Billet d'humour ou ballade d'humeur
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Aux ressources humaines


Le bureau du directeur des ressources humaines. Lui est assis à son bureau et lit un rapport. Un  ordinateur est posé prés de lui et parfois, il en tapote le clavier. On frappe, et entre l’un des  employés de l’entreprise.

Employé : Bonjour … J’avais pris rendez-vous avec votre secrétariat

Directeur: Oui bonjour, ma secrétaire est partie maintenant, il est tard, mais elle m’avait averti. Je vous attendais.

Employé: Je ne pouvais venir vous voir qu’à cette heure-là, c’est tard, je suis désolé.

Directeur: Ah vous êtes en horaire décalé… Ce n’est pas grave, il n’est pas si  tard….Asseyez-vous, je vous en prie.

Employé: Non, si vous permettez, je vais rester debout…

Directeur: Comme vous voulez (C’est un homme poli, et lui-même se met debout)…De quoi s’agit-il ?

Employé: Je viens vous voir parce que je n’ai pas reçu ma paie… Depuis 4 mois  exactement…

Directeur: Comment est-ce possible ? Vous auriez dû  le signaler à la comptabilité  immédiatement. Quatre mois sans salaire, c’est inadmissible...

Employé: Je les ai appelés… Mais tout a tourné au dialogue de sourds. Le chef comptable  ne veut rien entendre.

Directeur: Hugolin ! Il est très compétent….Vous n’avez rien reçu pendant 4 mois ? Rien  de rien .

Employé : Ah non, rien, rien de rien, je puis vous le garantir. Monsieur Hugolin n’a rien  lâché. Il m’a raccroché au nez. Il m’a raccroché au nez plusieurs fois… et c’est  pour cela que je viens vous voir.

Directeur: J’ai dû mal que croire que nos services soient si mal organisés… Vous avez  contacté votre banque, j’imagine. Les banques perdent les virements parfois, et  plus souvent qu’on ne le pense…

Employé : Non la banque n’a rien reçu ces derniers quatre mois. Ils n’ont rien pu perdre.
Cela dit, comme je suis en situation délicate sur le plan bancaire, j’ai préféré ne  pas appeler ces derniers jours. Je me fais discret.

Le directeur se rassoie à son bureau et allume l’ordinateur

Directeur : Je vais regarder votre dossier… Voilà… Je l’imprime.

L’employé saisi trois pages sur l’imprimante derrière lui et les tend une à une au directeur qui lui parlera en même  temps.

Directeur: (saisissant une feuille) Merci. Pierre Duvalet, 2 octobre 1961, entré dans l’entreprise  le 8 juillet 1988… C’est une bonne carrière, c’est rare de rester si longtemps dans  une entreprise…. Vous êtes dessinateur industriel au service aéronautique.

Employé: Exactement (il lui tend la deuxième feuille)

Directeur: Vous gagnez 3.400 euros par mois… (il saisit la dernière feuille) et vous avez quitté  le service le 5 août 2006… Vous êtes mort d’une crise cardiaque pendant que  vous étiez en vacances, et votre femme nous a appelés pour le signaler.

Employé: Voilà… Et je ne suis plus payé depuis le mois d’août… Je dois vous dire que  l’entreprise a été très bien. Ma veuve a reçu un chèque de soutien et le service a  fait déposer une gerbe.

Directeur: J’ai la berlue… Pourquoi voulez-vous être payé ? Vous ne travaillez plus pour  nous.

Employé: Ce n’est pas si simple. j’ai besoin d’argent comme tout le monde, il faut bien que  je vive – enfin si je puis dire…

Directeur: Mais vous ne travaillez plus pour l’entreprise, je me répète. Hugolin a dû vous
faire cette réponse.

(Il se lève de son siège)

Employé: Ce n’est pas si simple. Je me répète moi aussi. J’ai deux arguments. Rasseyez –
vous, voyons. Je ne viens pas pour occuper votre bureau    ou pour vous  séquestrer. Je veux vous parler…Voila, asseyez-vous… D’abord, d’où je suis, je  peux être très utile. Pour le renom de l’entreprise, avoir un agent comme moi,  c’est certainement ce qu’il y a de mieux. Je suis actif, bien informé, et surtout  très disponible. Vous devriez me mettre en contact avec la direction de la  communication… Je peux rendre de grands services… Et puis ensuite, recevoir une rétribution mensuelle, sans travailler pour autant, ce n’est pas rare chez nous,  enfin dans l’entreprise. Vous le savez très bien. Vous connaissez les noms mieux  que moi. Je ne dirai pas que le cas est fréquent, mais nous avons les mêmes  noms en tête. L’entreprise sait gratifier ses vieux serviteurs. Et vous, Monsieur le  Directeur, vous savez trouver des postes pour les anciens dirigeants, pour leurs  femmes, pour ceux qui ont eu un accident du travail, ceux qui sont malades.  C’est votre métier, on dirait.

