D'une langue à l'autre...
et textes
incidemment, sciemment
ou comme prétexte. Traduction.

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     Actu : MARS 2016 - D'une langue à l'autre...

 
Léa Zehavi



Poète, écrivain et traductrice, Léa Zehavi est née en Israël
et habite à Jérusalem.


Enfance

Alors que j'ignorais tout
Des derviches
Je dansais à leur manière
Les yeux fermés
Je tournais sur mon axe
Et mes bras tendus
Semblaient se détacher de mon corps
Dans la transe du tournoiement
L'espace s'élargissait à l'infini
Embrassait la danse du monde
Tempête de couleurs qui
A l'ombre de mes paupières 
Se muait en un éclair
Blanc 

Entraînée au cœur du tourbillon
Je galopais sur un cheval ailé
Je ne réduisais en rien
Mon élan

Et la chute
Alanguie
Pur abandon
A la pesanteur
N'était encore qu'une façon de planer
Sinon le sommet de l'envol

**

Racines

Une femme proche de la soixantaine
Le goût du fruit enfoui
Entre ses lèvres
En guise de dessert
N'a pas encore disparu

Heureux qui sait bénir
Pour ce qu'on lui donne
Et pour ce qu'on lui enlève
Elle qui ne cesse de s'instruire
Ne passera peut-être jamais
L'examen final

La vérité,
Une ruée d'oiseaux hitchcockiens
Avec force cris et froissements d'ailes
Fonce sur elle pour lui crever les yeux
Et elle, n'a de souci que de couvrir
Le blanc à la racine de ses cheveux
Quand il est visible
ça lui fait mal
Comme si on l'arrachait
A l'arbre de la vie

Que souhaite-t-elle, au fond ?
Qu'on la laisse tranquille
Moitié plantée au sol, moitié déracinée
Eternelle résidente temporaire
Sur une terre qui tremble
Sous ses pieds
Cartilages usés
Jointures craquantes

L'essentiel
Que ses cheveux blancs
Aient la noirceur du corbeau
Et qu'elle arbore un brin de sourire
Comme s'il était encore possible
De séduire ou d'être séduit
Par l'éphémère

***

Une exilée à Jérusalem

De ma fenêtre orientée vers l'est
Je regarde le village de Tzur Bah'er
Avec sa mosquée et ses maisons claires
Dispersées sur le flanc de la montagne
Matin et soir
Retentit jusqu'à moi, tonitruant,
L'appel allah hou a'kbar
Qu'ai-je à voir avec tout cela
Je me demande
N'y a-t-il d'autres manières
De dire Sa louange?
Pourtant, ce son étranger,
J'essaie de le chérir
Comme s'il était ma prière
Et soudain je ris à l'idée
Qu'à la fin,
Il  pourrait encore me manquer
Comme la mer et le Carmel
Paysage de mon enfance

****



Envol

Je m'exalte
A la vue du dôme doré
De la mosquée d'Omar
Où le  soleil se mire
Comme un éclat de jonquille
Fait trembler l'air
Dans un silence de cymbales

Que m'importe
Si ce temple n'est pas le mien
Tant que je m'envole au firmament
En un seul clignement
De  paupières


Un pétard

Un vacarme troubla
Mon apparente sérénité
Mon âme sursauta
Comme un chien de garde
A l'écoute d'un pas étranger
Si seulement je pouvais l'attraper
Celui qui a ébranlé l'air
Qui a osé me rappeler
Que la vie n'est pas de tout repos
Et qu'elle ne sera jamais
Taillée à ma mesure
Je l'aurais mis en pièces
Moi la délicate
A l'émoi si facile
Quoi donc, il n'a rien d'autre à faire
N'est-ce pas assez que mon temps
S'évapore
Comme la poudre
Qui déclencha le pétard
Qu'activa la main
Qu'activait le cerveau
De celui qui ne pouvait supporter
Le silence

Et seul le bruit qu'il produit
Tel le tonnerre de Dieu
Apaise un instant son esprit
Comme les mots que je dispose
Au sein ou à la fin
De la tempête


Versets pour clore le jour

1
Il était une fois un jardin
Où un arbre touffu
Se balançait
Au rythme du vent

Malheur, malheur à moi
Dont le seul art est
De contempler
Le scellé

2
Dans mon rêve mes enfants étaient tout petits
Et à mon réveil j'ai planté des pousses tendres
Je n'aurai  plus de bambins
Mais, peut-être, une fleur nouvellement née

La nuit mon père et ma mère sont revenus à la vie
Au matin j'ai émietté  la terre dans le pot
Il n'est jamais trop tôt
Pour devenir ami de la poussière

3
Déjà mes yeux se ferment
Et demain, sans doute
Vais-je les ouvrir à nouveau
Observant le citronnier
Pour me rappeler
Que rien n'est entre mes mains
(ni la fleur, ni son parfum, ni le fruit)

4
Encore éveillée
Je jette un regard aux  profondeurs étoilées
Et à mon corps nu
Gouffre contre gouffre mugit
Qu'un océan de mots ne saurait couvrir

Qu'ai-je dit aujourd'hui que je n'ai dit hier, que je ne dirai demain ?
Qu'ai-je tu aujourd'hui que jamais je n'exprimerai?
Impossible, impossible de savoir
Ce qu'enfantera la nuit

Combien de fois me suis-je dit
Ne dors pas, ne t'endors pas
Attends
Attends
Jusqu'à la dernière goutte
De l'obscurité



 

*****

Elle a publié
cinq recueils de poèmes en hébreu dont :
- A Woman Laughing Alone (Carmel, 1994)
- Tiny Corner on a Fleeting Place (Even Hoshen, 2009)
- Back and Forth (Even Hoshen, 2014)

Elle est également l’auteure de deux livres en prose:
- Dreaming.Doc (Carmel, 2005)
- Muted Stories (Carmel, 2013)

Parmi ses traductions,
un choix de nouvelles tirées de l'Heptaméron de Marguerite de Navarre
(Sifriat Poalim, 2002).


Ses poèmes ont été accueillis dans des revues et suppléments littéraires et ont souvent été déclamés en public lors de festivals internationaux, notamment à Paris sous la direction d'Yvan Tetelbaum, et au centre Taferka à l'occasion de la Journée internationale de la femme en 2014.

Les poèmes publiés ici dans la traduction de l’auteure
sont extraits du recueil Tyiny Corner on a Fleeting place (Even Hoshen, 2009).

Les deux premiers sont parus également dans le recueil multilingue Voix sans frontière/ Voci fara hotare. 55 poètes de cinq continents, conçu et dirigé par Mariléna Lica-Masala (éditions Le Scribe l'Harmattan, Paris, 2010).



recherche Dana Shishmanian
mars 2016


Créé le 1 mars 2002

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