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Actu : Juin 2008

INTRODUCTION AU POÈME

par André Filosa


Il n'est pas sûr que le poète soit né. S'il apparaît quelquefois dans le cours d'une vie, son existence reste erratique, incertaine. Elle surprend le lit qu'elle déborde comme un ruisseau devenu fleuve, un instant.
Le poète est aussi ce passager clandestin qu'un voyageur distrait porterait dans ses bagages et dont l'âme chargée d'une exotique faiblesse aggraverait le poids. On ignore à quelle heure il se présente, car le temps lui est absolument étranger. Peut-être a-t-il glissé une tête par la fenêtre d'un printemps (peut-être celui de votre dixième année : le parfum dans votre main révélait des acacias et la piqûre d'une guêpe vous fit une profonde impression.)Peut-être a-t-il attendu l'adolescente maturité. Cette foison de fruits venus aux branches pour personne ; cette beauté qui se prodigue et s'ignore - peuvent être propices et créer une brèche. Dans le miroir des matins, il ne se reconnaît jamais. Le doute d'être l'hôte ou le maître ébranle la modestie dont il a besoin. Il lui faut respirer, même faiblement, cet étonnement et souffler comme à un acteur : "C'est bien toi!"
Veut-on savoir pourquoi le poète est là ? Parce qu'il a perdu son nom. Ne voulant pas investir dans lui-même, bâtir ce mausolée autour d'actes humains dont les pièces flattées donneraient le grain de notre peau, la couleur de notre chambre ou le degré de déhanchement de notre complaisance. au contraire, les émotions éparses dans le monde, la flèche décochée par la moindre opération naturelle, s'impriment ici, se pressent et y trouvent leur cible, parce qu'il n'y a personne. Il n'y a personne, du moins, le temps que le poème soit accompli. Le poème abolit le temps ou le condense d'une manière telle que la rotondité des heures n'est plus une image mais l'expression d'une réelle concentration. On dirait qu'il faut que tout soit là, que tout soit dit et nommé en même temps sans que rien empiète sur rien, mais que tout, au contraire, partage cette paisante rigueur des heures égrenées. C'est le temps arrêté d'une émotion qui paraît alors unique et capable de résumer aussi bien que de rendre gloire au monde, à Dieu, à quelqu'UN. Car il faut bien qu'il y ait quelqu'Un qui personnellement, avec un amour aussi précis qu'émouvant, unifie tout cela, unifie ce vaguement vécu dont la richesse paradoxale ne jette jamais que des haillons sur notre corps. Les hommes dehors peuvent être riches et puissants ; leur vie profonde, faite de sable et de cendre, est toujours celle de gueux : ils aiment sans atteindre, ils rêvent sans saisir, ils désignent le bonheur sans jamais l'accueillir ; ils honorent le soleil et ne peuvent que rentrer chez eux. Le poème, lui, est cette chose pressentie sur le seuil ; cet orphelin que seul un gueux d'une autre sorte peut ramasser. Et le poème est cette perfection qu'on ne se lasse pas de saisir, parce que le terme et le commencement y sont semblables et qu'au-dedans tout se répond dans une plénitude sereinement inachevée qui est amour. Et tout poème est d'amour.

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 * André Filosa est né le 11 janvier 1953 à Marseille. Etudes d'anglais ; amateur de langues. A publié dans les feuillets "Tiré à Part" de l'ami et regretté Marcel Chinonis, à Aguessac. A longtemps été accompagné et conseillé par Willy-Paul Romain, naguère conservateur du château de Lourmarin en Vaucluse.


André Filosa
recherche Lilas
pour Francopolis juin2008


Créé le 1 mars 2002

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