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« Je priais que l’on m’arrachât au long sommeil des Hommes,
que l’on m’offrît amour et vérité…
»

Plus loin qu’ailleurs (extraits)
de Gabriel Arnou-Laujea
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Avant de disparaître au loin, plus loin que l’œil humain puisse lancer sa flèche, les dieux secouèrent le firmament, firent chuter sur mon front quelques fragments d’infini et insufflèrent en mon for la nostalgie de l’Absolu. Un tison ardent planté dans la chair tendre, dès la naissance : l’écho du silence frappant dans ma poitrine ; la présence en l’absence, jaillie de l’océan des âges comme une vague d’équinoxe. Comment pouvais-je souffrir que l’on m’abandonnât aux chimères du devenir, que la plus éclatante des lumières me promît au crépuscule d’un âge sombre ?

Où que se tournait mon visage, je ne voyais qu’un monde aux temples d’ombres et l’ombre de l’absence recouvrant chaque atome de l’univers : des troupeaux errer à la surface de la terre, leurs fronts cogner les parois d’un labyrinthe en trompe-l’œil ; des bergers nains, boursouflés de vents mauvais, démoraliser les masses pour mieux les dominer ; des mains anonymes détourner la grande roue de l’histoire dans les chambres froides du pouvoir ; « la Bêtise au front de taureau » – vieille, laide et puissante – commander aux étoiles éteintes et aux quatre vents de cieux vidés de leur Dieu.

Ce siècle sans ciel et sans ancrage n’était qu’un mirage ; cette poignée de sable jetée dans l’océan de l’existence, qu’une fable : ce n’était pas moi. Je le savais. Je l’éprouvais. Quoi que je fisse, je demeurais spectateur ; quoi que je visse, étranger au spectacle. Ces hordes de morts vivants qui titubent au bord du vide me donnaient le vertige. Toute cette chair chaude ivre du vin de l’oubli me donnait la nausée. Tout était trop laid pour être vrai. Je priais que l’on m’arrachât au long sommeil des Hommes, que l’on m’offrît amour et vérité, conjugués à l’éternel présent. J’eusse aimé que le réel apparent tombât comme un voile au pied d’une Réalité plus vaste, qu’il s’y brûlât sur-le-champ : pour toujours.

Rêves d’Ailleurs. Rêves de plus loin qu’ailleurs. Mes poumons cherchaient l’air des grands larges, celui qui manque cruellement. 

  Extraits de Plus loin qu’ailleurs (Éditions du Cygne, 2013)



Traduction en anglais par Hélène Cardona



Before disappearing far off, farther than the human eye could launch its arrow, the gods shook the firmament, let fall a few fragments of infinity on my forehead, and breathed the nostalgia of the Absolute into my core. A blazing firebrand planted in the soft flesh, from birth: echoes of silence striking my chest; presence within absence, sprung from the ocean of ages like a wave of equinox. How could I bear to be abandoned to the chimeras of fate, to be promised to the twilight of a dark age by the brightest light?

Wherever I turned my face, I only saw a world of shadowy temples and the specter of the absence covering every atom of the universe: herds roaming the surface of the earth, their foreheads hitting the walls of a trompe-l'oeil labyrinth; dwarf shepherds, bloated with bad winds, de- moralizing the masses to better control them; anonymous hands diverting the great wheel of history in the cold rooms of power; “bull-faced Stupidity” — old, ugly and controlling — ordering heaven’s dark stars and four winds emptied of their God.

This century without sky and anchor was only a mirage; this sprinkling of sand thrown into the ocean of existence, but a fable: it was not me. I knew it. I felt it. No matter what I did, I remained a spectator; no matter what I saw, a stranger to the spectacle. These hordes of undead staggering over the void gave me vertigo. All this warm flesh drunk with the wine of oblivion nauseated me. Everything was too ugly to be true. I prayed to be torn from Man’s long sleep, to be offered love and truth blended with the eternal present. I would have liked the seemingly real to fall like a veil at the foot of a larger Reality, to burn there on the spot: forever.

Dreams of Elsewhere. Dreams of beyond elsewhere. My lungs were seeking the high seas air, the one that is sorely lacking.

Excerpt from Beyond Elsewhere (White Pine Press, 2016),
by Gabriel Arnou-Laujeac, translated from the French
by Hélène Cardona, recipient of a Hemingway Grant.



*


Auteur de Plus loin qu’ailleurs, paru aux éditions du Cygne en juillet 2013,
Gabriel Arnou-Laujeac
a publié sous pseudonymes dans cinq anthologies de nouvelles et de poésie (dont la Petite anthologie de la jeune poésie française, parue aux éditions Géhess en 2009, Le livre de la prière, éditions de l’Inférieur, décembre 2013 et dans Poètes Français et Marocains, Anthologie (2), à paraître aux éditions Polyglotte en janvier 2014), dans des revues poétiques (Les Citadelles, Poésie Directe, Polyglotte, Recours au Poème, Testament...), des magazines philosophiques ou d’information générale (3è Millénaire, L’Opinion indépendante), collaboré au livre Irak, la faute d'Alain Michel et Fabien Voyer, paru aux éditions du Cerf en 2000.





Hélène Cardona est l’auteur des recueils bilingues de poésie Life in Suspension /La Vie Suspendue (Salmon Poetry, 2016) Le Songe de mes Âmes Animales (Salmon Poetry, 2013), USA Best Book Award, Pinnacle Book Award, 2014 Readers’ Favorite Award in Poetry, finaliste pour le International Book Awards in Poetry et le Julie Suk Award; et L’Univers Stupéfait (Red Hen Press, 2006).

Ce que nous portons, sa traduction de What We Carry de Dorianne Laux, est parue aux Éditions du Cygne en 2014. Beyond Elsewhere, sa traduction de Plus loin qu’ailleurs de Gabriel Arnou-Laujeac, a reçu une Hemingway Grant et paraîtra chez White Pine Press en 2016.

Diplômée d’une Maîtrise de littérature américaine de la Sorbonne, elle a enseigné à Hamilton College, New York, et à Loyola Marymount University, Los Angeles. Elle a reçu des bourses du Goethe-Institut & de la Universidad Internacional de Andalucía, et a été nominée plusieurs fois pour le Pushcart Prize et le Best of the Net.

Elle est co-rédactrice de Fulcrum: An Anthology of Poetry and Aesthetics, collabore au The London Magazine, et co-produit le documentaire Pablo Neruda: The Poet’s Calling.

Elle a traduit la poésie de Jean-Claude Renard, Baudelaire, Rimbaud, Crickillon, René Depestre, Ernest Pépin, et de son père José Manuel Cardona en anglais.

Hélène a aussi traduit en français Whitman’s Civil War : La guerre de Sécession de Walt Whitman pour le WhitmanWeb de l’Université de Iowa.

Elle est aussi actrice (Chocolat, Dawn of the Planet of the Apes, Jurassic World, The Hundred-Foot Journey, X-Men Days of Future Past, Muppets Most Wanted, Happy Feet 2, The Muppets, etc). Pour Serendipity elle a co-écrit (avec le metteur en scène Peter Chelsom et le compositeur Alan Silvestri) la chanson Lucienne, qu’elle chante aussi.

Née à Paris, elle a grandi à travers toute l’Europe et a vécu en Suisse, France, Angleterre, au Pays de Galles, Monaco, Allemagne, Espagne, et aux États-Unis.


PLUS LOIN QU'AILLEURS/ BEYOND ELSEWHERE
GABRIEL ARNOU-LAUJEAC/HELENE CARDONA

Francopolis décembre 2015



 
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Créé le 1 mars 2002

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