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Articles sur les poètes francophones contemporains
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ARCHIVES FRANCO-SEMAILLES

 


Janvier-Février 2022

 

 

 

 

Trois poètes lus par Monique W. Labidoire

 

 

Jean-Louis Bernard, Sève noire pour voix blanches

(éd. Alcyone, 2021)

 

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La poésie de Jean-Louis Bernard poursuit son chemin de mystère que nous décryptons pas à pas, dans le silence et le regard que nous portons depuis nombre de ses recueils désormais. Vision d’un monde que le poète tente de réconcilier avec une lumière qui pourrait çà et là éclairer nos espaces et réunir nos affects, nos solidarités, nos creusements, grâce au poème, grâce aux mots du poème.

Il y a l’évidence ou tout au moins la conviction du dire, voire une révélation sur le vivre poétique qui livrerait dans la fréquentation de la lumière et de l’obscur, du blanc et du noir que le poète harmonise sans les opposer, une nouvelle clarté des paysages humains. Si les poèmes du recueil réfléchissent avant tout la lumière des idées, le vivre du poète au jour le jour n’échappe pas à l’inspiration de la nature, des sentiments, de la beauté. Le temps s’écoule « Une cloche perdue/ Vient buissonner/ Les heures lourdes// éveil ».

À tenter de saisir le temps dans son passé et son présent le poète évoque « un fragment d’éphémère » et c’est avec grande justesse que nous ressentons cette invite de relativité temporelle. Dans cette poésie, les instants sont saisis, les mots attrapés, les sentiments vécus, l’avancée se déroule dans l’inconnu du paysage poétique qui prend forme fragment après fragment, gagnant par le rythme une continuité infinie.

L’obscur, à son tour, dénoue les peurs et les terreurs qui lui sont prosaïquement attribués : « noir/ révulsé de lumière/ désavoué/ par des soleils incultes ». Le poète défend ici une parité, voire une identité positive du blanc et du noir, de l’obscur et la lumière, ardemment revendiqués dans nos sociétés contemporaines.

La mémoire elle aussi, dans ce temps révolu, appelle à la page blanche, à la neige, à la craie et résonne des « histoires non dites » invitant « les mots qu’on ne dit pas » à s’imprimer afin qu’ils ne se perdent. Mais qu’y avait-il avant les mots, semble se demander le poète ?  Des gestes, des regards, du silence ? Ce silence que les poètes ont tant besoin de remplir de sons et de signes en harmonie avec les palpitations du cœur, ces frémissements que ressentent les lecteurs de poésie en lisant et en relisant celle du poète Jean-Louis Bernard.

 

©Monique W. Labidoire

5.12.2021

 

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Jean-Louis Bernard est notre invité au Salon de lecture de ce même numéro, avec une présentation et un choix de textes par Monique W. Labidoire.

 

 

Ara Alexandre Shishmanian, Orphée lunaire

(L’Harmattan, collection Accent tonique, novembre 2021)

 

 

Ara Alexandre Shishmanian crée son territoire poétique, unique, exigeant, où ce qui peut paraître incompréhensible en lecture trop rapide est soutenu par le choix des mots, du rythme, des espaces accédant ainsi à un chant très personnel. Et comme le propose sa traductrice attitrée, Dana Shishmanian, « il faut entrer dans l’écriture d’Ara Alexandre Shishmanian comme dans un monde inconnu où tout est à découvrir… ».  

Le poète pratique depuis de longues années cet inconnu qui le délivre du poids de la réalité immédiate et pourtant c’est bien du surréel qu’une certaine réalité prend forme dans ses poèmes. Il est ce « voyageur acculé par des inimaginables » et il prend acte d’un autre imaginaire, pas plus supportable sans doute mais qui lui tient d’exorcisme et lui rend le monde plus acceptable. Le poète prend sien le mythe d’Orphée et bouleverse les données convenues proposant une autre vision de cette symbolique. « Je cherche une clef dont la porte est moi-même », cette porte qui ouvre sur le chemin retrouvé, ce chemin sillonné de « syllabes offertes à l’obscurité ».

Le poète suggère-t-il que les mots ont définitivement perdu leur sens et qu’il ne s’agit plus d’écrire des poèmes sensés mais plutôt d’essaimer çà et là des paroles, des cris, des rires et des pleurs qui feront sens et raison ? Ou bien c’est le non-sens qui désormais fera sens. Le mot « personne », entité pleine et non pas personnage déjà relevé dans cette œuvre, reste présent au cours des pages et transforme l’état des lieux dans un lexique très sombre, mais qui appelle désespérément à la lumière. Le poète se sent « exclu de l’espérance » et de ce fait, s’approprie le noir des mots qui façonne ses propres mythes.

Avec Ara Alexandre Shishmanian nous sommes au bord du gouffre. Son poème se trouve dans le gouffre, franchissant le Styx, heurtant les portes de l’enfer, la palpitation reste cachée dans cet obscur qui révèle au poète tous les possibles. Le poète doit lui aussi franchir le Styx, ce fleuve des enfers, il doit se mettre dans les pas d’Orphée, de Virgile et de Dante pour retrouver Béatrice et Eurydice. Pour retrouver la lumière et la compréhension du monde. Chaque poème, lourd d’obscurité n’est pas seulement un constat, c’est un cri. Un cri répété que nous entendons fortement et avec émotion.

