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Dieter Schlesak
Vivetta Valacca, La luce dell’anima.
Zeit Los brennt dieses Licht hier,

(Poèmes en allemand traduits en italien et en français
dans le recueil bilingue à quatre mains Dieter Schlesak

- Vivetta Valacca, La luce dell’anima.
Zeit Los brennt dieses Licht hier
, Edizioni ETS, Pisa, 2011)

La luce dell’anima, récompensé en Italie par le prix national L’Astrolabe de poésie 2015, est un livre extraordinaire. C’est tout d’abord un recueil de poèmes écrit à quatre mains par deux personnalités très différentes qui se sont retrouvées sur l’arrête haute de la poésie et des mythes fondateurs : l’écrivain, traducteur et poète de langue allemande Dieter Schlesak, originaire de cette Transylvanie roumaine multiculturelle qui a donné à l’Europe quelques génies littéraires et musicaux, et auteur, parmi de nombreux recueils en vers et en prose, de deux romans de renommée internationale, Le pharmacien d’Auschwitz et L’homme sans racines (non traduits en français à ce jour), et l’écrivaine, poète et essayiste italienne Vivetta Valacca, spécialiste des mythes de l’antiquité gréco-romaine, auteure de la trilogie poétique Il mare dai mille occhi, Lo specchio del mondo et La danza delle onde (Campanotto ed., 2006-2007).

Leur rencontre au Festival international de poésie de Heidelberg, en novembre 2006, a été l’événement déclencheur de leur première collaboration poétique : le recueil Tempo, tempesta e le ferite dell’amore, qui témoigne, comme les auteurs le disent eux-mêmes, non d’un mythe simplement revisité mais revécu.

La luce dell’anima, ce deuxième recueil écrit à quatre mains, évoque le mythe d’Amor et Psychè, mais a également été ressenti comme une sorte de Cantique des cantiques où les deux voix se feraient entendre, dans un dialogue amoureux dont la voix masculine est celle du poète allemand, et la voix féminine, celle de la poète italienne : les deux se répondent et s’entrelacent au fil du recueil. Mais telle une eau réflexive, la voix italienne fait aussi écho à l’allemand, puisque chaque poème de Dieter Schlesak est d’abord traduit par Vivetta Valacca en italien, avant que son propre poème en réplique ne suive. Il en résulte un jeu subtil de reflets et d’échos tant linguistiques que poétiques, qui nous renvoient après tout, toujours et encore, au mythe fondateur de l’expérience poétique, celui d’Orphée et d’Eurydice
(voir la lettre du poète allemand incluse dans la postface signée par la poète italienne).

Nous avons souhaité donner un premier et bref aperçu de ce livre exceptionnel en extrayant quelques textes de Dieter Schlesak, en original et dans la traduction italienne de la co-auteure du recueil, et en les accompagnant, pour les faire connaître aux lecteurs de Francopolis, de la traduction française qu’a bien voulu réaliser pour notre revue la poète et traductrice Irène Gayraud, elle-même fascinée par les mythes de la poésie moderne et en particulier, celui d’Orphée et d’Eurydice (voir sa présentation et quelques poèmes d’elle dans ce numéro même, à la rubrique Francosemailles).

Dans ce sens, citons un fragment de la lettre de Dieter Schlesak (p. 145),
dans la traduction d’Irène Gayraud (pour Francopolis) :


« Si, aujourd’hui, un poète commence avec Orphée et Eurydice, avec le thème le plus poétique et le plus profond possible, son chant doit posséder l’expérience, vécue et sentie dans SON âme et dans SA chair, du lien entre amour et mort, doit avoir vécu SON expérience de ce lien par la flamme de l’amour et l’enfer, de cette limite, la frontière absolue de l’adieu à jamais d’un être aimé.

Voici la légende : Orphée, tenant par la main son épouse, commença son parcours vers la lumière, mais, pendant le voyage, un soupçon s’immisça dans son esprit : peut-être tenait-il par la main une ombre et non pas Eurydice. Oubliant alors la promesse faite, il se retourna pour la voir, mais, à l’instant même où ses yeux se posèrent sur son visage, Eurydice disparut et Orphée assista impuissant à sa mort pour la seconde fois.

