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ARCHIVES FRANCO-SEMAILLES

 


Mars-Avril 2021

 

 

« J’ai trop vu de forêts désenchantées »

Poèmes inédits d’Eliette Vialle

(avec des photos de l’auteure)

 

 

 

I - LES ÂMES MORTES

 

 

Un long hululement s’élève là-bas du côté des gravières

Là où la végétation s’accroche bec et ongle à la terre pauvre et friable cloutée de pierres aiguës

Dans un chaos infertile

Résurgence d’un autre âge

 

Quel est ce cri de désolation ?

Il monte pur et glacé

Suspendu un instant dans l’air hivernal

Et retombe.

 

C’est terminé…

 

Est-ce le cri de ralliement des âmes mortes ?

 

C’est le jour exact et l’heure de leur comptage lunaire

 

Les perdues, les oubliées, les avortées se rassemblent et se dénombrent pour ne pas disparaître.

 

La lune arrondit son ventre bienveillant

Et les absorbe toutes dans son ample circonférence.

 

Les âmes mortes vont chanter sur une note

Leur étrange mélopée

Qui fait frissonner le chat, hurler le chien et ricaner les sorcières

 

Nous voilà, nous sommes là, les âmes mortes

Jusqu’au revoir à l’autre lune…

 

Et disparaît le soleil

Tandis qu’explose la lune trop ronde…

 

 

II – LES PETITES HEURES

 

Les petites heures au point du jour

Douces et feutrées

Avant que ne s’ouvrent les volets

Temps suspendu

Entre jour repoussé

Et nuit prolongée à souhait…

 

Moments intermédiaires un peu troubles

Quand la vie à l’affût guette le jour

 

Quand s’éloigne le rêve que l’on veut retenir

Moments délicats de fragile dentelle

 

Que tisse l’araignée dans l’angle d’un vieux mur

 

Que chante la cigale en crissant ses élytres

 

Que peint le soleil en voulant émerger

Repoussant la nasse de la nuit

Heures feutrées du jour

Entre deux délicats

Moments subtils éclatant de promesses

Que l’on voudrait dilater

Pour l’Éternité.

 

 

 

III – JE T’AI EMBRASSE…

 

Je t’ai embrassé avec l’esprit

Je t’ai embrassé avec le cœur

 

Malgré la table et les couverts qui nous séparaient

Malgré le serveur qui nous harcelait

Malgré les convives voisins qui bavardaient

 

Parmi ces mouvements et ces sons qui nous hantaient

Comme les fantômes, ombres invisibles à nos yeux

 

Je t’ai embrassé avec mon cœur

Je t’ai embrassé avec mon esprit

 

Dans un élan cosmique qui balayait tout le réel

Il ne restait plus que nous deux

Par-delà la table et ses couverts

Par-delà les serveurs et les convives voisins

Qui devenaient flous et s’estompaient

 

Je t’ai embrassé avec mon cœur.

 

 

IV – A QUOI RÊVAIS-JE ?

 

La nuit est venue

Je ne m'en suis pas aperçue

        À quoi rêvais-je ?

 

L'obscurité s'est installée

 Je ne l'ai pas remarquée

        À quoi rêvais-je ?

 

J'ai allumé toutes les lumières

J'ai cru que ce serait plus gai

Mais ça ne l'était pas.

        À quoi rêvais-je ?

 

J'ai attendu que le jour se lève

Mais il était pâle et froid

J'ai espéré sa lumière

Pour dissiper mon désarroi.

         À quoi rêvais-je ?

 

J'ai refermé les volets

Et me suis blottie contre toi

J'ai retrouvé la chaleur

J'ai retrouvé la lumière

Et oublié mon désarroi.

 

 

V – DOUCES SONT LES HEURES

 

Douces sont les heures

Qui chaque jour m’amènent vers toi

Elles ont des pleins et des déliés

Comme les écritures d’autrefois.

