Écouter parler le silence
Une véritable symphonie le nouveau
recueil de poèmes d’Isabelle Poncet-Rimaud dont
les accords fins nous enchantent. Le superbe titre, L’écorce du silence, ouvre au lecteur de multiples voies
d’interprétation. Les deux mots du syntagme renvoient tout d’abord à un
tissu invisible où palpitent les impulsions des sons encore indéfinis,
puis les mots à jaillir du silence pour prendre vie, s’articuler sur la page
blanche, elle-même une écorce où s’impriment les phrases, les images qui
rendent la vie terrestre par l’œil poétique.
Le silence invoqué par le poète est
vivant, bénéfique, créateur, car il est lumière qui s’oppose aux
ténèbres, vibration convertie peu à peu en susurrement, venant de
partout, de l’extérieur et du dedans de l’être, comme une soif de vie qui
explose à l’instant de grâce où l’invisible, l’impalpable laisse
entrevoir ses voiles secrètes : « Il aura suffi d’un rien/ la culbute d’un son/ sur la pente d’un
mot/ pour que s’ouvre la feuillure du langage/ et s’y loge l’étrave du
poème ».
« Un silence qui est
celui du visible et de l’invisible » donne naissance aux poèmes
courts, mais denses, riches de sens, sans titres pour la plupart, dédiés
aux êtres avec qui Isabelle partage sa vie, mais aussi aux artistes,
plasticiens et aux musiciens, à ses amis et partenaires au fil du temps.
Le silence, pareil à un fil de soie dont les vibrations font naître
« les sons du monde »
sur la page, c’est le silence primordial d’où réverbère la lumière, les
mots de l’au-delà pour nous rappeler l'éternité de la vie. C’est la joie
d’être et de renaître que le poète célèbre dans ses poèmes réunis dans sa
partition musicale tripartite : Feuillures
du silence, À l’ombre des silences, Les cordes du silence.
Tant d'écorces et de silences autour de
nous qui frémissent : l'air que l'on respire, l'eau et ses
profondeurs, les arbres, le ciel ; et dedans : le cerveau où
s'entassent les réflexions avant de se faire entendre, l’océan intérieur, l’âme, la mémoire où flottent impalpables les
miettes de chaque jour qui s'éteint.
C’est le parchemin du temps dans les
poèmes d’Isabelle Poncet-Rimaud, ses vibrations
douloureuses, ses blessures, ses joies, ses pertes, ses bienfaits,
l’amour qui donne sens à la vie, l’écho de la mort, la force de la vie
qui prend le dessus.
Le silence est dense, coloré, plein, vert, blanc selon les
saisons, incitant. Il incite celui qui sait l’écouter à la contemplation,
à la réflexion, à la création. C’est un immense écran du temps où palpite
la vie, le présent, les souvenirs d’un passé éloigné, le présentiment du
futur. Sur l’écorce du silence s’impriment les frémissements de la terre,
ses secousses, ses blessures, ses renaissances au printemps et ceux de
l’homme. Les cordes du silence s’étirent du quotidien vers le monde
lointain pour ne rien perdre des vibrations de la terre, de ses accords
ou désaccords avec l’homme.
Il suffit
d’un regard attentif, d’une oreille fine pour déchiffrer les vibrations
du silence extérieur ou intérieur, les convertir en langage. Un endroit
privilégié pour le poète, un carré de terre, un jardin, archétype de
celui originaire devient axis mundi et source
de sensations, saveurs, états d’âme, souvenirs, réflexions : « Sentir la force muette/ des plantes,/ la
soif contenue/ dans le repli des feuilles,/ l’agressive chaleur/ dans la
morsure/ affolée/ des insectes./Cueillir la fragilité/ du lendemain/ sur
les larmes séchées de la vigne/ -tout à coup - / sevrée de vie… ».
L’arbre de
la vie est là à l’échelle terrestre pour rappeler celui du paradis,
secoué par tous les vents, l’image de l’homme et de sa vie. Le macrocosme se miroite dans le
microcosme du jardin du poète.
« Dans le bruit et dans le calme/ le
silence a même épaisseur/, celle d’une densité intérieure/ qui isole et
remplit ». Le silence extérieur est prélude au silence intérieur qui
capte tout du dehors, le passe par le philtre mystérieux de l’âme pour le
restituer autrement par le langage poétique. « C’est un silence fait de lumière/ lumière qui sait/se taire »,
un silence où « l’être est à
l’écoute de l’indicible ». Conscient qu’il ne reste que des
traces de nos passages, le poète nous exhorte à goûter « les bonheurs de vivre ».
Isabelle Poncet-Rimaud se laisse aller au paysage en changement
du jardin, telle la vie, tout en réfléchissant au temps impitoyable, à la
mémoire, à l’oubli, au danger des vents violents de l’Est (allusion à la
guerre peut-être), exprimant sa soif de lumière, de liberté,
d’exister, de savourer les instants heureux de la vie, la nostalgie de
l’enfance innocente, brisée comme une coquille.
Interrogations existentielles sur
« mourir ou naître à la vie »,
réflexions sur hier, maintenant, demain, un délicat langage des images,
le goût de joie et d’éternité, une communion secrète de la terre avec
l’être du poète, un appel à la vie nous enchantent dans les nouveaux
poèmes d’Isabelle. Elle ne trahit jamais la haute poésie, reste à la
hauteur par son style dense et raffiné, malgré l’attention accordée aux
détails du quotidien :
Des pas sur
l’estran des mémoires
que la mer du temps allé
reliera
autant qu’effacera.
Que restera-t-il
de tes mots
quand la batture des eaux les livrera
sans défense
au bec des vents contraires ?
© Sonia Elvireanu
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