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ARCHIVES FRANCO-SEMAILLES

 


Mars-Avril 2022

 

 

 

Guénane Cade : Amazonie désaccordée.

 

« …j’ai effleuré les forêts premières… »

 

Poèmes inédits

 

(*)

 

 

 

Écrire

avec les poings  les murmures

les étincelles les remous les remugles

 

Quel temps fait-il aujourd’hui dans ma mémoire ?

Pluie pluie pluie anesthésie

le niveau des eaux monte

les souvenirs aussi

 

Enfermée en plein rêve

tourne la vie toupie

elle s’élance glisse  paysages invasifs

allers à rebours rebonds et retours

traverser les tumultes

retenir les extases

 

Pluie pluie pluie anesthésie

dans mon livre intérieur les images s’animent

Amazonie

 

 

*** 

 

Les cicatrices se réveillent les jours de pluie

les racines vagabondent

 

A Terra sem Mal La Tierra sin Mal

La Terre sans Mal

Tupi  Guaraní  Yanomami

nu tu dansais  conjurais la mort

aujourd’hui tu danses sur des cendres

ton paradis profané

les machines ont massacré

les arbres ivres de tes forêts

 

Sauvage silence austral

c’était avant la cruauté l’hystérie

Amazonie

le souffle de tes chants rétrécit

avant l’agonie il faut danser encore

pour ne pas périr ne pas pourrir

 

Un serpent corail m’entoure le cœur

veille sur mes souvenirs

à mes heures clandestines cogne encore

l’harmonie du monde

 

 

« Un sourire de jacaré sur le sable du fleuve… »

 

 

*** 

 

Arythmies en rafales

les machines affolent le pouls de la terre

vision initiatique du néant

nous bouleversons la dramaturgie du temps

Amazonie

comment te réensemencer ?

 

Parle à la terre et elle te répondra

 

Rérémi fafafafa  fafafa

                     famirérémisol  solfafamifa

suite suspendue rythme syncope

nonchalante Bossa Nova 

es-tu en train de me dire que même l’Amour

joue désaccordé au cœur du monde ?

 

Tu le sais les arbres l’océan ont la parole

Bossa empêche mon souffle de sombrer

même en si bémol murmure-nous une note

une goutte de vie

Amazonie mets de côté

quelques greffons pour nous sauver

 

 

*** 

 

Nul ne pénètre une forêt vierge

c’est elle qui nous transperce

imbibe notre intimité

infiltre nos sens  efface nos traces

l’aventure monumentale il faut l’oser

 

Avec humilité j’ai approché

les fleuves puissants

j’ai glissé sur les bras d’eau secrets

les igarapés où le ciel n’a plus cours

les arbres n’entrent pas dans le regard

les voix s’enrayent

 

Intimidée

j’ai effleuré les forêts premières

dans la touffeur des grands seigneurs

Tapajós  Xingú  Rio Negro

affluents démesurés de sa Majesté l’Amazone

éthérisée

j’ai senti le temps s’insinuer entre vos rives

 

Cimes abîmes vertiges

chacun s’aveugle selon ses toises ses hantises

fleuves abusifs à jamais vous imprimez

mes navigations intimes

 

 

*** 

 

Une image contenant arbre, extérieur, plante, forêt

Description générée automatiquement

 

Univers de lianes de racines

tout s’emmêle se noue s’enroule

 

Trouée sur la rive

deux femmes accroupies surgissent

seins entre les cuisses

 

Sur leurs joues rougies à l’urucum

deux cercles bleus se devinent

les ancêtres Lune et Soleil

le ventre de la Terre

le ventre maternel

la vie est dans un cercle

 

Femmes je songe à votre âge d’or

votre art élégant de décorer les corps

femmes nues et vêtues fardées de mystères

géométrie savante raffinée libre

je songe à vos codes inaccessibles

 

 

*** 

 

Leurs pieds font partie de la Terre

 

Dans l’indolence de la moiteur

                     posées là comme une illusion

deux femmes malaxent pétrissent

des extraits d’éternité

emprisonnent des cendres

dans la boue cueillie sur la rive

        

