I - LES ÂMES MORTES
Un long hululement s’élève là-bas du
côté des gravières
Là où la végétation s’accroche bec
et ongle à la terre pauvre et friable cloutée de pierres aiguës
Dans un chaos infertile
Résurgence d’un autre âge
Quel est ce cri de désolation ?
Il monte pur et glacé
Suspendu un instant dans l’air hivernal
Et retombe.
C’est terminé…
Est-ce le cri de ralliement des âmes
mortes ?
C’est le jour exact et l’heure de
leur comptage lunaire
Les perdues, les oubliées, les
avortées se rassemblent et se dénombrent pour ne pas disparaître.
La lune arrondit son ventre
bienveillant
Et les absorbe toutes dans son ample
circonférence.
Les âmes mortes vont chanter sur une
note
Leur étrange mélopée
Qui fait frissonner le chat, hurler
le chien et ricaner les sorcières
Nous voilà, nous sommes là, les âmes
mortes
Jusqu’au revoir à l’autre lune…
Et disparaît le soleil
Tandis qu’explose la lune trop
ronde…
II – LES
PETITES HEURES
Les petites
heures au point du jour
Douces et
feutrées
Avant que ne
s’ouvrent les volets
Temps
suspendu
Entre jour
repoussé
Et nuit
prolongée à souhait…
Moments
intermédiaires un peu troubles
Quand la vie
à l’affût guette le jour
Quand
s’éloigne le rêve que l’on veut retenir
Moments
délicats de fragile dentelle
Que tisse
l’araignée dans l’angle d’un vieux mur
Que chante la
cigale en crissant ses élytres
Que peint le
soleil en voulant émerger
Repoussant
la nasse de la nuit
Heures
feutrées du jour
Entre deux
délicats
Moments
subtils éclatant de promesses
Que l’on
voudrait dilater
Pour l’Éternité.
III – JE T’AI EMBRASSE…
Je t’ai embrassé avec l’esprit
Je t’ai embrassé avec le cœur
Malgré la table et les couverts qui
nous séparaient
Malgré le serveur qui nous harcelait
Malgré les convives voisins qui
bavardaient
Parmi ces mouvements et ces sons qui
nous hantaient
Comme les fantômes, ombres
invisibles à nos yeux
Je t’ai embrassé avec mon cœur
Je t’ai embrassé avec mon esprit
Dans un élan cosmique qui balayait
tout le réel
Il ne restait plus que nous deux
Par-delà la table et ses couverts
Par-delà les serveurs et les
convives voisins
Qui devenaient flous et
s’estompaient
Je t’ai embrassé avec mon cœur.
IV – A QUOI RÊVAIS-JE ?
La nuit est
venue
Je ne m'en suis
pas aperçue
À quoi rêvais-je ?
L'obscurité
s'est installée
Je ne l'ai pas remarquée
À quoi rêvais-je ?
J'ai allumé
toutes les lumières
J'ai cru que ce
serait plus gai
Mais ça ne
l'était pas.
À quoi rêvais-je ?
J'ai attendu que
le jour se lève
Mais il était
pâle et froid
J'ai espéré sa
lumière
Pour dissiper
mon désarroi.
À quoi rêvais-je ?
J'ai refermé les
volets
Et me suis
blottie contre toi
J'ai retrouvé la
chaleur
J'ai retrouvé la
lumière
Et oublié mon
désarroi.
V – DOUCES SONT LES HEURES
Douces sont les heures
Qui chaque jour m’amènent vers toi
Elles ont des pleins et des déliés
Comme les écritures d’autrefois.
Chacune a son rythme qui épouse ma
vie
Certaines, effilochées passent dans
un rêve
D’autres traversent la réalité au
pas cadencé.
Elles défilent discrètes ou
virulentes
Ternes ou colorées
Elles escaladent l’échelle du temps
Qui va du clair matin à l’heure
désirée du revoir.
Douces sont les heures
Qui chaque jour m’amènent vers toi
VI – PETITS POUCETS
Nous cheminions ensemble…
En quels lieux ? En quel
temps ?
Ma mémoire se dérobe…
Dans mes souvenirs je me fourvoie…
Nous cheminions ensemble
L’obscurité, dans les sous-bois,
Chassait la lumière importune.
Le nuancier du clair-obscur
Digne d’un tableau ancien
Colorait d’un ton délicat
La vivacité originelle
Comme la brume d’un rêve
Qui se dépose.
Nous cheminions dans le sous-bois.
Nous devisions…
Tout était paix et harmonie
Nos paroles mêmes se fondaient
Dans la douceur un peu trouble
De ce matin d’autrefois…
En cheminant dans le sous-bois
Peu à peu nos pas s’égaraient,
Nous rencontrions des gens charmants
Sur les grands pins sur nous se penchant
Nous cheminions loin du sous-bois
Petits poucets oublieux
Du tracé blanc et rassurant des
cailloux
Déjà semés
Nous cheminions le long des crêtes
L’herbe sèche crissait sous nos pas
Il n’y avait plus d’ombre complice
Le soleil se terrait au couchant
Nous cheminions enfants perdus
Redoutant ce que serait l’issue
De cette errance mal venue
Nous cheminions désemparés mais
heureux
D’avoir trouvé une autre voie.
VII – DU HAUT DE LA MONTAGNE
Pantins grotesques et vains
Posés à la cime de la montagne
Nous dominions un univers austère
Bosselé de rochers gris et blancs
Vestiges d’une autre ère
Bubons monstrueux émergeant
D’un maquis épineux vert argent
Comme découpé dans le métal.
Le vent aigre giflait nos visages
Et mordait nos mains dénudées.
Ce n’était pas le sommet que je
voulais atteindre
Mais obtenir dans tes yeux une
certaine lueur.
Je ne sais quel chemin est le plus
rude
L’escarpement de la montagne
Ou celui si fermé de ton cœur.
VIII – ULYSSE DÉSENCHANTÉ
Un petit poucet malicieux a déposé
devant ma porte
Des petits cailloux blancs.
Vers quelle itinérance fatale
veut-il me conduire à nouveau ?
Par quels monts, par quels vaux,
devrais-je encore passer ?
Moi qui ai tant roulé ma bosse de
faux amours en vrais mensonges ?
Moi qui ai tant roulé ma bosse
d’illusions flamboyantes en réalités amères.
J’ai trop connu l’amour immaculé
fondant comme neige au soleil de la vérité
J’ai trop vu de forêts désenchantées
et de sentiers sans issue
Où irais-je encore perdre mes pas et
le peu de sens qui demeure en moi ?
Non je ne suivrai pas ce chemin
infécond.
Non, je n’irais pas me heurter au
mur infranchissable d’un hypothétique bonheur…
J’ai ramassé les cailloux blancs et
je les ai lancés sur le chat mordoré
Qui joue les sphinx dans mon jardin
Le chat comme dans le conte, a
souri…
Un lièvre pressé a détalé dans les
fourrés…
La Reine de cœur a trépigné de rage…
Non, je ne ferai plus partie du jeu…
Non, je n’écouterai pas les sirènes
Même attachée au grand mât…
Mon navire cingle vers le couchant
Le chemin des cieux n’est pas radieux
Pour moi, l’Ulysse désenchanté.
©Eliette Vialle
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