Directeur: Ce sont des cas exceptionnels, qui relèvent de la Direction Générale, pas de
moi… A vous je peux le dire maintenant : vous n’êtes pas le fils d’un actionnaire  ni la maîtresse du Président, ce sera difficile…Et puis, je ne comprends pas  pourquoi vous travailleriez et aussi pourquoi vous avez besoin d’argent. Vous  pouvez faire tout ce que vous voulez maintenant. Il n’y a plus de contingence…  la vie est belle pour vous. Vous allez ici, vous allez là, sans contrainte, quand  vous le décidez, comme vous le souhaitez… je ne peux pas en dire autant.

Employé: C’est une ironie mal placée. je n’avais rien demandé. Ce n’est pas ma faute si j’ai
eu une crise cardiaque en jouant au tennis. Et d’ailleurs, c’est l’entreprise qui m’a  fatigué, qui m’a usé… Vous ne savez pas ce que c’est, le stress du dessinateur…  Tiens, dessine-moi une aile d’avion, pour demain soir, pour la réunion, pour les  ingénieurs… Et l’autre service qui vous appelle : tiens, dessine-moi aussi une  turbine, avec des plans de coupe et tout le câblage. Je me suis tué la santé…  Sinon je n’aurais pas eu de crise cardiaque.

Silence

Directeur: Vous avez eu mal ?

Employé: Non, je n’en ai pas eu le temps, tout s’est fait trop vite. J’ai laissé toutes mes  affaires en désordre. C’est pour cela que je suis obligé d’insister aujourd’hui. J’ai  beaucoup de frais.

Directeur: Je suis sûr que vous avez de grands pouvoirs et que l’argent ne vous apporterait  rien. Soyons raisonnables.

Employé: C’est vrai que je peux me déplacer sans frais, aller partout et prendre toutes  sortes d’aspects… mais je ne sais pas coudre, ni faire mes vêtements tout seul. Je  ne sais pas fabriquer de chaussures, je ne sais pas me couper les cheveux moimême, et je dois suivre la mode, sinon je ferais peur à tout le monde.

Directeur: Quoi ?

Employé: Tenez : je dois acheter mes vêtements au magasin comme tout le monde. Je ne veux pas voler. Je n’ai jamais volé et ce n’est pas maintenant que je vais  commencer… Il me faut mon salaire… Ou au moins un défraiement. Je veux  passer à la caisse en honnête homme, qui ne doit rien à personne et qui agit avec  droiture, je ne veux pas voler… Et puis, il y a des endroits où je ne peux entrer qu’en prenant un ticket, comme tout le monde. Il me faut de l’argent. Sans  monnaie, avec les poches vides, ma vie quotidienne est un tracas  invraisemblable… Je ne peux inviter personne à prendre un verre, ni aller au  concert. Ou alors, ce serait par des moyens qui créeraient du trouble, par le vol,  l’extorsion,    et je suis tranquille de tempérament. C’est une qualité que  l’entreprise m’a toujours reconnue… J’ai besoin de gagner ma vie, vous  comprenez.

Directeur:: Je suis désolé ; l’affaire est inextricable. Vous ne travaillez plus pour nous. Votre
service vous a remplacé. Vous êtes mort et l’information est saisie dans  l’ordinateur central. Vous ne pouvez plus recevoir de virement. Le logiciel ne  prévoit pas votre cas… Tout virement serait bloqué. Vous voulez des habits,  admettons, mais je ne suis pas l’Armée du Salut.

Employé: Compte tenu de ce qui m’est arrivé, compte tenu de mes 18 ans dans  l’entreprise, je m’attendais à un traitement plus humain. Vous êtes comme  Hugolin : vous avez le cœur sec…

Directeur: Vous exagérez mes pouvoirs. Vous dites que vous ne voulez pas voler, mais si je  vous paie et que vous ne travaillez pas, ce sera du vol… Oui, ce sera voler nos  actionnaires et voler les autres salariés….

 (silence)

Employé: Alors j’ai une idée.

Directeur: Quoi ?

