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Automne 2024

 

Isabelle Poncet-Rimaud, L’écorce du silence

(éditions Unicité, janvier 2024, 106 p., 13 €)

 

Dans la lecture de Sonia Elvireanu 

 

 

 

Écouter parler le silence

 

Une véritable symphonie le nouveau recueil de poèmes d’Isabelle Poncet-Rimaud dont les accords fins nous enchantent. Le superbe titre, L’écorce du silence, ouvre au lecteur de multiples voies d’interprétation. Les deux mots du syntagme renvoient tout d’abord à un tissu invisible où palpitent les impulsions des sons encore indéfinis, puis les mots à jaillir du silence pour prendre vie, s’articuler sur la page blanche, elle-même une écorce où s’impriment les phrases, les images qui rendent la vie terrestre par l’œil poétique.

Le silence invoqué par le poète est vivant, bénéfique, créateur, car il est lumière qui s’oppose aux ténèbres, vibration convertie peu à peu en susurrement, venant de partout, de l’extérieur et du dedans de l’être, comme une soif de vie qui explose à l’instant de grâce où l’invisible, l’impalpable laisse entrevoir ses voiles secrètes : « Il aura suffi d’un rien/ la culbute d’un son/ sur la pente d’un mot/ pour que s’ouvre la feuillure du langage/ et s’y loge l’étrave du poème ».

« Un silence qui est celui du visible et de l’invisible » donne naissance aux poèmes courts, mais denses, riches de sens, sans titres pour la plupart, dédiés aux êtres avec qui Isabelle partage sa vie, mais aussi aux artistes, plasticiens et aux musiciens, à ses amis et partenaires au fil du temps. Le silence, pareil à un fil de soie dont les vibrations font naître « les sons du monde » sur la page, c’est le silence primordial d’où réverbère la lumière, les mots de l’au-delà pour nous rappeler l'éternité de la vie. C’est la joie d’être et de renaître que le poète célèbre dans ses poèmes réunis dans sa partition musicale tripartite : Feuillures du silence, À l’ombre des silences, Les cordes du silence.

Tant d'écorces et de silences autour de nous qui frémissent : l'air que l'on respire, l'eau et ses profondeurs, les arbres, le ciel ; et dedans : le cerveau où s'entassent les réflexions avant de se faire entendre, l’océan intérieur, l’âme, la mémoire où flottent impalpables les miettes de chaque jour qui s'éteint.

C’est le parchemin du temps dans les poèmes d’Isabelle Poncet-Rimaud, ses vibrations douloureuses, ses blessures, ses joies, ses pertes, ses bienfaits, l’amour qui donne sens à la vie, l’écho de la mort, la force de la vie qui prend le dessus.

Le silence est dense, coloré, plein, vert, blanc selon les saisons, incitant. Il incite celui qui sait l’écouter à la contemplation, à la réflexion, à la création. C’est un immense écran du temps où palpite la vie, le présent, les souvenirs d’un passé éloigné, le présentiment du futur. Sur l’écorce du silence s’impriment les frémissements de la terre, ses secousses, ses blessures, ses renaissances au printemps et ceux de l’homme. Les cordes du silence s’étirent du quotidien vers le monde lointain pour ne rien perdre des vibrations de la terre, de ses accords ou désaccords avec l’homme.

          Il suffit d’un regard attentif, d’une oreille fine pour déchiffrer les vibrations du silence extérieur ou intérieur, les convertir en langage. Un endroit privilégié pour le poète, un carré de terre, un jardin, archétype de celui originaire devient axis mundi et source de sensations, saveurs, états d’âme, souvenirs, réflexions : « Sentir la force muette/ des plantes,/ la soif contenue/ dans le repli des feuilles,/ l’agressive chaleur/ dans la morsure/ affolée/ des insectes./Cueillir la fragilité/ du lendemain/ sur les larmes séchées de la vigne/ -tout à coup - / sevrée de vie… ».

          L’arbre de la vie est là à l’échelle terrestre pour rappeler celui du paradis, secoué par tous les vents, l’image de l’homme et de sa vie.  Le macrocosme se miroite dans le microcosme du jardin du poète.

          « Dans le bruit et dans le calme/ le silence a même épaisseur/, celle d’une densité intérieure/ qui isole et remplit ». Le silence extérieur est prélude au silence intérieur qui capte tout du dehors, le passe par le philtre mystérieux de l’âme pour le restituer autrement par le langage poétique. « C’est un silence fait de lumière/ lumière qui sait/se taire », un silence où « l’être est à l’écoute de l’indicible ». Conscient qu’il ne reste que des traces de nos passages, le poète nous exhorte à goûter « les bonheurs de vivre ». 

Isabelle Poncet-Rimaud se laisse aller au paysage en changement du jardin, telle la vie, tout en réfléchissant au temps impitoyable, à la mémoire, à l’oubli, au danger des vents violents de l’Est (allusion à la guerre peut-être), exprimant sa soif de lumière, de liberté, d’exister, de savourer les instants heureux de la vie, la nostalgie de l’enfance innocente, brisée comme une coquille.

Interrogations existentielles sur « mourir ou naître à la vie », réflexions sur hier, maintenant, demain, un délicat langage des images, le goût de joie et d’éternité, une communion secrète de la terre avec l’être du poète, un appel à la vie nous enchantent dans les nouveaux poèmes d’Isabelle. Elle ne trahit jamais la haute poésie, reste à la hauteur par son style dense et raffiné, malgré l’attention accordée aux détails du quotidien :

Des pas sur l’estran des mémoires

que la mer du temps allé

reliera

autant qu’effacera.

Que restera-t-il de tes mots

quand la batture des eaux les livrera

sans défense

au bec des vents contraires ?

 

© Sonia Elvireanu

 

 

Isabelle Poncet-Rimaud lue par Sonia Elvireanu

Francosemailles, Automne 2024

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