Mais l’amour dans la poésie n’est pas aveugle, et ce symbole s’ouvre comme une fleur: jamais tu ne dois te retourner pour voir seulement la mort ou voir ton amour comme spectre dans son corps seul. Car ton amour, s’il est véritable, croit en la résurrection, et en le fait de revoir la personne aimée pour toujours vivante. Car l’amour est vie pour toujours. Et si tu ne crois pas en cette vérité, tu n’aimes pas véritablement. L’amour ouvre l’âme à cette sphère absolue, c’est l’essence aimée même. »


Sous ce signe, In amore vincimus !



[Toi, qui t’as envoyée dans ma vie]

Toi, qui t’as envoyée dans ma vie
Si claire parce que tu t’y trouves

Caresse qui dissout le monde
Tout est si doux, si étonnamment tendre

En haut
Ce qui nous fait fluer
Le fleuve de Dieu en nous
Jamais ne meurt


Du wer hat dich in meine Tage geschickt
Die so hell sind weil es dich gibt

Zärtlichkeit die die Welt auflöst
Alles so weich so unfassbar zart

Aufwärts
Was uns zum Fließen bringt
Fluss  Gottes in uns
Die nie stirbt

p. 20

Chi ha mandato te, te nella mia vita
Cosi luminosa perché tu ci sei

Sei la carezza che disosolve il mondo
Tutto è cosi morbido e impensabile

In direzione del cielo
Quello che ci fa scorrere
L’acqua di Dio in noi
Non muore mai

p. 21


[À l’horizon se tiennent des bateaux]

À l’horizon se tiennent des bateaux sans voiles
Squelettes de leur savoir en « se tenir »
Ce qui se tient et où toi tu le sais
Ce que signifie « bateaux », « voiles » et « se tenir » m’est étranger.
Et ton territoire…
Qui très bas irradie
Ce qui en haut est
La force :
Futur.

Tu sais
Ce que mourir signifie
Tu LE pressens
Sans besoin de le nommer.
Viens mon amour à présent je te prends avec
Ma parole nous montons
Si haut
Le Frère Corps
S’ouvre
Un glissement
Profond au centre
TOI.
Le temps en un point
PALPITE.


Am Horizont steht Boote ohne Segel
Skelette ihre Wissenschaft vom Stehen
was steht  und wo das du es weißt
was „Boote“ heißt was „Segel“ und
was „Stehen“ ist mir fremd.
Und deine Gegend…
die ganz unten strahlt
was oben ist
die Kraft:
Futur.

Du weißt
was Sterben heißt

du ahnst ES
nennen sollst du’s nicht.
Komm Liebster jetzt ich nehm dich mit
mein Wort wir steigen
so hinab
der Bruder Körper
öffnet sich
ein Gleiten ist’s
tief in die Mitte
DU.
Die Zeit in einem Punkt
PULSIERT.
(p. 56)


Nell’orizzonte le barche senza vele
come scheletri con la loro scienza di arrivo
cosa e dove arriva to lo sau
cosa insegnato “barca” e “vela”
e solo “arrivare” mi è strano e lontano.
E nel tuo paesaggio...
qui risplende intatta
cosa in celo è
la forza:
Futuro.

Tu sai
cosa significa il morire

lo sogni
senza mai nominarlo.
Vieni amore ora ti prendo con me
la mia Parola
giù
il corpo, il fratello corpo
si apre
scivoliamo insieme
slitta del profondo nel mezzo
il corpo TU.
E il tempo
vibra in un punto
(p. 57)


[Ainsi vivrai-je plus longtemps]

AINSI VIVRAI-JE PLUS LONGTEMPS
Ici/avec toi
Sur le plus long rivage : amour

Tu es pour moi
Ce qui depuis longtemps n’était plus
La peau
Sur ta peau

Ainsi nous sommes UN
Quand chaque jour
Davantage
En toi je me perds.


