D'une langue à l'autre...
et textes
incidemment, sciemment
ou comme prétexte. Traduction.

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Actu : JANVIER 2013 - D'une langue à l'autre...


Entretien avec Louisa Nadour

par

Marie Virolle

Marie Virolle 
Vous venez de publier un très beau recueil de poésie bilingue (arabe-français), que vous avez traduit vous-même, aux éditions L’Harmattan, Le pinceau et les par-chemins. Je peux supposer qu’il n’est pas très évident, en France, de publier ainsi un texte bilingue. Pouvez-vous nous parler des difficultés inhérentes à la publication d’un tel ouvrage ? Pourquoi teniez-vous à une publication bilingue ? Est-ce seulement parce que vous êtes vous-même traductrice de profession… ?


Louisa Nadour
Le bilinguisme est le passage en souplesse, et avec une relative aisance, d'une langue à l’autre. Pour ma part, c’est une  évidence et une belle gymnastique linguistique qui s'est imposée à moi, et facilitée par mes pérégrinations entre mon pays natal,  la France, et mon pays d’origine, l’Algérie. Je suis fière d’appartenir à ces deux Nations.

J’ai eu de la chance de vivre en Algérie,  le temps de m’imprégner de son paysage, de ses saveurs, de ses us et coutumes. Ma culture ancestrale est un vivier intarissable dans lequel je ne cesse de puiser pour nourrir mon âme poétique. Mes études en langue arabe m’ont amenée  à acquérir ensuite les subtilités de cette  langue, devenue un outil de travail et d’enchantement. La littérature arabe regorge de textes sublimes ; elle est  bien connue pour ses  poésies.  Elle m’a tout simplement séduite et donné généreusement  toute  latitude pour m’exprimer. La langue française est aussi ma langue d’expression  comme pour la plupart des Algériens. C’est une langue  que j’apprivoise au quotidien en tant que traductrice. C’est un challenge et une belle expérience que de traduire mes poèmes en français. Ce n’était pas évident au départ de trouver une maison d’édition qui accepterait de publier un texte bilingue. Les éditions l’Harmattan m'ont offert cette possibilité et j’en suis très ravie.

M.V.
Votre titre, « Le pinceau et les par-chemins », suggère un dialogue entre création littéraire et création plastique. Par ailleurs, votre recueil est accompagné de treize reproductions en couleurs d’œuvres du peintre algérien Kamel Yahiaoui. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette démarche ?

L.N.

Kamel Yahiaoui m'a fait l’honneur d’illustrer  mes poèmes de treize peintures ;  il les a conçues après avoir lu le recueil,  il s’en est inspiré pour en faire une série d’œuvres. La poésie occupe une place prépondérante dans l'œuvre plastique de Kamel Yahiaoui. Plusieurs poètes ont inspiré ses créations: Si Mohand, Kateb Yacine, Nabile Farès, Léopold Sédar Senghor, François Villon, Mallarmé, Paul Eluard, Jacques Prévert ....D’après  Kamel Yahiaoui " la peinture abrite le poème et la poésie est la palette du peintre" de ce fait,  je suis  enchantée que Kamel Yahiaoui  accompagne et habille ma poésie de ses créations.

M.V.

Qu’est-ce qui a présidé au choix des peintures de Kamel Yahiaoui ? Pourquoi cet artiste ? Pourquoi ces œuvres-là, « peuplé[es] de silhouettes et de fantômes, d’âmes impalpables et de souvenirs innombrables », comme l’écrit Jean-Louis Pradel dans sa présentation ?

L.N.


Kamel Yahiaoui s'est accordé, à la lecture du recueil,  un voyage à travers  les mots. Les poèmes sont tellement imagés, d’après lui,  qu’ils  lui ont soufflé les traits et les contours de ses silhouettes ; il a su déchiffrer la quintessence des mots.

Les silhouettes de Kamel Yahiaoui nous invitent à aller au-delà de l’apparence pour toucher la profondeur de l’imaginaire, c’est une évasion en soi. Il  a su conserver le mystère, tout en livrant des codes au sein de ses fresques pour permettre au lecteur d’accéder au bal des songes. L’Historien et critique d'art français Jean-Louis Pradel, nous a, de surcroît, gratifiés d’un très beau texte de présentation concernant  cette étreinte artistico-poétique.

