Billet d'humour et d’humeur - aphorismes-pensées
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ARCHIVES: HUMEURS & APHORISMES

 

Janvier-Février 2022



Sept fables de Michel Ostertag

 

 

Le marcheur impénitent et le boiteux

 

Un homme dans la force de l’âge aimait marcher. Chaque jour il parcourait plus de dix kilomètres par les champs et les bois.

La fatigue n’avait pas de prise sur lui.

Mais à ne fréquenter que la nature, son caractère s’était aigri.

Il vous saluait à peine quand on le croisait et, quand il franchissait la porte du bar du village, ce n’était que pour quelques instants, le temps d’acheter un paquet de cigarettes, de commander un petit verre de blanc sec, de répondre à une ou deux salutations et il disparaissait aussitôt.

On ne lui connaissait aucun ami.

Sa femme l’avait quitté depuis un bon moment.

On ne savait pas de quoi il vivait, certains disaient qu’il touchait une pension comme ancien militaire.

À proximité de son logis, demeurait un boiteux qui avait grande peine à faire face aux travaux de sa petite ferme.

Jamais le marcheur ne répondait au salut que le boiteux ne manquait jamais de lui lancer quand il le voyait longer son lopin de terre.

Cet homme lui était indifférent.

Ces deux hommes paraissaient vivre dans deux mondes différents.

Un soir d’hiver, quand il faisait déjà nuit, le marcheur eut un malaise cardiaque, un peu au-delà du terrain du boiteux.

Celui-ci venait juste de descendre de son tracteur quand il le vit tituber et s’effondrer sur le chemin.

Il remonta aussi sec sur sa machine et se rendit sur les lieux.

Le marcheur venait à l’instant de perdre connais­sance.

À cet instant et, malgré son handicap physique, il trouva la force de le hisser à ses côtés et de l’emmener jusque chez lui.

La femme du boiteux appela le médecin, les secours arrivèrent et on le transporta dans l’hôpital de la commune où il fut sauvé.

Cette petite histoire mérite bien une double morale : Ne vous éloignez pas des humains, vos frères, cela peut vous gâter l’esprit, voici la pre­mière recom­mandation ; la seconde serait : ayez toujours à l’esprit qu’un jour, peut-être, vous aurez besoin d’aide et cette aide pourrait venir de n’importe qui, même de celui que vous n’aimez pas…

Alors, soyez bien vu de tout le monde.

 

 

Le chat trop zélé

 

Un matin d’été, un couple de mes voisins recueillit un bon gros matou de couleur blanche qui était en déshérence, ils le virent arriver du fond du jardin et sans crainte ni peur se présentèrent à eux en leur caressant les jambes, le dos bien rond et le ronron assuré.

Touchés de tant de gentillesse, ils lui donnèrent à boire et à manger et un coin dans la chaufferie de leur maison.

Le bon gros chat ne se fit pas prier et accepta l’hospitalité.

Tout en gardant sa totale liberté, pas question pour lui de rester sagement assis aux pieds de ses nouveaux maîtres : il lui fallait vaquer à ses affaires, de nuit comme de jour.

Et c’est le soir tombé que ses maîtres le virent revenir avec à la gueule un lézard qu’il venait tout juste d’occire.

Et tous les jours suivants, ce fut le même manège : qui une souris, un rat, un mulot, une clef de Saint-Pierre et quelquefois un oiseau… aucune de ces pauvres bêtes ne réussirent à trouver grâce devant lui.

Les maîtres n’aimèrent pas cette façon de faire, d’autant que l’animal n’était jamais mort au premier instant, le chat s’amusait avec lui jusqu’à la dernière extrémité.

Ainsi, il se montrait par trop cruel et les maîtres n’aimaient pas cela.

Chaque jour, ce fut l’identique démonstration de son talent de chas­seur au point qu’il lassa tellement ses bons maîtres que ceux-ci déci­dèrent de le donner à un ami qui voulait se débarrasser des souris qui avaient envahi son grenier.

Trop de zèle finit par lasser le meilleur des hommes. Dispenser votre talent à petites doses, ne vous montrez jamais sous un jour trop rutilent, mettez-vous sous la lumière le temps nécessaire à vous faire con­naître et sachez vous retirer avant que l’on vous précipite en bas de l’estrade.

 

 


Le sourd-muet et le manchot

 

Deux garçons avaient été élevés ensemble par une même vieille dame, grand-mère de l’un mais pas de l’autre.

Le premier des deux était né sourd-muet et ce handicap n’avait jamais été un obstacle entre les deux jeunes amis qui s’aimaient comme peuvent s’aimer deux frères.

Le second des deux apprit le langage des sourds et aucun obstacle de communication entre eux deux ne vint ternir leur amitié.

Au milieu de l’adolescence, le second fut victime d’un terrible accident de voiture, à l’hôpital on dut l’opérer d’un bras, mais l’inter­vention échoua et il perdit l’usage de ce membre.

Comment communiquer quand il ne vous reste qu’une main pour expri­mer sa pensée ?

Le second garçon apprit à se servir des autres parties du corps, il suppléa l’absence de sa main par l’usage qu’il développa du regard, de la bouche et des lèvres, du haussement des épaules, des battements des cils et la communication entre les deux amis ne fut pas interrompue un seul instant.