SO WIERD ICH LÂNGER LIEBEN
hier/mit dir
am längsten Ufer: Liebe.

Du bist an mir
was lang nie war
die Haut
an deiner Haut

So sind wir eins
wenn ich mich täglich
mehr und mehr
in dich verliere

(p. 60)

COSÌ VIVO PIÙ A LUNGO
qui/con te
sulla riva più a lungo: amore.

Tu sei in me
il tempo non è mai stato così dilatato
la pelle
la tua pelle

Così siamo Uno
quanto ogni giorno io
mi perdo di più
in te

(p. 61)


[Tu vois]

TU VOIS
Le ciel comme un bleu
Vertige au-dessus de toi
Et tombes avec l’air
Sur le battant de la porte.

Si la mort est enfin
Arrivée
Et n’est pas toujours pensée
Dans le NON

La porte s’ouvre

Un tunnel
A la fin la lumière

La percée d’une rime
Le JAMAIS dans le poème
Et là
Où Celui qui est depuis toujours
Te rêve
Tu t’éveilles.
Et tu commences
Blanc déclenché
La table
Le cerveau
Depuis le tout début
Avec toi l’amour
A nouveau


SIEHST DU
den Himmel als blauen
Schwindel über dich
und fällst mir der Luft
ins Klopfen der Tür.

Ist der Tod dann endlich
geschehen
und nicht nur im Nein
gedacht

öffnet sich die Tür

ein Tunnel
am Ende das Licht

der Durchbruch ein Reim
das Nie im Gedicht
Und da
wo Er dich seit immer
träumt,
erwachst du

Und fängst
weiß ausgelöscht
die Tafel
das Hirn
ganz von vorn
mit dir die Liebe
wieder an

(p. 98)

VEDI
il cielo come una
mensogna blu supra di te
e cadi con l’aereo
sul battente della porta.

Ma quando la morte
è un fato compiuto
e non solo pensata
nel NO

la porta si apre

un tunnel
e alla sua fine la luce

l’apertura è una rima
il MAI nella poesia
e là
dove Colui che è da sempre
ti sogna
tu ti sveli.

e ricominci
nel bianco cancellato
tavola della legge
cervello
dall’inizio
con te l’amore
è tutto nuovo

(p. 99)


[Mon amour laisse nous aller]

Mon amour laisse nous aller
Vois, déjà nos mains sont
Posées sur nos yeux

Ton sexe ne fut-il pas toujours
La sortie et l’entrée du monde ?

Demeure dans mon cœur
Tandis que nous disparaissons

Le ciel est ouvert pour nous
Allons, oui, allons
Chacun doit faire seul ce chemin

L’ultime étreinte, mon amour
L’ultime est
Quand nous ne nous voyons plus
Le corps dans la terre
L’âme en vol


Meine Liebste laß uns gehn
sieh wir haben uns schon die Hände
über die Augen gelegt

War nicht dein Geschlecht schon wie immer
der Aus- und der Eingang zur Welt

Bleib mir im Herzen
wenn wir vergehn

Der Himmel ist uns hier offen
doch gehn ja gehn
muß jeder allein diesen Weg

Die letzte Umarmung Liebste
die letzte ist
wenn wir uns nicht mehr sehn
der Leib in der Erde
die Seele im Flug
(p. 126)

Mia Amatissima lascia che andiamo
guarda, le mani a chiuderci già
gli occhi

Non è sempre la tua rosa
l’uscita – e l’entrata nel mondo?

Restami nel cuore
quando scivoliamo via

Il cielo è stato aperto per noi qui
tuttavia andiamo, si, andiamo
anche se ciasuno deve percorrere da solo questo cammino

L’ultimo abbraccio, Amatissima
l’ultimo è
quando non ci vediamo più
il corpo nella terra
l’anima in volo
(p. 127)


Traduction française : Irène Gayraud 
Traduction italienne : Vivetta Valacca
*
Pour en savoir plus sur eux
Dieter Schlesak et Vivetta Valacca
 
recherche Dana Shishmanian
septembre 2016



 
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Créé le 1 mars 2002

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