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Jéromine Beauvoisin ,  sélection octobre 2009

il  se présente à vous.


 
       L'arbre plumes


L’arbre à plumes collecte les brindilles pour amarrer les nids. Au préalable, il a repéré les endroits propices. Matière solide et sèche, échafaudée croisée sur une fourche saine figeront le berceau et garantiront l’aplomb du foyer.

C’est un travail d’infinie patience et de longue haleine que cette collecte, pas du tout un passe-temps. C’est le destin, la mission, le sens même de la vie de l’arbre à plumes.

Chaque matin, il scrute le sol, évalue les trésors surgis de la nuit, du vent ou de la pluie et son cœur se gonfle en même temps que son regard. En un clin d’œil, il sait combien de « ogements» il va pouvoir mettre à disposition des passereaux de toutes plumes, en priorité les éclopés, les vieillards, les malades et les fatigués. Et oui, même la nature fait du social et ce sont les arbres qui administrent les plans sociaux. Parce qu’eux connaissent tous ceux qui passent, ils savent dans quelles conditions ils voyagent, qui est en avance, qui est en retard, qui manque à l’appel... et avant même leur arrivée, par une magie absolument occulte, ils savent aussi qui aura besoin d’aide. Ce savoir-là est fait de silence et de frissons. Il n’a pas de nom, c’est une sorte de grâce, de révélation. Divine.

Dès le lever du jour, l’arbre à plumes s’étire, déploie ses branches tout en arc-boutant son fût pour cueillir la moisson journalière de brindilles. Il est aidé parfois par quelques écureuils qui se chargent du fret et des finitions. C’est un moment d’ébullition, un chantier matinal qui tient autant du numéro de cirque que de l’ouvrage de travaux publics. Les efforts de tous se conjuguent pour transporter les matériaux.

En tant que chef de chantier, l’arbre à plumes est habilité à fournir toutes les indications aux ouvriers volontaires. Solidaires.
Il incline alors sa plus haute branche et pose une feuille à chaque endroit qui lui paraît solide autant que stratégique pour accueillir un nid. A partir de ce moment et en quelques acrobaties, le nid d’oiseau sera établi sur sa base, stable et enchâssée, et tout sera à disposition. Il ne restera que les décorations à apporter qui seront laissées au goût et à l’initiative des locataires.

Tout le monde a une vue panoramique sur la campagne et une terrasse attenante. Un pot d’accueil est même organisé chaque soir par l’arbre à plumes pour accueillir les nouveaux arrivants. C’est un séjour royal : loyer gratuit, repos garanti le temps de l’escale dans des limites négociables avec l’administrateur, entraide mutuelle naturelle, le tout dans une ambiance qui est loin d’être « volatile » mais bien plutôt communautaire.
 
C’est là l’œuvre de l’arbre à plumes. D’ailleurs, on vient de loin pour faire étape chez lui et certains font parfois le détour pour venir le saluer tant sa renommée étendue. D’un pôle à l’autre, particulièrement grâce aux bernaches et aux sternes, ces belles hirondelles des mers.

Pour lui, l’hospitalité a toujours été la priorité. Un jour, à ce propos, il s’est interrogé sur le fonctionnement des humains… à force de voir certains d’entre eux passer, repasser, fourbus, harassés, dormir sous des tentes l’hiver et même sous des ponts ou dans des escaliers. D’ailleurs,  il s’est demandé s’il ne s’agissait pas d’un jeu, peut-être initiatique. Mais personne n’a jamais su lui donner une explication plausible. Aussi, quand il lui arrive de croiser l’un de ces individus, déambulant avec ce qui peut tenir lieu de maison sur son dos ou dans des sacs plastique, il se contente de lui sourire… Et dans ce sourire là, il y a autant d’interrogation que d’empathie.

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Créé le 1 mars 2002

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