Écrire
avec les poings les murmures
les étincelles les
remous les remugles
Quel temps fait-il aujourd’hui dans ma
mémoire ?
Pluie pluie pluie anesthésie
le niveau des eaux monte
les souvenirs aussi
Enfermée en plein rêve
tourne la vie toupie
elle s’élance
glisse paysages invasifs
allers à rebours rebonds
et retours
traverser les tumultes
retenir les extases
Pluie pluie pluie anesthésie
dans mon livre intérieur
les images s’animent
Amazonie
***
Les cicatrices se réveillent les jours de
pluie
les racines
vagabondent
A Terra sem Mal
La Tierra sin Mal
La Terre sans Mal
Tupi Guaraní Yanomami
nu tu dansais conjurais la mort
aujourd’hui tu danses sur des
cendres
ton paradis profané
les machines ont
massacré
les arbres ivres de
tes forêts
Sauvage silence austral
c’était avant la cruauté
l’hystérie
Amazonie
le souffle de tes
chants rétrécit
avant l’agonie il faut
danser encore
pour ne pas périr ne
pas pourrir
Un serpent corail m’entoure le cœur
veille sur mes souvenirs
à mes heures
clandestines cogne encore
l’harmonie du monde
« Un sourire de jacaré
sur le sable du fleuve… »
***
Arythmies en rafales
les machines affolent
le pouls de la terre
vision initiatique du
néant
nous bouleversons la
dramaturgie du temps
Amazonie
comment te réensemencer ?
Parle à la terre et elle te répondra
Rérémi fafafafa fafafa
famirérémisol solfafamifa
suite suspendue rythme
syncope
nonchalante Bossa Nova
es-tu en train de me
dire que même l’Amour
joue désaccordé au
cœur du monde ?
Tu le sais les arbres l’océan ont la
parole
Bossa empêche mon souffle de sombrer
même en si bémol
murmure-nous une note
une goutte de vie
Amazonie mets de
côté
quelques greffons pour
nous sauver
***
Nul ne pénètre une forêt vierge
c’est elle qui nous
transperce
imbibe notre intimité
infiltre nos sens efface nos traces
l’aventure monumentale il
faut l’oser
Avec humilité j’ai approché
les fleuves puissants
j’ai glissé sur les
bras d’eau secrets
les igarapés où le ciel n’a plus cours
les arbres n’entrent
pas dans le regard
les voix s’enrayent
Intimidée
j’ai effleuré les
forêts premières
dans la touffeur des
grands seigneurs
Tapajós Xingú Rio Negro
affluents démesurés de sa
Majesté l’Amazone
éthérisée
j’ai senti le temps
s’insinuer entre vos rives
Cimes abîmes vertiges
chacun s’aveugle selon
ses toises ses hantises
fleuves abusifs à jamais
vous imprimez
mes navigations
intimes
***
Univers de lianes de racines
tout s’emmêle se noue
s’enroule
Trouée sur la rive
deux femmes accroupies
surgissent
seins entre les cuisses
Sur leurs joues rougies à l’urucum
deux cercles bleus se
devinent
les ancêtres Lune et
Soleil
le ventre de la
Terre
le ventre maternel
la vie est dans un
cercle
Femmes je songe à votre âge d’or
votre art élégant de
décorer les corps
femmes nues et vêtues
fardées de mystères
géométrie savante raffinée
libre
je songe à vos codes
inaccessibles
***
Leurs pieds font partie de la Terre
Dans l’indolence de la moiteur
posées
là comme une illusion
deux femmes malaxent
pétrissent
des extraits
d’éternité
emprisonnent des cendres
dans la boue cueillie
sur la rive
Héritières des étoiles mortes
dans
l’obscurité elles voient clair
elles modèlent lissent
peignent avec le doigt
ignorent notre barcasse
mais entendent
les millions d’années
la lente
inextricable histoire
étouffée dans le vert
Pelotonnée une enfant solitaire
les mains en tulipe
autour du visage
au fil de l’eau en
miroir me ramène
mon image lointaine
***
Femmes
vous portez les
secrets de l’immortalité
la sérénité d’une
caresse
femmes reflets des
aïeules imaginées
simplicité perdue quiétude
inconnue
Instant chef-d’œuvre vos couleurs
dans mes yeux
déteignent
s’imprègnent
Avec le fleuve le temps court
sans le brouillard des
discours
Femmes
regard à jamais posé sur
votre apparition
regard sans usure à
jamais musclé
par vos cuisses
enserrant vos seins
Femmes
sous vos mains
palpitent la boue limoneuse
les sédiments
façonnés
l’inaltérable répétition
de Femme en Femme
et sur vos joues la
vie encerclée
***
Amazonie
se refaire chaque
jour
une autre image de
toi-même
te réinventer
toi qui en moi ne
veut pas changer
De défi en furie
Amazonie
ta terre en veuve
noire reviendra
rejaillira dans la minute du
serpent
l’émeraude étouffante du boa
l’aiguillon sournois du
scorpion
Purgatoire infini
que purgeons-nous
en attente de quoi ?
Elle est toute à refaire
la carte fluviale de
mes souvenirs
mais vieille complice
je veille
sur nos indécelables
tronçons
***
Amazonie
en moi ta vie va
revient
par séquences
vacillantes
d’inaccessibles chemins
Mues successives
est-ce toi est-ce moi
l’écrire le relire
ne plus se
reconnaître
Amazonie
tes racines ont
besoin de ton ombre
se relire te retrouver rencontrer
cette ombre qui nous
double
Amazonie photographies
les mots ne sont pas
vieilles lunes
clichés jaunis
mais se relire
quel piège quelle chimie
!
« L'œil du tucano. Il est pour moi un
repère de re-naissance… »
***
La saudade
spectatrice pas sage
de moi rit fait
jaillir
des larmes de choix
Couleurs nuances imprévues
jouissance qui surgit
quand soudain bondit un
souvenir perdu
qui le restaure ?
À ton insu ton corps de tout se souvient
La saudade choie les idées folles
en dissonance avec
le réel
elle choie la vie qui
dans les mots coule
Amazonie
te découvrir encore
en moi encore
plus je te découvre et
plus tu jaillis
no peito dos desafinados
também bate um coração
doré mifami mirédo doréfa faréréré
dans la poitrine des
désaccordés
un cœur bat malgré
tout.
(Photos
de l’auteure)
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