Le chant de la vieille
corps tordu
incendie
calcinée
je suis
soumise
tel fut mon satori
mais ma beauté demeure
hors de ta portée
vie et mort
j’ai la connaissance
des profondeurs
c’est pour cela
que le serpent m’a aimée
toutes les bêtes
m’ont apprivoisée
pattes griffes
plumes toisons
ma flèche touche au cœur
tout prédateur nommé Homme
je règne animale
sur toute la création
j’ai initié bien des peuples
qui m’ont nommée lunaire
de la génisse à la brebis
pour m’asservir
nombre de lois
ont été dictées
mais joug après joug
je demeure l’indomptée.
je parle la langue des oiseaux
qui lisent dans mon cœur
les mauvais augures
ne portent pas de plumes
mais des bâtons cracheurs de feu
des couteaux et des bombes
au commencement des temps
j’étais déjà penchée
sur le berceau de l’humanité
en moi était contenue
l’empreinte de toute forme
et la mémoire des abysses
ma puissance est immense
je suis la porte des mondes
je suis le grand cobra
prends garde humain
si tu ne respectes pas l’équilibre
tu seras balayé pulvérisé
à genoux Homme
ferme les yeux
ouvre ton cœur
ton sexe est sacré
l’as-tu donc oublié ?
allez viens danser avec moi
sens-tu sous tes pieds
le frisson des racines ?
sens-tu le rythme du vent
les tourbillons de la sève ?
viens danser avec moi
viens sentir l’étreinte
et la lune dans nos veines
je connais les partitions du frisson
et les passes secrètes
qui font du plaisir
un art initié
je connais les paysages intérieurs
des quêtes et des illuminations
je vois au loin sur les plaines
la lente pérégrination des hommes
vers le nord hypothétique
pour se connaître
il leur faut pénétrer la terre
ériger des totems
pour ensemencer les cieux
mais ils se trompent
et n’encensent
que faux dieux.
pour me connaître
qu’ils suivent la piste
féline
ils pourront me trouver aussi
nue et lisse au creux des pierres
s’ils posent leur oreille
contre les os de la terre
ils entendront battre
mon cœur
je suis l’innocence faite chair
mais ne te laisse pas bercer
par la douceur de mes courbes
une part de moi ne dort jamais
sous le regard de l’éveillée
tu es nu comme un nouveau-né
mystère et magie
art des saltimbanques
depuis le début des temps
j’accompagne les nomades
car mon nom est mouvement
je suis la première et la dernière
sœur amante mère épouse
je suis toutes en une
et une en toutes
je suis la voie du cœur
la voix enchanteresse
j’ai pouvoir de vie et de mort
tant de fois j’ai enfanté les
ténèbres
huilé la nuit de mon corps
je suis le serpent primordial
qui enlacera le monde
après tant de siècles à m’humilier
comprendras-tu enfin ?
in Universelle
(inédit)
***
Parfum de causse
la brillance des
lauzes
le lent
effritement des pierriers
les anciennes phosphatières
ont figé le râle
ultime
de bêtes depuis
longtemps disparues
les chemins en
étoiles se perdent aussi
dans un fouillis de
taillis
traversés de pistes
renards, blaireaux
passes de chevreuils
et de sangliers
dans ce pays taillé
au burin
pour les initiés à
la solitude
la foudre
frappe-t-elle encore
pour désigner le
sorcier ?
la graine d’amour
frémit
au fond du trou de
l’âme
ondées, parfums, sèves
brasiers de coquelicots
baisers de lavande
la buse tourne
à l’aplomb de la
proie
le lézard se débat
dans la gueule du
chat
élytres, pattes,
antennes
et le frottement
obstiné
des cigales dévotes
hymen des tanins
et des fontaines
l’âpre acidulé
des baies de
genièvre
envahit la bouche
perle de sang
au bout du doigt
piqué
des belles au
causse
se promenant
le temps galope à
roussir
d’un souffle
d‘automne
un balai pour
l’hiver
des mains
invisibles
gravent les écorces
le vent peigne les
ramures
et dans les fentes
de la nuit
on entend déjà
chuchoter
les germinations
futures.