Voici un bel exemple qui montre la capacité de l’homme à s’adapter à toutes nou­velles situations.

L’homme ne peut survivre que s’il garde en lui ce facteur d’adaptation que bien peu main­tiennent en vieillissant, il faut bien le recon­naître.

Ayons toujours à l’esprit cette fable bien plus édifiante qu’il peut y paraître.

 

 

Montre gousset et horloge

 

La prétention des montres gousset a toujours été un fait reconnu par tous.

Prétention vis-à-vis des horloges de salon, celles qui trônent sur les cheminées des salons ; prétention à l’égard de celles qui restent pendues aux murs des salles à manger ou pire, aux murs des cuisines.

À ces dernières, jamais, elles n’auraient adressé la parole, trop fières de leur état d’indé­pendance accordé par leur situation de grandes voyageuses. Pensez donc, du matin au soir, bien au chaud dans le gousset du gilet du bon maître, elles voyageaient sans jamais être fatiguées.

Une fois ou deux par heures, le maître les sortait de leur repaire, le temps d’ouvrir le fin couvercle, qu’on regarde l’heure et aussitôt, les voici remisées dans l’attente d’une prochaine lecture de l’heure.

Ces montres ne vivaient pas au même rythme que les « séden­taires », pour elles l’air du large, des voyages, de la déambulation ; pour les autres, toujours le même décor, la même cheminée, le même air confiné d’un salon rococo.

Et pourtant, elles donnaient toutes les deux la même heure, les unes avec ostentation, les autres avec discrétion.

 

Il en est de même chez les humains, à fonction identique, deux manières d’exercer la charge.

N’y voyez aucune malice du sort, l’esprit est ainsi fait, à nous d’apprécier les qualités de l’une ou de l’autre façon.

 


 

Un retraité

 

Un retraité passait le plus clair de son temps à cultiver son potager.

Avec énergie, il binait, sarclait, taillait, retournait, bouturait, du début janvier à la fin décembre.

Il faisait cela avec passion sans jamais se rendre compte de l’excès que cela pouvait avoir aux yeux de certains.

Sa fierté était grande quand il cueillait ses premières tomates ou ses salades toutes fraîches du matin même.

Perfectionniste comme il l’avait été toute sa vie en son métier, il voulait un potager exemplaire, tiré au cordeau, sans herbes folles ni pucerons abhorrés.

Son épouse savait lui préparer les meilleurs plats qui convenaient à de tels légumes.

Ils étaient heureux de cette vie et pour rien au monde ils n’auraient voulu en changer.

Les années ainsi passaient et malgré quelques rhumatismes qui le fai­saient souffrir, notre brave homme, avec courage, savait surmonter ses dou­leurs et con­tinuer son labeur quotidien.

Quand, un jour, au milieu de l’hiver, une forte bourrasque se déchaîna sur tout le pays, renversant voitures et piétons, arrachant ici toitures et fermes, là poussant la rivière à quitter son lit pour se répan­dre en rase campagne, n’épargnant rien sur son passage.

Le pauvre homme vit son potager en un instant ravagé à l’extrême, tout fut retourné, arraché comme piétiné par une main de géant.

De tant de travail, il ne restait rien.

L’homme tomba malade et aucun médicament n’y fit.

La fièvre le prit.

Et ni l’amour de sa femme ni la dévotion de ses enfants ne changèrent grand-chose : il mourut dans les semaines qui suivirent.

 

Prenons garde à ne pas nous abandonner en un trop grand excès dans une pas­sion qui risque de nous dévorer.

En toute chose, gardons raison et sachons placer quelques bémols à nos envies de perfection.

 

 


Crime de lèse-liberté

 

Par ces temps de grand froid, à Paris, deux clochards souffraient de froid et de faim.

Le SAMU social s’intéressa à eux. Leur apporta une gamelle de soupe chaude, les incita à venir au foyer passer la nuit, à l’abri des intempéries.

L’un des clochards accepta de monter dans le car tandis que l’autre refusa tout net.

Il préférait rester là, sous ses cartons au risque de mourir de froid, au nom de sa liberté, il s’exprima ainsi.

On le laissa.

Le lendemain, on le retrouva mort de froid, raide comme une planche.

 

« Liberté, que de crimes on commet en ton nom ! »

 

 


La mort d’un grand seigneur

 

La mort d’un grand seigneur est toujours un moment de faste.

Des phrases bien préparées sont prononcées avec com­ponction ; ses faits et gestes sont rapportés avec enluminures ; rien ne manque au tableau pas même l’ennui qui finit par gagner l’assistance.

La mort d’un homme d’ordinaire est toujours un moment d’émo­tion. Peu de phrases sont dites, sa vie a été partagée par tous ceux qui sont là, recueillis et imprégnés d’une profonde tristesse.

Une simple fleur est jetée dans la fosse où repose le cercueil et on repart chez soi, le col relevé et les mains dans les poches.

 

La mort prend différents masques. Dans l’esprit de nos amis, tel que nous avons été nous sommes ce jour-là ; il est inutile de vouloir changer de masque ; rien n’y fera. Pas davantage les belles phrases, les émotions du cœur sont muettes.

 

 

 

©Michel Ostertag

 

Michel Ostertag

pour Francopolis – janvier-février 2022

 

 

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Créé le 1 mars 2002