Les plus beaux paysages
Les
plus beaux paysages se bâtissent le soir
derrière
les trains qui s’évadent
les
plus belles lunes
tombent
dans le lac au même moment
pourtant
toute délivrance me vient de toi
de
tes paupières fatiguées et de tes pâles
baisers
qui préservent rigoureusement notre solitude
tu
te tournes toujours vers moi debout
même
les jours qui tombent dans la caverne
du
sombre mutisme
et
dans les minutes dérobées à la lumière
ici
où les rivières ravinent les berges privées de parole
et
pour demain les maisons se feront vieilles
Sur la route
À présent inconnue parmi les
ombres
furtives
de la vitesse je ne sais plus
d’où
je suis partie peu importe
la
route sera aussi longue que la vie
auparavant
au-dessus du pont
j’ai
rencontré les arbres muets et je leur ai dit
pensez-vous
encore
aux
oiseaux envolés
aux
oiseaux tombés
la
forêt garda le silence et s’en fut plus loin
mais
au-delà de tout cela
un
coup d’œil bleu vers les nuages
qui
doivent apprendre
les
parfums multicolores des fleurs
souples
comme l’aube d’avril
où
peuvent être maintenant
toutes
ces couleurs senteurs et voix
sur
les sentiers de montagne recouverts de neige
elles
se sont échappées au loin dans le silence
des
ponts maisons gens
l’envol
d’un baiser quoi de plus fugace
mais
un baiser après tout et pourquoi attendre davantage
plus
loin des bruissements sauvages sur le champ
les
crevasses sombres et fascinantes
comme
les yeux des amoureux au crépuscule
le
vent gronde nous fonçons hurlant dans la nuit
un
claquement et nous y arrivons
quelqu’un
s’est trompé
pas
encore non
trois
mots de travers
la
lune quitte le ciel
Dans l’usine
Les
jours se ressemblaient autant que les heures
qui
couraient au long de la chaîne et sur nos mains
mille
dix mille quelque part
assurément
se transformaient en montagne
car
nous sentions son poids sur nos cages thoraciques et moi
je
n’ai vu personne parmi nous qui aurait eu
une
seule raison pour éclater de rire
Le
Val-de-Ruz brillait parfois comme les vitrines
quelqu’un
pleurait en hurlant poussé vers la sortie trop faibles
ses
nerfs disaient-ils nous poursuivions le travail
tendez
vos mains huileuses les cliquetis
des
cinq écus sur nos muscles noués
des
rêves au front pur s’accroupissent
qui
regrette au printemps
les
feuilles pourries de l’année dernière
préparez
donc
vos
enfants à se lever tôt dans le voisinage
une
nouvelle usine est en chantier
L’oiseau
Je fus un grand oiseau lourd
et parfois je reconnaissais les
villes
que j’avais traversées jadis
j’aimais surtout les ponts et les
jardins
où le soir en été les danseurs
flottaient sous les réverbères
ils avaient peur lorsque mon ombre
tombait sur eux
moi aussi j’avais peur quand les
bombes pleuvaient
je m’envolais loin et lorsque le
silence régnait
je revenais planer longtemps
au-dessus des fosses et des morts
j’aimais la mort j’aimais jouer
avec la mort
au-dessus des sombres montagnes
parfois je refermais mes ailes
et telle une pierre je me laissais
tomber dans l’abîme
mais jamais jusqu’au bout jamais
jusqu’au plus profond
pour l’heure j’avais peur pour
l’heure j’aimais la mort des autres
et pas la mienne ma mort je l’ai
aimée plus tard
beaucoup plus tard
lorsque j’étais déjà fatigué et
affamé et triste
lorsque je n’avais plus peur de
rien
je ne regardais que les pierres et
les brumes dans les abîmes
et mes ailes se sont refermées
Pas mourir*
Pas
mourir
pas
encore
trop
tôt le couteau
le
poison, trop tôt
Je
m’aime encore
J’aime
mes mains qui fument
qui
écrivent
Qui
tiennent la cigarette
La
plume
Le
verre.
J’aime
mes mains qui tremblent
qui
nettoient malgré tout
qui
bougent
Les
ongles y poussent encore
mes
mains
remettent
les lunettes en place
pour
que j’écrive
*
Ce dernier poème sélectionné ici fait partie des poèmes écrits en français
par l’auteure. Les précédentes sont traduits de l’hongrois.
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