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 de  Amel Bakkar  sélection novembre 2004

Elle se présente à vous.

la perte matérielle enrichit l'esprit

 -  Nouvelle  -

Cet objet longiligne et transparent étais transmis de génération en génération. J’étais assise là, devant lui, fascinée.
Son créateur l’avait pensé ovale et arrondie : Un de mes arrières arrières grands-parents. Aujourd’hui il habillait ma table de nuit, pour l’égayer.
De foyer en foyer, il s’était cloné. Ses jumeaux pouvaient se lover sur une table, un meuble, ou à même le sol.

Le mien, je l’avais habillé de fleurs et parfumé d’eau. Garni de roses, mon vase resplendissait. Quel magnifique bijou je possédais !
Toi, tu avais ton chat, ton ami pour te parler.
Moi, j’avais ce vase qui respirait l’Antiquité, habité de ses âmes ancêtres qu’il avait côtoyés.

Un soir, tombée la nuit noire, j’étais venue m’asseoir à ses pieds pour me confier. J’avais rencontré quelqu’un. Un homme était venu demander ma main. J’étais enjouée, heureuse d’avoir été désirée.
À travers mon vase, je partageais ce moment passionné avec papa et maman depuis peu décédés.
En une nuit, j’étais passée en une nuit : de l’ennui à la Vie. Je m’imaginais déjà telle Cendrillon enlacée dans les bras de mon prince : Sébastien.
J’étais devenue princesse de lumière.

Puis un jour, le fracas.
Un faux mouvement de ma main bascule le vase qui périt dans un lac de verre en mille de morceaux. Brisée à terre, je vivais une grande perte, une souffrance indélébile. J’avais perdu un ami, mes racines, mon avenir, ma vie.
Mon objet fétiche avait quitté notre terre.
Je devenais princesse des ténèbres

A contrecœur, j’assemblais ce qu’il en restait pour le coucher dans une petite boîte. Je me rendis au pied d’un arbre pour y honorer les restes de son âme. La personne que j’avais choisie étais l’arbre le plus ancien du bois qui trônait majestueusement près de chez moi.
Besoin de me laisser aller, je me suis étonnée à rester écouter cet arbre qui accompagnait mes journées quotidiennes.
Il se rendit compte très vite qu’on vivait le même état de solitude partagé ; A sa demande, j’y blottis mon oreille.
Il me raconta son histoire :



« Mes ancêtres et moi habitons cette terre depuis des millions d’années.
Je déploie mes racines pour sans cesse rester connecté à la vie.
Dépendant des autres : le temps est devenu mon allié, la pluie mon amie, la neige mon ennemie. Quant à l’engrais, il m’embellit.
Que d’émotions j’aurai vécu, que de visages j’aurai observé, de kung-fu que j’aurai  nourri de mon énergie.

Hier, une femme est venue s’asseoir à mes pieds. Elle avait besoin de se libérer. Adossée à mon tronc, elle s’est offert le temps de déposer ses larmes. Je l’ai aidé, je lui ai permis de se confier.
Je sais aussi être terre-à-terre.
Des rêves, j’en ai eu ! De m’envoler, de voyager….
Je me suis offert cette possibilité grâce à mes cheveux que j’ai allongé et baptisé “branches“. Les oiseaux, viennent s’y nicher pour une contemplation figée du monde. Je vis leur expérience par procuration.

Pour me protéger, des feuilles ont poussé et se laissent tomber à l’arrivée de l’hiver. Un jour, on viendra m’enlever de mon nid, mon royaume. D’un coup de hache, les anges urbains viendront couper mon dernier souffle à la hache et je finirais conditionné en cahier ou en lit.
La cruauté des hommes fera que je n’existerais plus et que je n’aurai plus rien à raconter. »

Émue par son récit, sa vie, une promesse s’évade.
Il me supplie de vivre, de goûter chaque moment. J’accepte sans hésiter.
Fatiguée, je rentre chez moi. La nuit se vie blottie dans les couvertures. Une nuit se fane, une journée s’éclore.

Le matin, volets ouverts, je contemple le paysage.
L’odeur de la rosée et des croissants briochés traversant les fenêtres closes de la boulangerie me transportent à n’en plus sentir mes narines. L’odeur nauséabonde du métro et du déodorant moisi me rappelle à la vie. Arrivée au lycée, le professeur de langue étrangère me glisse à l’oreille : « que l’aveuglement et la surdité peuvent frapper l’esprit ». Le monde du professorat me désespérait. Ici, tout le monde le savait.
Alors très vite, un sourire s’évade. Tête haute, je dégusterais chaque heure à étudier, à entendre les enseignants enseignés jusqu’à la fin de la journée.

Quel exploit !

Pour me récompenser, je kidnapperai dans la poche de Sofia une tablette de chocolat. Les petits carrés détachés viendront se blottir sous ma langue affamée. Je garderai de cette journée une douce volupté, nappée d’une crème de lait.
Il est tard. Mes pieds sont fatigués à se synchroniser sans repos.
Je ne sais pas quelle heure il est. La notion du temps s’est perdue.
Une avalanche de pompiers attise ma curiosité. Mon visage pâli.
Des tuyaux arrosent la maison que j’habite.

Que de pertes matérielles en ces deux dernières journées. J’en souffre.
Au milieu des pleurs, une voix inconnu me murmure délicatement :
“Sarah, entre vagues et marées, avance avec humilité.
Vit le temps présent, bons comme mauvais moments.
Comprends l’ordre de l’univers, et tu seras heureuse“

Ces quelques mots apaiseront mon âme que je laisserais grandir avec curiosité et réserve, tout en croquant la vie.
 

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Créé le 1 mars 2002

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