 

 

Ara Alexandre Shishmanian, Mi-graines

(Échappée belle édition, collection Ouvre-boîtes, novembre 2021)

 

 

Plus encore que dans d’autres œuvres d’Ara Alexandre Shishmanian, ce recueil interroge sur notre approche de la poésie. Qu’est-ce que la poésie ? Pourquoi la poésie ? Comment vivre la poésie dans ce monde contemporain ? Des mots, des flashs, des associations surprenantes qui viennent du plus profond de la conscience-inconsciente – voilà ce que nous offre le poète. Le poème ici est une révélation. Mais une révélation à plusieurs lectures.

Pour qui n’a pas subi l’épreuve de la migraine, la vraie, celle qui sépare en deux le crâne et appelle à l’obscurité totale, au silence, à l’immobilité, il sera peut-être un peu étrange de traverser ce champ poétique. De ce néant douloureux sont nés des poèmes en complicité totale avec le ressenti de la personne souffrante, poèmes qui ont été écrits sans doute après les crises qui, le plus souvent, anéantissent totalement le sujet.

Ces migraines sont probablement revécues et appartiennent totalement à l’inspiration de l’auteur. « Les migraines pareilles à des messagères… » écrit le poète, oui elles sont le support, le prétexte, dans le bon sens du terme, à des variations musicales, des convictions, des énonciations, voire des dénonciations qui accompagnent les thèmes récurrents de la poésie d’Ara Alexandre Shishmanian.  On rencontre « La lyre foudroyée », « L’enfer est ma demeure », « Les couloirs sans fin », « Les statues du vide », thèmes favoris du poète.  Le chemin traversé est bien celui d’une vie inquiète où le rêve ne peut être qu’un cauchemar sans fin sauf si nous nous laissons emporter par l’idéal de l’auteur, bien caché sous ce vocabulaire sombre dont nous avons déjà souligné la force et qui garde distance avec les petits bonheurs, les joies, les partages, les conventions faciles, mais qui sait chanter la beauté et voit vibrer « des ailes de libellule et une clef chantante ». Ce baisser de rideau plus lumineux est, peut-être, une élévation vers les étoiles d’un ciel retrouvé au-dessus du chemin tracé, suivi, et parcouru maintes et maintes fois. Parcourons, à notre tour et avec intérêt, ce chemin-labyrinthe sur lequel le poète n’a pas fini d’ouvrir les fenêtres/ clairières qui le nourrissent poétiquement.

 

©Monique W. Labidoire

7.01.2022

 

 

Jean-Claude Albert Coiffard, Il y aura un chant

(éditions Des sources et des livres, 2021 – avec des collages de Ghislaine Lejard)

 

 

Dans une précédente étude sur l’œuvre de Jean-Claude Albert Coiffard, j’évoquais chez notre poète une nostalgie heureuse. Découvrant son nouveau recueil, je parcours à ses côtés des moments importants de sa vie en commençant par son enfance, une enfance qui me semble d’emblée heureuse. Mais de l’enfance à la grande maturité, comme poète, Jean-Claude Albert Coiffard a choisi de vivre la poésie en partageant, grâce à ses poèmes, l’amitié, l’amour, l’admiration afin de ne perdre aucun moment du temps passé avec ceux qui lui ont donné, par leur présence ou leur absence la faveur d’écrire.

Pour le poète, « les morts/qui ne meurent pas » veillent sur nous et éveillent le poème en train de s’écrire. Il en va de même pour les paysages, les sensations, le frémissement du cœur toujours à l’écoute des temps vécus et qui invitent à la nostalgie. « C’est comme un mot/seul sur la page » ; il ne restera pas seul bien longtemps ce mot, il côtoiera Cadou, Apollinaire, Taurand, Grall et d’autres poètes amis, vivants et visibles dans ses poèmes.

Il y a bien un chant dans ces poèmes qui nous renvoient à la préhistoire de la poésie quand la langue poétique n’était que chuchotis, cris et mouvements, que les signes signifiaient un état d’être, un danger, une présence, que le champ lexical était musique et murmures et que le poème appelait au silence. Ce silence, convoqué par le poète afin que les mots brillent comme les étoiles, s’étend dans l’obscur du souvenir et couvre la nuit de ses espérances de beauté et de sentiments vrais. Désormais le poète peut dire : « Je marche à pas lents/dans l’allée du poème », j’ai conquis mon territoire, j’ai amassé mes souvenirs, j’ai réveillé quelques douleurs afin de mieux ressentir les joies passées d’unités temporelles mais ô combien éternelles !

Ghislaine Lejard a choisi une palette plus sombre que mon propre ressenti de lumière pour accompagner le poète. Cela n’enlève rien à son talent qui donne à voir en première de couverture une ouverture vers un jour nouveau et plein de promesses. Ne nous privons pas de ce désir. Jean-Claude Albert Coiffard nous donne à lire avec joie des poèmes d’un chant apaisé.

 

©Monique W. Labidoire

17.01.2022

 

 

 

Notes de lecture de Monique W. Labidoire

Francosemailles, janvier-février 2022

Recherche Dana Shishmanian

 

 

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