M.V.

Marcel Khalifé, le grand chanteur et musicien libanais, que le poète Mahmoud Darwich a souvent inspiré, vous fait l’honneur de préfacer votre ouvrage — gage, s’il en fallait, de sa qualité. Il écrit dans sa préface que vous « dénude[z]  votre exil », pouvez-vous nous parler de ce sentiment et des conditions de cet exil, car vous êtes née en France, n’est-ce pas ?

L.N.

L’exil et le voyage perpétuel sont omniprésents  (ou en filigrane) dans mes poèmes.  Notre exil diffère de celui  de nos pères, qui se sont installés en France dans l’espoir de retourner un jour au bercail. L’exil a jeté sur eux un déni au quotidien tandis que  l’éloignement était à la fois géographique et symbolique. Les  poètes « dits de l’exil » comme Slimane Azem, El-Hasnaoui,  Ahmed Wahbi  pansaient  une inquiétude vécue par  des textes poétiques souvent mélancoliques mais non moins instructifs.  Je fais partie de la troisième génération issue de l’immigration. En France,  je me sens tout à fait chez moi comme en Algérie d’ailleurs. Néanmoins, une autre forme d'exil me préoccupe ;  un sentiment  inachevé s’empare de mon être, ici comme là-bas ;  je  saurais  peut- être un jour l’expliquer et mettre des mots dessus.

M.V.

Revenons au bilinguisme de vos textes, qui est, en lui-même, passionnant. Quelles sont les difficultés, en poésie, du passage d’une langue à l’autre ? Vous êtes dans une position très particulière car ce sont vos deux langues d’expression — comme d’ailleurs pour la plupart des Algériens —, auxquelles s’ajoute, parfois, le berbère. Avez-vous composé en arabe et traduit en français, et/ou l’inverse ? Quel est le niveau de langue utilisé pour l’arabe ? Est-ce une création totalement bilingue ? Avez-vous eu parfois l’impression de « trahir » dans l’une ou l’autre langue, selon l’expression bien connue « traduction, trahison » ? Les deux univers linguistiques ont-ils induit deux univers poétiques, si l’on considère les héritages poétiques dans les deux langues ?

L.N.

L’aphorisme italien résume bien  cette idée «Tarductore, traditore » il signifie que toute traduction est fatalement infidèle et trahit par conséquent la pensée de l’auteur du texte original.  Partant de ce constat, vous imaginez bien qu’il n’y a pas plus périlleux que de se trahir soi-même.

La traduction poétique pose, effectivement, un problème particulier parce que le poème est un tout indissoluble  de sens et de son. La lisibilité du texte ne pourra, en aucun cas, être cherchée dans sa littéralité même, et le traduire par son seul sens,  serait  le dépouiller de toute son enveloppe charnelle, visible-lisible. Traduire ne peut être que  poésie recommencée, la traduction se fonde plus ou moins sur ce paradoxe de l’infidélité. Le traducteur le plus fidèle est celui qui  donne la version la plus parfaitement réussie et la plus crédible dans sa langue à lui. Face au poème-source(en arabe), je me suis arrêtée à son niveau de langue, ses images, ses subtilités  qui constituent une respiration unique, une voix particulière et une élégance linguistique propre aux impératifs esthétiques de la langue arabe. J’ai puisé par la suite dans  la langue française, je me suis tenue à ses exigences, ses propres formes d’éloquence et j’ai traduit tout en gardant  la réalité culturelle de la langue arabe et en évoquant mes inspirations originelles.

C’est tout simplement un bel exercice linguistique et poétique qui a allie probablement deux univers poétiques.

M.V.

Vous dédiez votre ouvrage à votre mère et à vos enfants, ce qui vous situe dans la lignée de celles qui transmettent la vie… Mais vous êtes aussi celle qui transmet la parole. La mère est d’ailleurs évoquée dans l’un de vos poèmes, « Le foulard vert », comme celle qui conte — et l’« éternelle du voyage » la cherche dans « la foule mouvante » qui brasse « les partants et les revenants » —, avez-vous été nourrie de littérature orale algérienne ? Dans quelle langue ? Pensez-vous que ce viatique soit important pour votre création, et comment ?