in Je l’aime nature
(inédit)
***
Mojo
Il est des foudres
secrètes
des liqueurs de transe
qui chavire le cœur
le sauvage de l’âme
quelques notes arrachées
à ton sexe électrique
ta voix profonde a gravé
des frissons sur ma peau
il est des amours d’un instant
des amours impossibles
des amours comme des ombres
au centre d’un rêve éveillé
tu m’as fait l’amour sorcier
et j’ai joui de ton corps tendu
tout près
dans cette cérémonie
du fond des temps
ma paume sur ton épaule
a bu les vibrations du son
la musique est mon cheval
mon balai de sorcière
et tu traçais des formules
à la sueur de tes lèvres
je t’ai aimé ardemment
dans cet outre monde
et j’aime croire
que tu le sais
in Des volcans sur la lune
(inédit)
***
Nos petites centrales
J’ai le cœur qui
s’affirme maintenant
qui rayonne sans filtre, elle tourne bien ma petite
centrale
j’ai le cœur qui bat à son propre rythme
qui ne s’emballe plus
à trop vouloir s’accorder
avec les uns avec les autres
avec ce qu’ils disent et son contraire
j’ai le cœur cristal
et toutes les fêlures
sont des tatouages
dont l’histoire n’a plus d’importance
ou presque
je me suis baladée longtemps avec les racines à
l’air
à ne pas trop savoir quoi en faire
je les coupe elles repoussent
toutes aussi inutiles
chaque famille a sa spécialité
la mienne c’est la disparition
et le rejet d’organes
et j’ai cessé de vouloir y greffer mon cœur
parfois il y a soudain quelqu’un
qui toque à la porte
ha non pardon, c’était une erreur
juste un fantôme
une erreur une erreur une terreur
que ça recommence encore et encore
mon cœur s’emballe
tsunami d’émotions
l’espoir est un acide
mais la centrale tient bon
juste imperceptible
une, deux, trois fêlures de plus
dont l’histoire n’a aucune importance
mon histoire n’a aucune importance
j’ai le cœur qui bat et il bat bien
c’est le mien
et son rythme est puissant
j’ai sculpté mes racines
j’en ai fait une œuvre d’art
comme l’on sculpte un arbre mort
mon histoire
je l’ai découpé en poèmes
qui n’ont aucune importance
ce sont juste des poèmes
des mots qui circulent
petits ruisseaux
grandes rivières
nos petits bateaux
nos petites histoires
ont rendez-vous
au grand océan
de lumière
c’est lui qui fait battre nos cœurs
tourner nos petites centrales
In Ourse
(bi)polaire (inédit)
***
Dénouement
Je ne suis pas
d’ici
pas plus que d’ailleurs
dans mes veines
coule le sang de l’exil
de tous les exils
et la grave beauté
des destins déchirés
je ne suis pas d’ici
mais je suis là
partout où reposent mes pieds
je suis là
partout où je marche
pas après pas
je suis là
et j’ai dans le cœur
une musique qui n’est pas d’ici
pas plus que d’ailleurs
mais que tous peuvent reconnaître
la musique de l’exil
de tous les exils
j’ai cassé mon collier de sel
ne porte plus désormais
que des colliers de ciel
in Mon Collier de sel, À tire d’ailes 2020
(autoédition)
la source
on n'écrit pas pour faire beau
on écrit pour laver, pour dissoudre
parfois le robinet est fermé
c'est comme ça, il ne faut pas le forcer
c'est que dans l'invisible la source, le réservoir
se remplissent à nouveau
ça peut être long
témoin
ça va, ça va pas, ça va, ça va pas
le tout serait de trouver en soi un lieu
d'où on puisse regarder toute cette agitation
en se sentant moins concerné
saisons
automne, hiver
retour sur soi, protection
cocon, ne rien faire
rassembler ses forces
pour un prochain printemps
in Petit livre des illuminations simples, À tire
d’ailes 2021 (autoédition)
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