Articles sur les poètes francophones contemporains
&
Poètes du monde entier

ACCUEIL

ARCHIVES FRANCO-SEMAILLES

 

Été 2025

 

Stéphane Casenobe :

« J’écris là où n’arrive pas la lumière… »

Six poèmes inédits

 

Une image contenant dessin, art, Dessin d’enfant, peinture

Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.

©Jacques Grieu, De vous à moi

 

(*)

 

 

 

Car je suis à moi seul une constellation d’étoiles éteintes

 

 

 

J’écris parce que je ne suis pas prêt

J’écris comme une médecine qui guérit

Et qui aurait cru que je sauverai le monde à moi seul

Ce que j’écris c’est beau mis je n’y comprends rien

L’aveugle en moi-même me guide

Il me faut ébrécher la poésie de papa

J’entame mon deuxième tour de piste en poésie moderne

Je ne suis seul que l’intérieur

Je n’ai rien dans la vie pas même un premier rôle

La haine vient du cœur je crois

Tous ces cœurs de merde et de titane

Écrire sans formule

Sans remède biologique

Je consulte deux fois l’oracle de service

En vain

Car Dieu filtre mes prières d’enfant

D’adulte aussi

 

 

 

 

 

Et pourquoi suis-je devenu si heureux

 

 

 

Et oui

Je me fous pas mal de la poésie de papa

Je ne crains pas le mental d’acier de la bête

Est-ce une mouche psychique qui me survole

Le poète ment aux enfants dans la vraie vie

Et qui m’a désigné poète de service

Là où il y a des limites je m’égare

Je me réjouis d’être un faiseur d’évangiles

Et sous sérum de vérité j’écris encore

Pourquoi la vie est si pute avec moi

Dans mes mots les anges se percutent en plein vol

J’écris là où chaque centimètre carré à son importance

La poésie ne me délivre pas du mal

Bien au contraire

Et me revient dans la gueule la part obscure

 

 

 

 

 

Des mille pires poèmes que j’ai écrits figure celui-ci

 

 

 

Et je me vois faire des manœuvres magiques avec la poésie moderne

Croyez-moi tout reste à dire dans ce domaine

Je suis un hiver froid et nucléaire

D’être enfin reconnu comme le plus grand poète de ma génération ne m’emmerde pas trop

D’être et de n’être pas revenu au bercail là est la question

Le paradoxe

Et je crache au visage du bourreau

De l’oracle aussi

À mon passage le ciel rentre ces étoiles chastes et naïves

Prédateur que je suis

Prédateur des nouvelles peaux

J’écris pour que l’alcool devienne pisse

J’écris là où n’arrive pas la lumière

Sans évidence

 

 

 

 

 

Et ces milliards d’étoiles qui ne veulent plus briller entre-elles

 

 

 

Tous les mots que je peux réunir me dépassent

J’écris dans des séquences en hélice
Froides

J’ai à moi seul l’énergie de toute une ville

Peut-être faudra-t-il descendre un peu plus bas pour écrire terre à terre

Écrire est-ce trop enfantin

Non

Je n’ai pas les poèmes que je mérite

Et ai-je fait un cycle complet en poésie moderne

Et toutes ces étoiles qui n’ont pas de ciel pour se porter

Qu’en faire

Oui

J’écris jusqu’aux catastrophes de la nuit humaine

Pourquoi mes mots ne s’adressent-ils plus la parole

Je ne dispose plus que d’un aller simple

Le poète n’est qu’un lieu de passage comme un autre je crois

 

 

 

 

 

Ces crachats sous mes semelles molles

 

 

 

J’emploie une langue seconde pour me faire comprendre

Des mots qui brûlent l’air m’envahissent

Car ce n’est pas ma faute d’avoir ce talent de poète

On explique pas la lumière avec des mots

Qui écrit là

Qui parle ici

Je suis cet astre si commun

Si l’on ne fait rien la grande majorité des poètes disparaîtront d’ici un siècle tout au plus