Héritières des étoiles mortes

                     dans l’obscurité elles voient clair

elles modèlent  lissent

peignent avec le doigt

ignorent notre barcasse mais entendent

les millions d’années

la lente inextricable histoire

étouffée dans le vert

 

Pelotonnée une enfant solitaire

les mains en tulipe autour du visage

au fil de l’eau en miroir me ramène

mon image lointaine

 

 

*** 

 

Femmes

vous portez les secrets de l’immortalité

la sérénité d’une caresse

femmes reflets des aïeules imaginées

simplicité perdue quiétude inconnue

 

Instant chef-d’œuvre vos couleurs

dans mes yeux déteignent

s’imprègnent

 

Avec le fleuve le temps court

sans le brouillard des discours

 

Femmes

regard à jamais posé sur votre apparition

regard sans usure à jamais musclé

par vos cuisses enserrant vos seins

 

Femmes

sous vos mains palpitent la boue limoneuse

les sédiments façonnés

l’inaltérable répétition

de Femme en Femme

et sur vos joues la vie encerclée

 

 

*** 

 

Une image contenant arbre, extérieur, noir, oiseau

Description générée automatiquement

 

Amazonie

se refaire chaque jour

une autre image de toi-même

te réinventer

toi qui en moi ne veut pas changer

 

De défi en furie

Amazonie

ta terre en veuve noire reviendra

rejaillira dans la minute du serpent

l’émeraude étouffante du boa

l’aiguillon sournois du scorpion

 

Purgatoire infini

que purgeons-nous

en attente de quoi ?

 

Elle est toute à refaire

la carte fluviale de mes souvenirs

mais vieille complice je veille

sur nos indécelables tronçons

 

 

*** 

 

Amazonie

en moi ta vie va revient

par séquences vacillantes

d’inaccessibles chemins

 

Mues successives

est-ce toi  est-ce moi

l’écrire le relire

ne plus se reconnaître

 

Amazonie

tes racines ont besoin de ton ombre

se relire  te retrouver  rencontrer

cette ombre qui nous double

 

Amazonie  photographies

les mots ne sont pas vieilles lunes

clichés jaunis

mais se relire

quel piège quelle chimie !

 

 

« L'œil du tucano. Il est pour moi un repère de re-naissance… »

 

 

*** 

 

La saudade

spectatrice pas sage

de moi rit fait jaillir

des larmes de choix

 

Couleurs nuances imprévues

jouissance qui surgit

quand soudain bondit un souvenir perdu

qui le restaure ?

À ton insu ton corps de tout se souvient

 

La saudade choie les idées folles

en dissonance avec le réel

elle choie la vie qui dans les mots coule

Amazonie

te découvrir encore en moi encore

plus je te découvre et plus tu jaillis

no peito dos desafinados

também bate um coração

doré mifami mirédo doréfa faréréré

dans la poitrine des désaccordés

un cœur bat malgré tout.

 

(Photos de l’auteure)

 

(*)

 

Guénane Cade

 

1943, Lorient, place forte de la résistance allemande, est détruite par les Alliés. Exode, Guénane naît au cœur de la Bretagne. Après des études de Lettres à Rennes où elle a enseigné, elle a vécu 12 ans en Amérique du Sud. Elle vit en rade de Lorient, a refait plusieurs séjours sous le Capricorne.

Depuis Résurgences en 1969, elle a publié une quinzaine de recueils aux Éditions Rougerie. La Ville secrète, 2011, évoque Lorient anéantie. En 2014 paraît Un rendez-vous avec la dune, puis La sagesse est toujours en retard en 2016 et Ta fleur de l’âge en 2019. Elle a publié aussi 17 livrets aux Éditions La Porte dans la collection Poésie en voyage, des livres d’artistes et une douzaine de romans et récits.

 

Site personnel : www.guenane.fr

 

***

 

Ce cycle inédit dédié à l’Amazonie nous fait pénétrer dans la forêt vierge d’une Poésie envoutante : merci pour ce don exquis fait à Francopolis, chère Guénane ! (D.S.)

 

 

 

Guénane Cade

Francosemailles, mars-avril 2022

Recherche : Dana Shishmanian

 

 

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Créé le 1 mars 2002