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Mars-Avril 2019

 

 

De l’immatérialité du vécu dans le dialogue des arts.

 

Marilyne Bertoncini, Wanda Mihuleac, Sable, édition bilingue français-allemand. Traduction en allemand par Eva Maria Berg *

(Éditions Transignum, 2019)

par Sonia Elvireanu

 

 

 

Poète française contemporaine, traductrice et critique littéraire, Marilyne Bertoncini est co-directrice de la revue Recours au poème et docteur es lettres. Elle a publié 7 volumes de poésie: Sable (2019, Mémoire vive des replis (2018), L’Anneau de Chillida (2018), Le Silence tinte comme l'angelus d'un village englouti (2017), La Dernière Oeuvre de Phidias, suivi de L'Invention de l'absence  (2017), Aeonde  (2017), Labyrinthe des Nuits, suite poétique  (2015).

Ses poèmes se retrouvent dans beaucoup d’anthologies en France et à l’étranger. Elle traduit de l’anglais et de l’italien, ayant déja 7 volumes publiés, mais aussi 7 livres d’artiste réalisés en collaboration avec des plasticiens. Elle s’implique dans le montage des spectacles poético-musicaux et dans les ateliers d’écriture.

Marilyne Bertoncini est invitée en mai 2019 au Festival international de poésie de Bucarest, en Roumanie.

Son livre le plus récent, en édition bilingue français-allemand, illustré par les gravures de Wanda Mihuleac, vient de paraître à Paris en janvier 2019.  Conçu sur le dialogisme des voix et des arts, Sable correspond au besoin de syncrétisme dans l’art contemporain, séduit encore par le mythe grec et l’éternel commencement, suggéré par le grain de sable.

         La poésie et les arts plastiques se rencontrent dans un superbe dialogue entre deux artistes françaises, la poète Marilyne Bertoncini et la plasticienne Wanda Mihuleac. Leur art tente de représenter l’éphémère de la vie, l’immatérialité des instants, la fragilité de la beauté, de surprendre la naissance du mirage et son évanouissement, les images du monde aussi passagères que les formes dessinées sur le sable effacées par le vent ou l’eau.

Poète et peintre témoignent de la beauté éphémère et de son effacement de la « mémoire de sable » (Marilyne Bertoncini). De ses plis surgissent les mondes illusoires comme les couleurs d’un palimpseste, « sable de mémoire » (Wanda Mihuleac), par les souvenirs qui brillent tels les reflets de la lune, les scintillements du sable ou de la mer.

Sable est un poème ample, composé de dix séquences inspirées par les gravures de Wanda Mihuleac. Celle-ci crée avec du sable des images inédites de la même façon que Marilyne Bertoncini avec ses mots, dans le jeu atemporel de la création.

Le sable est la métaphore du temps qui efface tout, un moyen artistique de représentation de l’univers de ses poussières fines ou grumeleuses, des petis cailloux: le cercle de la vie, l’univers infini, l’oeil cosmique, l’oeuf primordial, la Femme archétypale engloutie par le sable, l’osmose de la vie et de la mort. 

Du sable de Wanda Mihuleac se détache une présence féminine qui est dans le poème de Marilyne Bertoncini « la Femme de sable », « sans visage, sans lèvres, sans bouche », atemporelle et troublante, métaphore de la création, qui se confond avec la Poésie. La femme « drapée de dune » tel le serpent primordial, « prisonnière des sables », cette

 

« Femme-sable

effaçable

dont la trace

se dissout

dans le léger tourment soulevé par le vent

au flanc de la colline »

 

ce « corps de Danae enseveli sous l'or »

 

est Ève mystérieuse, la fille Morgana du désert, l’illusion de la vie :

 

« Femme-sable

effaçable

dont la trace

se dissout

dans le léger tourment soulevé par le vent

au flanc de la colline »

 

Wanda Mihuleac transpose l’image d’un éternel commencement par le sable et Marilyne Bertoncini par les mots, la trace fragile de l’immatérialité des instants vécus et retrouvés par les souvenirs, effaçables comme les formes dessinées par le vent ou la main sur le sable :

 

« Elle veut naître

être     n'être rien de plus

mais l'ogre de sable-ocre dévore sa parole

 

Le souffle de la femme

Eve sans lèvres       sans bouche

sous le baillon

soulève à peine d'infimes  tourbillons près de ma tête

cuisant dans la lumière des cistres et de l'iode »

 

         Sable et mer recomposent les images de l’éphémère, ces souvenirs blottis dans les plis de la mémoire, des traces du présent effacé, sans consistance. Sans la mémoire du lieu, le passé s’évanouirait définitivement, il n’existerait pas. Les artistes le retrouvent par bribes comme des sédiments alluvionnaires et ils donnent corps à l’irréel de la mémoire fragilisée par le temps.

Les vers de Marilyne Bertoncini ont la fluidité et le rythme des vagues, dans leur mouvement infini, tels les mots qui naissent et tissent des histoires dans le poème. Les espaces entre les mots et les vers semblent suggérer le souffle de la mer et du vent qui vole le sable, effaçant ses formes étranges, éphémères. Les poèmes dévoilent un lien particulier entre la poète et la mer. Les images naissent de la contemplation et des sensations fugitives, des bribes de souvenirs du temps éloigné de l’enfance.

Marilyne Bertoncini a le talent de surprendre, tels les peintres impressionnistes les instants fugitifs, les scintillements de l’eau, du sable, leur naissance et leur effacement, suggéré par le jeu des synonymes :

 

« Effacement – ce ment – ça bleu

les sables meubles et sans traces

et la femme sans face              sang

 

scintillement salé des dunes littorales

nude   nues   denudate

 

reflet dans les nuages qui s'effilochent        se défont

se délitent   délaient

se dissolvent

s'effacent   

                  sans force »

 

Nous apprécions particulièrement les correspondances entre les vagues/ les dunes et la Femme-Sable/ la poète, la voix même de la Poésie qui ne se laisse pas engloutir par le temps :

 

« La dune mime l'océan

les nuages y dessinent de fuyants paysages

dont l'image s'épuise dans l'ombre vagabonde

d'un récit ineffable

 

et femme Sable nage dans un ciel de centaures

à l'envers

sa robe poudreuse ondoie dans  les nuages

 

sa bouche ouverte dans le sable

crache la cendre de ses mots

flocons arrachés au silence

dans la mer où

peut-être

 

puis se noie et se perd en rumeur indistincte

 

Commencements »

 

Les images créées par les deux artistes ont l’aura de l’atemporalité, suggérée par le grain de sable chez Wanda Mihuleac et le présent atemporel du verbe chez Marilyne Bertoncini. Leurs mondes naissent du sable et des mots, sculptant l’éphémère et l’effacement, le devenir éternel dans l’univers.

 

©Sonia Elvireanu

 

 

Poète roumaine et francophone, traductrice et critique de poésie, Sonia Elvireanu anime, en Roumanie et dans des pays francophones européens, un réseau et des événements dédiés à la poésie en langue française. Elle est présente depuis plusieurs numéros avec des notes de lecture dans notre rubrique Francosemailles.

 

* Voir dans ce numéro même la rubrique D’une langue à l’autre.

 

 

 

 

Sonia Elvireanu, Francosemailles
Mars-avril 2019

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Créé le 1 mars 2002

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