 

Chacune a son rythme qui épouse ma vie

Certaines, effilochées passent dans un rêve

D’autres traversent la réalité au pas cadencé.

 

Elles défilent discrètes ou virulentes

Ternes ou colorées

Elles escaladent l’échelle du temps

Qui va du clair matin à l’heure désirée du revoir.

 

Douces sont les heures

Qui chaque jour m’amènent vers toi

 

 

VI – PETITS POUCETS

 

Nous cheminions ensemble…

En quels lieux ? En quel temps ?

Ma mémoire se dérobe…

Dans mes souvenirs je me fourvoie…

 

Nous cheminions ensemble

L’obscurité, dans les sous-bois,

Chassait la lumière importune.

Le nuancier du clair-obscur

Digne d’un tableau ancien

Colorait d’un ton délicat

La vivacité originelle

Comme la brume d’un rêve

Qui se dépose.

 

Nous cheminions dans le sous-bois.

Nous devisions…

Tout était paix et harmonie

Nos paroles mêmes se fondaient

Dans la douceur un peu trouble

De ce matin d’autrefois…

 

En cheminant dans le sous-bois

Peu à peu nos pas s’égaraient,

Nous rencontrions des gens charmants

Sur les grands pins sur nous se penchant

Nous cheminions loin du sous-bois

Petits poucets oublieux

Du tracé blanc et rassurant des cailloux

Déjà semés

Nous cheminions le long des crêtes

L’herbe sèche crissait sous nos pas

Il n’y avait plus d’ombre complice

Le soleil se terrait au couchant

 

Nous cheminions enfants perdus

Redoutant ce que serait l’issue

De cette errance mal venue

Nous cheminions désemparés mais heureux

D’avoir trouvé une autre voie.

 

 

VII – DU HAUT DE LA MONTAGNE

 

Pantins grotesques et vains

Posés à la cime de la montagne

 

Nous dominions un univers austère

Bosselé de rochers gris et blancs

Vestiges d’une autre ère

Bubons monstrueux émergeant

D’un maquis épineux vert argent

Comme découpé dans le métal.

 

Le vent aigre giflait nos visages

Et mordait nos mains dénudées.

 

Ce n’était pas le sommet que je voulais atteindre

Mais obtenir dans tes yeux une certaine lueur.

 

Je ne sais quel chemin est le plus rude

L’escarpement de la montagne

Ou celui si fermé de ton cœur.

 

 

VIII – ULYSSE DÉSENCHANTÉ

 

Un petit poucet malicieux a déposé devant ma porte

Des petits cailloux blancs.

 

Vers quelle itinérance fatale veut-il me conduire à nouveau ?

Par quels monts, par quels vaux, devrais-je encore passer ?

 

Moi qui ai tant roulé ma bosse de faux amours en vrais mensonges ?

Moi qui ai tant roulé ma bosse d’illusions flamboyantes en réalités amères.

 

J’ai trop connu l’amour immaculé fondant comme neige au soleil de la vérité

 

J’ai trop vu de forêts désenchantées et de sentiers sans issue

 

Où irais-je encore perdre mes pas et le peu de sens qui demeure en moi ?

 

Non je ne suivrai pas ce chemin infécond.

Non, je n’irais pas me heurter au mur infranchissable d’un hypothétique bonheur…

 

J’ai ramassé les cailloux blancs et je les ai lancés sur le chat mordoré

Qui joue les sphinx dans mon jardin

 

Le chat comme dans le conte, a souri…

 

Un lièvre pressé a détalé dans les fourrés…

La Reine de cœur a trépigné de rage…

 

Non, je ne ferai plus partie du jeu…

Non, je n’écouterai pas les sirènes

Même attachée au grand mât…

 

Mon navire cingle vers le couchant

Le chemin des cieux n’est pas radieux

 

Pour moi, l’Ulysse désenchanté.

 

 

©Eliette Vialle

 

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Eliette Vialle

Francosemailles, mars-avril 2021

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