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ARCHIVES FRANCO-SEMAILLES

 


Mai-Juin 2021

 

 

« Ce manque chevillé à l’âme… »

Poèmes inédits de Jacques Rolland

Avec les dessins et peintures de l’auteur

 

Jacques Rolland, Fantasmagorie

 

 

Pousser la vieille grille,

l’entendre se plaindre un peu,

s’enfoncer dans le sous-bois

de sa mémoire,

suivre le serpent

d’un petit chemin de feuilles

qui remonte le temps.

 

***

 

Le parquet geignait dans l'escalier sous les pas de mon père. Le bruit de sa clé dans la serrure ensoleillait les dimanches ; il annonçait les arômes de café au lait et de pain viennois qui embaumaient notre petite cuisine dont la fenêtre s'ouvrait sur les toits. Sur les tôles zinguées, des pigeons indigents lorgnaient nos agapes tandis que cinq étages plus bas, dans la rue déserte, le dernier cheval parisien s'ébrouait dans ses brancards. Le charretier brocardait la crémière du quartier qui était causante et fière : son fils, grand voyageur de commerce, vendait du formica. La peau de mon père sentait bon le café. J'avais volé sa place dans le lit conjugal et comme je pressentais d'inéluctables naufrages, pour avaler la couleuvre du temps, je serrais plus fort mon bonheur dans les bras de ma mère.

 

***

 

- Tu reviens dans pas longtemps alors ?

- Dans pas longtemps maman... dans pas longtemps...

Je reviens tout à l'heure, à l'heure des ardeurs de l'été aux frimas des chemins creux, à l'heure du Fond de la Noue aux doux mornes quais de Seine, à l'heure de la silhouette de papa courbé sur sa peine et ses illusions aux petits bonheurs glanés sur les collines de la providence, à l'heure morfondue des dimanches gris de mon adolescence à la mélancolie bleue de tes belles Combrailles. Je reviens tout à l'heure maman.

Et puis tu serres son beau visage fané dans tes bras, tu t'imprègnes encore de la douceur de sa joue sur la tienne, et le cœur à fleur de peau tu te retournes sur le vide, tu comptes les pas qui l'éloignent de toi, les pas inexorables qui excisent le temps qui reste.

 

***

 

Jacques Rolland, La gloire de ma mère

 

Maman, dans moins de trois heures, j'accosterai sur ton île déserte, cette barque de solitude dérivant depuis de long mois sur les hauts fonds de l'oubli. Tout étourdi encore par les embruns du voyage et mordu par l'impatience de te retrouver, je poserai sur ton lit ensablé mes avirons et mon sac de larmes bien refermé. Je prendrai ton visage dans mes mains. Je chercherai dans ton regard de bonté la lueur d'un souvenir, l'aiguille d'une tendresse. Et j'allumerai une torche dans cette grotte où ton âme errante cherche à tâtons les portes du Ciel, celui que ton dieu de providence me promettait quand tout petit déjà, j'avais peur de te perdre.

 

***

 

Le silence c'est l'écharpe du bonheur, l'obsolescence muette des jours heureux, la pluie entêtée et battante des visages figés dont la joue reposait sur la paume de l'amour, le silence c'est le bruit obsédant des remords, galets et graviers roulant vifs sous le pied dans le lit escarpé de la mémoire, le silence c'est la petite laine des tendresses perdues, la plaie vive des partances, l'empreinte aphone des voix familières dans les neiges de l'antan. Le silence c'est la présence au monde de l'envers du réel.

 

***

 

J'écris les siècles, les secondes qui me séparent du vent, qui précédent l'irrévocable dispersion, l'instant où, aveuglé par la lumière noire du réel et assigné au silence des mots, j'aurai cessé de me cogner au mur de la raison, cessé de chercher le chiffre de ma présence au monde, l'instant où j'aurai cessé d'être et me mouvoir dans cette attente irrésolue, ce manque chevillé à l'âme dont les mots ne peuvent nommer l'objet.

 

***

 

Un monde qui me semblait immuable n'existe plus désormais que dans ma mémoire au point que le temps qui creuse le fossé entre lui et moi le nimbe d'un voile d'irréalité et de sourde mélancolie. Alors dans sa quête d'une éternité perdue, d'un temps hors du temps, apaisé, l'écriture se pose en archéologie du désir, l'expression sensible d'un continuum entre la source et le delta.

Entre les premiers feux de l'enfance et l'extinction de la forge, par l'épée suspendue dans la nuit et l'offrande du jour toujours recommencé, chahutée par les vagues dans une mer de survivance, voyez comme s'agite la petite lampe-tempête d'un pêcheur de mots.

 

***

Jacques Rolland, Les hommes

 

 

Tous les poètes sont des marins…

À François Morel

 

Quand le chagrin fait des vagues,

quand les vagues font la mer,

quand la mer dessine l’horizon

des destins d’infortune,

quand les amours laissées à quai

remontent comme des noyés

dans les phosphorescences de la lune,

quand la vie s’éprend du large

et se blottit la nuit dans les ports,

quand la nuit allume des feux dans les bocks

que l’on boit sec à la vie à la mort,

quand le ciel est en larmes

et toute la ville en pleurs,

alors avec Le Guilvinec jusqu’au matin

je berce à la hune des couplets 

« tous les marins sont des chanteurs »

tous les poètes sont des marins…

 

©Jacques Rolland

 

Autoportrait

Jacques Rolland vit à Villeurbanne. De nombreux poèmes ont été publiés sous son nom ces dernières années dans divers blogs et revues de poésie (papier, en ligne) : Le Capital des Mots, Francopolis, Ecrits…Vains, Pleutil, La page Blanche, Comme en Poésie, Les Cahiers de Poésie, Les Tas de Mots, l’Intemporel, Emmila Gitana, Danger Poésie… En anthologies : Poètes face à la vie (Éditions de l’Athanor), Du Souffle sous la Plume, n°2, n°3, n°5, n°7 (Les Joueurs d'Astres Éditions), Visages de Poésie (Jacques Basse - Anthologie n°5 - Éditions Rafael de Surtis), Lettrae Vox … Un unique recueil de jeunesse « Les chants écorchés » (L’Athanor 1976).

 

Il est parmi les tous premiers auteurs publiés à Francopolis, qui l’a accueilli à plusieurs reprises (pour le retrouver : Jacques Rolland).

 

 

 

Jacques Rolland

Francosemailles, mai-juin 2021

recherche : Dana Shishmanian 

 

 

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Créé le 1 mars 2002