LES DISCOURS DES PORTES,
présentation et traduction
de l'arabe (Irak)
par Kader Rabia
(1)
Nous
étions les
reines de la forêt
Ils nous ont coupés
à la racine
Ils nous ont
enchaînés avec du fer
Puis ils nous ont
placés servantes à leurs seuils
C’est cela notre
lot de civilisation
Nul au monde ne
peut mieux que les portes
Comprendre la
souffrance de l’esclave
(2)
Nullement
bavarde
Son alphabet
composé d’une syllabe lui suffit
Pour exprimer
parfaitement sa douleur :
Toc !
(3)
Seul ce
mendiant
connaît toutes les portes
Sans doute parce
que tout comme elles
Il est coupé d’un
arbre.
(4)
Le
menuisier taille
dans sa peau
Et elle souffre
avec patience
Il lui essuie le
visage avec du sable
Et elle ne se
plaint jamais
Il écrase ses
vertèbres
Et elle ne sort
aucun râle
Il l’assaille de
clous
Et elle ne pousse
aucun cri
Pieuse,
Elle ne fait que se
soumettre
A la volonté du
créateur !
(5)
Jouez
devant la
porte
Et elle est
submergée de joie
La dame lui confie
ses petits
(6)
Elle
tend sa
poignée froide
Aux visiteurs
Chaleureusement
(7)
Sa
poitrine gercée
par l’hiver
Envie son dos bien
chaud
Sa poitrine grillée
par l’été
Envie son dos
grelottant
Son dos, intime des
intérieurs
Envie sa poitrine
Juste pour son
privilège
D’être à
l’extérieur !
(8)
Son
grincement les
agace
Ils ne respectent
aucunement
Le gémissement de
la vieillesse
(9)
Elle
danse
Elle applaudit
Elle possède une
fête d’air !
(10)
Le souci
de la
porte en fer :
Elle ne jouit pas
D’arbre
généalogique !
(11)
Ils lui
ont rasé la
face
Ils lui ont
badigeonné le torse
Ils lui ont parsemé
les manches de clous
Et elle n’a pu
imaginer,
Qu’après tout cela,
Elle allait servir
de pantalon
Pour un trou de cul
d’une maison !
(12)
Toute la
journée de
vendredi
Le chahut des
enfants manque … à l’école
Toute la journée de
vendredi
Le calme de samedi
manque … à la porte !
(13)
Comme si
l’obscurité ne suffisait pas !
Les voilà qui lui
couvrent le visage d’un rideau
Je ne suis pas une
fenêtre, braves gens.
et puis j’aime
regarder
Mais personne ne
l’entend
Occupés tous à
suivre la pièce !
(14)
Est-elle
à
l’intérieur ?
Ou à l’extérieur ?
Elle n’en sait rien
Elle a le vertige
A force d’être
claquée !
***
S’il
y a bien un poète d’expression arabe qui fait l’unanimité
c’est bien Ahmad
Matar. On le lit pour ses postions jamais ambiguës, pour son
sarcasme hautement
« moliéresque » et sa langue chantante, accessible
dans les palais comme dans
les chaumières.
Par
ailleurs, cet énième exilé de la poésie
tranchante a été l’ami du grand Naji al
äli, premier caricaturiste assassiné à cause de ses
idées. Matar a toujours
témoigné à chaud au cœur des
événements touchant sa patrie, fidèle à son
langage incisif et à jamais démarqué des
festivités des cours royales et leurs
banquets.
Fin
observateur, ce poète au visage angélique fait de ses
mots des empreintes de
sabres. Il arrive à dénicher la sève même
sur les branches asséchées, comme à
travers ces portes auxquelles il donne ici la parole.
(Kader
Rabia)
Plus sur Kader Rabia, voir Baz'Art Poétique