vagues, dans leur mouvement infini, tels les mots qui
naissent et tissent des histoires dans le poème. Les espaces entre les
mots et les vers semblent suggérer le souffle de la mer et du vent qui
vole le sable, effaçant ses formes étranges, éphémères. Les poèmes
dévoilent un lien particulier entre la poète et la mer. Les images
naissent de la contemplation et des sensations fugitives, des bribes de
souvenirs du temps éloigné de l’enfance.
Marilyne Bertoncini a le
talent de surprendre, tels les peintres impressionnistes les instants
fugitifs, les scintillements de l’eau, du sable, leur naissance et leur
effacement, suggéré par le jeu des synonymes :
« Effacement – ce ment – ça bleu
les sables meubles et sans traces
et la femme sans face sang
scintillement salé des dunes littorales
nude
nues denudate
reflet dans les nuages qui s'effilochent se défont
se délitent délaient
se dissolvent
s'effacent
sans force »
Nous
apprécions particulièrement les correspondances entre les vagues/ les
dunes et la Femme-Sable/ la poète, la voix même de la Poésie qui ne se
laisse pas engloutir par le temps :
« La dune mime l'océan
les nuages y dessinent de fuyants paysages
dont l'image s'épuise dans l'ombre vagabonde
d'un récit ineffable
et femme Sable nage dans un ciel de centaures
à l'envers
où sa robe poudreuse ondoie dans
les nuages
sa bouche ouverte dans le sable
crache la cendre de ses mots
flocons arrachés au silence
dans la mer où
peut-être
puis se noie et se perd en rumeur indistincte
Commencements »
Les images
créées par les deux artistes ont l’aura de l’atemporalité, suggérée par
le grain de sable chez Wanda Mihuleac et le présent atemporel du verbe
chez Marilyne Bertoncini. Leurs mondes naissent du sable et des mots,
sculptant l’éphémère et l’effacement, le devenir éternel dans l’univers.
©Sonia Elvireanu
Poète roumaine et francophone, traductrice et critique
de poésie, Sonia Elvireanu anime, en Roumanie
et dans des pays francophones européens, un réseau et des événements dédiés
à la poésie en langue française. Elle est présente depuis plusieurs
numéros avec des notes de lecture dans notre rubrique Francosemailles.
* Voir dans ce numéro même la rubrique D’une
langue à l’autre.
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