Employé: Je veux une fonction au Service Dessin Industriel, évidemment en rapport avec mon état mais une véritable fonction qui me permettra d’émarger à votre budget  en toute légalité. Vous n’aurez pas mauvaise conscience. Je veux travailler. Et je  dépenserai tout - dans ma situation, je ne vais pas épargner -, ce sera bon pour l’économie. Engagez-moi, rengagez-moi… à titre posthume… je vous en prie.

Directeur: Facile à dire. Mon bureau est déjà couvert de curriculum vitae et il y a une liste d’attente. Alors pourquoi vous ? Je ne vais pas vous donner un passe-droit, ce ne  serait pas juste pour les autres candidats…Et pourquoi pas les autres morts  pendant que vous y êtes ?
Combien de macchabées allons-nous devoir employer ? Nous avons déjà des  quotas, vous savez, les handicapés, les femmes, les minorités, j’ai des  pourcentages à respecter, je fais des rapports. Je ne peux pas créer une nouvelle  catégorie d’ayant droits, en tout cas pas tout seul, et je ne veux pas créer de  précédent avec vous. Sait-on seulement combien vous êtes… ! Et jusqu’à quelle année faut-il remonter ? Je ne peux pas engager les morts du  Moyen-Age ou ceux de la Préhistoire… Il me faut des gens formés. (L’autre  hausse les  épaules). Je ne plaisante pas,  il nous faudrait des procédures  transparentes. C’est la loi. Pourquoi vous plutôt qu’un autre ? Tous les morts  naissent libres et égaux en droit… Mais oui, eux aussi pourraient venir me voir,  comme des fleurs, en amis : je veux travailler, j’ai de gros besoin, il me faut de  l’argent, etc., etc., etc. Et me voila dans les catacombes avec mes offres d’emplois  et des momies qui m’entourent. Ce n’est pas sérieux.

Employé:  (Vivement) Vous, vous n’êtes pas sérieux. Demandez leur, bon sang, s’ils veulent
travailler ici ! Vous n’aurez aucun succès. Ils ne tiendraient pas. Il faut connaître  le dessin industriel et avoir au moins son brevet, et puis il faut se faire à la vie de  bureau… Si vous faites trop le difficile, si vous continuez, je vais lancer la  rumeur : mes amis, venez, l’entreprise accueille tous les profils, présentez-vous  au directeur avec vos références, il vous recevra avec intérêt, et même avec plaisir… Il a de la conversation et il vous facilitera la vie. Sa porte sera toujours  ouverte pour un bon conseil ou une conversation. Rafraîchissements garantis… silence… Comprenez-moi bien. Ma démarche est personnelle. Je demande à être  traité en cas particulier, je ne dirai rien à personne ; et vous me parlez comme à  un  étranger. Je viens de passer vingt ans ici et vous me… (Il fait un geste d’exaspération).

(Silence embarrassé et vaguement hostile)

Directeur: Je me sens mal… (il se touche la poitrine)… J’ai une crampe dans le bras et cela gagne la poitrine… Je suis en sueur, aidez moi … Non, ne me touchez pas. De  l’air, de l’air… Ouvrez la fenêtre, je vous en prie.

Employé: Asseyez-vous, essayez de ne pas vous agiter.

Directeur: Ah… Ah, (il se dégrafe le col, gémit et au bout d’un certain moment, s’effondre brutalement,  la tête sur le clavier de l’ordinateur)

Silence – lumière très blanche – puis lumière plus douce…Le directeur se redresse, il se lève.

Directeur: Vous êtes toujours là ?

Employé: Oui.

Directeur: Hé ! Bien   Ç’a été brutal ! (Il soupire et se tâte sous toutes les coutures)

Employé: Comme pour moi. C’est moins douloureux qu’on ne le dit mais c’est brutal et surprenant.

Silence

Directeur: J’aurais dû mettre mes affaires en ordre et je n’en aurai pas eu le temps…
J’aurais dû appeler ma femme. …silence… Il faut que nous reparlions de votre  demande… Je ne veux pas rester dans cette pièce, il faut que je sorte, tout paraît  petit dans ce bureau, j’ai besoin d’air - enfin en quelque sorte… Il faut que je  me calme… Il fait un effort sur lui-même, boit un verre d’eau….Venez avec moi, nous  allons rediscuter de ce que vous demandez… Je vais voir comment fonctionne  le système central.

Ils sortent.



 


Stéphan Alamowitch
pour francopolis septembre 2008


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Créé le 1 mars 2002

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