INTRODUCTION AU
POÈME
par
André Filosa
Il n'est pas sûr que le
poète soit né. S'il apparaît quelquefois dans le
cours d'une vie, son existence reste erratique, incertaine. Elle
surprend le lit qu'elle déborde comme un ruisseau devenu fleuve,
un instant.
Le
poète est aussi ce passager clandestin qu'un voyageur distrait
porterait dans ses bagages et dont l'âme chargée d'une
exotique faiblesse aggraverait le poids. On ignore à quelle
heure il se présente, car le temps lui est absolument
étranger. Peut-être a-t-il glissé une tête
par la fenêtre d'un printemps (peut-être celui de votre
dixième année : le parfum dans votre main
révélait des acacias et la piqûre d'une guêpe
vous fit une profonde impression.)Peut-être a-t-il attendu
l'adolescente maturité. Cette foison de fruits venus aux
branches pour personne ;
cette beauté qui se prodigue et s'ignore - peuvent être
propices et créer une brèche. Dans le miroir des matins,
il ne se reconnaît jamais. Le doute d'être l'hôte ou
le maître ébranle la modestie dont il a besoin. Il lui
faut respirer, même faiblement, cet étonnement et souffler
comme à un acteur : "C'est bien toi!"
Veut-on
savoir pourquoi le poète est là ? Parce qu'il a perdu son
nom. Ne voulant pas investir dans lui-même, bâtir ce
mausolée autour d'actes humains dont les pièces
flattées donneraient le grain de notre peau, la couleur de notre
chambre ou le degré de déhanchement de notre
complaisance. au contraire, les émotions éparses dans le
monde, la flèche décochée par la moindre
opération naturelle, s'impriment ici, se pressent et y trouvent
leur cible, parce qu'il n'y a personne. Il n'y a personne, du moins, le
temps que le poème soit accompli. Le poème abolit le
temps ou le condense d'une manière telle que la rotondité
des heures n'est plus une image mais l'expression d'une réelle
concentration. On dirait qu'il faut que tout soit là, que tout
soit dit et nommé en même temps sans que rien
empiète sur rien, mais que tout, au contraire, partage cette
paisante rigueur des heures égrenées. C'est le temps
arrêté d'une émotion qui paraît alors unique
et capable de résumer aussi bien que de rendre gloire au monde,
à Dieu, à quelqu'UN. Car il faut bien qu'il y ait
quelqu'Un qui personnellement, avec un amour aussi précis
qu'émouvant, unifie tout cela, unifie ce vaguement vécu
dont la richesse paradoxale ne jette jamais que des haillons sur notre
corps. Les hommes dehors peuvent être riches et puissants ; leur
vie profonde, faite de sable et de cendre, est toujours celle de gueux
: ils aiment sans atteindre, ils rêvent sans saisir, ils
désignent le bonheur sans jamais l'accueillir ; ils honorent le
soleil et ne peuvent que rentrer chez eux. Le poème, lui, est
cette chose pressentie sur le seuil ; cet orphelin que seul un gueux
d'une autre sorte peut ramasser. Et le poème est cette
perfection qu'on ne se lasse pas de saisir, parce que le terme et le
commencement y sont semblables et qu'au-dedans tout se répond
dans une plénitude sereinement inachevée qui est amour.
Et tout poème est d'amour.
****
* André
Filosa est né le 11 janvier
1953 à Marseille. Etudes d'anglais ; amateur de langues. A
publié dans les feuillets "Tiré à Part" de l'ami
et regretté Marcel Chinonis, à Aguessac. A longtemps
été accompagné et conseillé par Willy-Paul
Romain, naguère conservateur du château de Lourmarin en
Vaucluse.
André Filosa
recherche Lilas
pour Francopolis
juin2008