L.N.

Encore une fois, je considère que j’ai eu une immense chance de vivre en Algérie et de puiser dans la profondeur de sa culture ancestrale ; en langue kabyle comme en arabe dialectal. L’Algérie recèle  un patrimoine culturel précieux et immatériel transmis d’une génération à l’autre dans une expression populaire imagée, formée bien souvent d’assonances rimées et de rythmes. On y trouve aussi de nombreuses réminiscences de la spiritualité et de la  sagesse populaire algérienne.  Comme tout  Algérien,  je me suis nourrie de cette oralité. Aussi c’est peut- être dans un besoin intense de me rattacher à mes racines que j’ai approfondi mes recherches dans la littérature populaire algérienne. J’ai  animé pendant quatre ans l’émission des « rythmes et des rimes » à Radio-Soleil, une émission qui  m’a permis  d’offrir une tribune à cette oralité et cette sagesse populaire.  Ce rendez-vous radiophonique a eu beaucoup d’écho auprès des  auditeurs  qui venaient  se joindre à nous à travers les ondes pour recréer la convivialité d’antan. Nous éprouvons  tous le besoin de nous rattacher à notre spécificité culturelle,  tout en évoluant et en nous adaptant à travers le monde  car, à mon sens, la capacité d’adaptation et d’évolution passe aussi par la conservation de notre  spécificité culturelle tout en nous propulsant dans l’universalité.  Plus nous entretenons la quête personnelle  et la  recherche identitaire,  plus les murs entre les peuples tombent, et plus nous nous apercevons  que les peuples sont frères. Si nous prenons comme exemple, les contes  et proverbes, nous  y trouverons beaucoup  de similitudes ainsi que  la même portée morale d’une sagesse qui  appartient à la première tribu,  qui est la tribu humaine. La littérature orale est effectivement un bout de moi-même que j’emporte tel un viatique  dans mes créations. Et justement, vous avez bien vu, dans le poème « le foulard vert » la maman incarne la filiation et la transmission.  Je la cherche partout par souci d’existence à travers un patrimoine précieux et immatériel qu’on risque malheureusement de perdre.

M.V.
Quels sont vos projets ?

L.N.

Je continuerai  à publier mes poèmes après les avoir traduits et fait  illustrer par d’autres artistes de tous horizons. J’ai aussi un projet de livre autour des proverbes, contes et  énigmes populaires algériennes en kabyle et arabe dialectal.

Propos recueillis par Marie Virolle

Revue Algérie Action Littérature

2010 Novembre – Décembre. N° 145-146



Louisa Nadour est une poète d’expression arabe, née en France. Elle est aussi traductrice et journaliste. Elle vit et travaille en France et demeure un pont entre les deux rivages.

En octobre 2010 elle publie aux éditions l'Harmattan un recueil de poèmes en arabe qu’elle traduit elle-même en français. L’ouvrage, bilingue, est intitulé Le pinceau et les par-chemins, et est accompagné des œuvres du peintre algérien Kamel Yahiaoui.

 

Un texte du célèbre Marcel Khalifé – chantant merveilleusement le poète Mahmoud Darwich – introduit le recueil, par des notes invitant le lecteur au voyage : « à chaque jaillissement du poème, la vie rayonne sur le sublime des péchés ».



L’odyssée des mots


Segments des lettres emmanchées
au sens acéré
suspendues à l’ardeur de l’infini
elles fendent l’antre du néant 
se voulant  le châtiment
des âmes qui se  dénudent
au regard de la nuit 
tels des éclats
embrassant le comble des miracles 
elles choient sur le flanc des montagnes séculaires

 

Ainsi commence
l’odyssée des mots
par l’éclatement de soi
au carrefour des rimes
 


Je surprends la sarabande des lettres  autour
des flammes lestes
alifoun…..baaoun
charrient le délire en fragments
j’invoque mon alif,

mon bâton de pèlerin

 



J’amasse mes effets
poursuis mon périple
à ma tribu retrouvée
j’annonce la naissance du poème



Louisa Nadour
, poème inédit pour Francopolis
janvier 2013

                                                                                                          


Entretien Louisa Nadour
par Marie Virolle

recherche Dana Shishmanian

Francopolis janvier 2013

Créé le 1 mars 2002

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