Je me suis égaré dans la matière écrite et je n’en bouge plus

Et mourir par le mal est-ce œuvrer pour la vie

Écrire est au-dessus de mes moyens

N’avoir aucun soupçon de mon talent d’auteur devient la règle

Car mes mots sont médiocres mais la lumière est belle

 

 

 

 

 

Là ou vagabonder devient nécessaire

 

 

 

Mon poids d’ombre équivaut à mon poids de lumière

Car je suis un poids plume en poésie moderne 

J’écris mais ça fait mal

J’écris comme un chien froid

Les signes ne s’alignent plus entre eux

La mort répond-elle aussi à la gravitation

La gravité use l’âme légère

Oui

Jusqu’à ce que l’arbre ne me donne plus d’ombre

L’arbre mort me donne encore de l’ombre

Oui

Écrire ce n’est pas du temps qui passe mais du temps qui fuit

J’écris aux bergeries perdues d’un univers lui aussi égaré

Poète envoie-moi un prophète

Et j’aliénerai le monde à moi tout seul

La prière est un acte trouble

Un acte vain

Prier n’est plus nécessaire

 

 

 

©Stéphane Casenobe

 

(*)

 

Découvert il y a tout juste un an, à la rubrique Terra incognita de notre numéro d’été 2024 (Stéphane Casenobe :  12 poèmes inédits), le Poète persiste et signe : il ne rechigne pas à être reconnu comme tel…

 

« D’être enfin reconnu comme le plus grand poète de ma génération ne m’emmerde pas trop »

 

Et le défi me semble tout justifié. Car il se sent comblé d’un don qui le dépasse et qu’il porte avec humilité au-delà/en-deçà de l’écriture même, puisque « tout reste à dire »…

Je ne peux que reproduire, en les confirmant, les réflexions que m’avaient inspiré ses poèmes précédents, tant à la rubrique susmentionnée que, en même temps, en livre numérique dans notre Bibliothèque Francopolis n° 11 (Stéphane Casenobe, Peut-être me faudra-t-il une autre planète) : 

« Stéphane Casenobe rejette avec panache la poésie lénifiante à laquelle on colle les étiquettes de nos utopies faciles. Ses textes jaillissent comme d’un tourbillon alternant pépites lyriques et pieds-de-nez déconcertants, on est en permanence dans la surprise, l’inattendu, le paradoxe, le sur-le-qui-vive, on est dans l’urgence de dire malgré ou contre tout et en même temps, de transcender le dire par le dedans par le dehors par toute faille qui vaille… Rarement un parler poétique contemporain a virevolté avec autant de désinvolture et de grâce naturelle par-dessus toutes les préconceptions et les stéréotypes du métier… car le poète est un professionnel engagé dans un travail fort compliqué, risqué voire dangereux, puisqu’après tout la poésie, il « ne l’utilise que comme outil » – pour, dirait-on, atteindre autre chose, ailleurs…. par l’ironie et l’auto-dérision comme par le sarcasme le plus acéré jeté à la face d’un monde technologisé et déshumanisé. Tel est le poète qui danse sur la corde raide, suspendu au-dessus de la scène du théâtre : on ne l’avait depuis longtemps aperçu à nouveau, parmi nous, avec autant de netteté. Qu’il soit le bienvenu ! »

Qu’il soit le bienvenu, encore, dans notre Bibliothèque Francopolis n° 13, avec son nouveau recueil numérique qui paraîtra sous peu en version imprimée aux Éditions Bernard Bidaut / Encretoile : Stéphane Casenobe, Non ! Les étoiles ne nous sont pas destinées.

(D.S.)

 

 

 

Stéphane Casenobe

Francosemailles, Été 2025

Recherche Dana Shishmanian

 

 

Accueil  ~  Comité Francopolis ~ Sites Partenaires  ~  La charte  ~  Contacts

Créé le 1er mars 2002