D'une langue à l'autre...
et textes
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Actu : Novembre 2013 - D'une langue à l'autre...

 

LES DISCOURS DES PORTES

PAR

AHMED MATAR



LES DISCOURS DES PORTES,
présentation et traduction de l'arabe (Irak)
par
Kader  Rabia

(1)

Nous étions les reines de la forêt
Ils nous ont coupés à la racine
Ils nous ont enchaînés avec du fer
Puis ils nous ont placés servantes à leurs seuils
C’est cela notre lot de civilisation
Nul au monde ne peut mieux que les portes
Comprendre la souffrance de l’esclave

 
(2)

Nullement bavarde
Son alphabet composé d’une syllabe lui suffit
Pour exprimer parfaitement sa douleur :
Toc !

(3)

Seul ce mendiant connaît toutes les portes
Sans doute parce que tout comme elles
Il est coupé d’un arbre.


(4)

Le menuisier taille dans sa peau
Et elle souffre avec patience
Il lui essuie le visage avec du sable
Et elle ne se plaint jamais
Il écrase ses vertèbres
Et elle ne sort aucun râle
Il l’assaille de clous
Et elle ne pousse aucun cri
Pieuse,
Elle ne fait que se soumettre
A la volonté du créateur !


(5)

Jouez devant la porte
Et elle est submergée de joie
La dame lui confie ses petits


(6)

Elle tend sa poignée froide
Aux visiteurs
Chaleureusement


(7)

Sa poitrine gercée par l’hiver
Envie son dos bien chaud
Sa poitrine grillée par l’été
Envie son dos grelottant
Son dos, intime des intérieurs
Envie sa poitrine
Juste pour son privilège
D’être à l’extérieur !
 

(8)

Son grincement les agace
Ils ne respectent aucunement
Le gémissement de la vieillesse
 

(9)

Elle danse
Elle applaudit
Elle possède une fête d’air !


(10)

Le souci de la porte en fer :
Elle ne jouit pas
D’arbre généalogique !


(11)

Ils lui ont rasé la face
Ils lui ont badigeonné le torse
Ils lui ont parsemé les manches de clous
Et elle n’a pu imaginer,
Qu’après tout cela,
Elle allait servir de pantalon
Pour un trou de cul d’une maison !

 

(12)

Toute la journée de vendredi
Le chahut des enfants manque … à l’école
Toute la journée de vendredi
Le calme de samedi manque … à la porte !


(13)

Comme si l’obscurité ne suffisait pas !
Les voilà qui lui couvrent le visage d’un rideau
Je ne suis pas une fenêtre, braves gens.
et puis j’aime regarder
Mais personne ne l’entend
Occupés tous à suivre la pièce !
 

(14)

Est-elle à l’intérieur ?
Ou à l’extérieur ?
Elle n’en sait rien
Elle a le vertige
A force d’être claquée !

***

S’il y a bien un poète d’expression arabe qui fait l’unanimité c’est bien Ahmad Matar. On le lit pour ses postions jamais ambiguës, pour son sarcasme hautement « moliéresque » et sa langue chantante, accessible dans les palais comme dans les chaumières.

Par ailleurs, cet énième exilé de la poésie tranchante a été l’ami du grand Naji al äli, premier caricaturiste assassiné à cause de ses idées. Matar a toujours témoigné à chaud au cœur des événements touchant sa patrie, fidèle à son langage incisif et à jamais démarqué des festivités des cours royales et leurs banquets.

Fin observateur, ce poète au visage angélique fait de ses mots des empreintes de sabres. Il arrive à dénicher la sève même sur les branches asséchées, comme à travers ces portes auxquelles il donne ici la parole.

(Kader Rabia)
Plus sur Kader Rabia, voir Baz'Art Poétique

 

Ahmaf Matar,
recherche Kader Rabia
traduction Kader Rabia
Francopolis novembre 2013

Créé le 1 mars 2002

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