Vos textes publiés ici après soumission au comité de poésie de francopolis.







 
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Bernard O
  sélection octobre 2006

il se présente à vous.


 Extraits du Journal d’un fou


Premier septembre  £

Quel jour somme-nous ? Jeudi ? Ah oui, jeudi. J’avais presque oublié que Jeudi n'était pas un jour comme un autre. La preuve : il revient chaque semaine, sans en manquer une seule. C’est exaspérant ! Et ce foutu jeudi dure vingt quatre heures, pas une de moins. Ce qui fait mille quatre cents quarante minutes, et quatre vingt six mille quatre cents secondes.
C’est long, c’est très long, surtout vers la fin. D’autant que, ce jour là, à chaque instant, je me pose la question : aller en enfer ou sortir du paradis ? Maintenant ou plus tard ? D’habitude, je choisis : ni l’un, ni l’autre ! Pour moi les chemins de la connaissance ne mènent nulle part.
Le mieux serait de me promener chaque jeudi dans les intimités de ma cousine, une fleur à la main. Mais ma cousine est respectable, et plus très jeune. Elle accumule en son for intérieur je ne sais combien de pétales à raison de 57 par an, et de boutons à raison de 7 par semaine, plus les bisexuelles si mes souvenirs sont exacts. Et je ne parle pas des épines qu’elle cache sous sa jupe. Je parle de mes souvenirs.
Mais de quoi s’agit-il ? Je ne m’en souviens pas, ce qui est un comble si on considère le temps écoulé. Combien de siècles depuis la fin du monde ? Combien de millénaires après ma mort? Mémoire engloutie ne refera surface qu’après l’exploration de toutes mes banquises. Telle la superbe épave du Titanic dans sa cangue de rouille, elle (ma mémoire) voguera de nouveau sous mon crâne de vieux rebelle...

Tout pour aujourd’hui...


5 septembre  ¥ 

Fatigué à ne rien faire, ces derniers temps.
Fut une époque où, après un repas avalé sur le pouce alors que la lune était couchée de l’autre côté du mur, je…
En pleine forme j'étais ! J’aurais pu coucher avec la lune, vous vous rendez compte ? Juste une porte à franchir et la lune était là, nue et frémissante sur sa couche nocturne. Que dis-je la lune ? Une paire de lunes, oui ! Car elles étaient deux, pleines et rondes comme …
Qu’est-ce que je disais au juste ? Avant tout, consulter mon avocat de bord pour savoir où je suis, où j’en suis, et quand. Quelle heure est-il ? ... La 25ème, déjà  ! Pour le jour et l’année, on verra plus tard. Tant qu’au siècle, je m’en fous. Est-ce aujourd’hui le jour du Solennel Départ ? À moins que ce ne soit la nuit des Kroques Maures ? « Si c’est oui, c’est de l’espérance. Si c’est non, c’est de la souffrance » : j’ai déjà entendu ça dans un ailleurs parallèle, triste comptine chantonnée par des fillettes tourbillonnantes, jupes envolées par dessus des dessins crayeux.
De toutes manières, après ce qui s’est passé, il faudra refaire mon lit, changer les draps du dessous et en mettre d’autres par-dessus. Beaucoup les rejoindront au fil du temps. Ô fil suspend ton vol ! Ma vie en dépend. Surtout, ne pas oublier l’alaise. Sans alaise on est mal à l’aise.
Par-dessus la tête de tout ça.
J'oubliais : le patient doit être nickel sur lui, sinon un gros docteur bouffi de bonnes intentions fera la moue et de grosses mouches de cirage noir se traîneront hors de sa bouche cent dents. Handicapée des ailes, les mioches mouches ! Heureusement, le cauchemar se dissoudra au premier sourire de la matinée, quand le soleil tout juste levé montrera le bout de son nez  rubicond à la fente des persiennes. Le tout au son des cloches estivales qui marqueront le début d’un jour nouveau.

Allons z-enfants…


9 septembre  Y 

J’ai des voix. Elles posent des questions à réponses multiples, QCM ou l’équivalent. L’une d’elle revient souvent : « Qu’avez-vous fait de votre vie, jusqu’ici ? » Qui ? Moi ? « Oui, vous ! ».
Je peux répondre sans crainte de ne pas me tromper : rien ! De très nombreux riens. Mais qu’est-ce que rien ? Nihil obstat, dit-elle. Ou « tout s’y oppose » en vieux français. Une chose qu’on ne peut saisir entre ses mains tremblantes d’indignation. Il faut ouvrir les doigts sur l’innommable. S’en dessaisir au plus vite. Et les refermer avant que ça ne vous saute à la figure. Pour parler vrai, je ne sais plus où j’en suis. Mais ça n’a plus aucune importance, car exit le temps et l’espace.
Cette fois, il faut prendre le taureau par les couilles. Ne plus tergiverser. Se concentrer longuement. Puissamment. Réfléchir mille fois plutôt qu’une. Ici, je ne parle pas de moi, mais pour Vous. Oui, vous qui lisez ces lignes. Tournez septante fois sept fois votre pensée dans ce qui vous sert de tête. Et encore nonante neuf. Votre pensée, si tant est que vous en ayez une, il faut la sucer, la mâchonner, la ruminer, la régurgiter, avant de la recracher. Sur quel visage ? Le vôtre bien sûr, ce reflet pourrissant qui va s’effaçant dans la glace ébréchée. Et puis glisser à la surface du miroir. Miroiter en eau profonde. Pour finalement traverser, au-delà et plus loin. Patauger dans le décor à l’infini. Une brasse en avant, deux en arrière ; ou le contraire, mais alternativement.
Non ! En réalité, vous marchez en plein air, par un jour de  nuit sans lune. Les pieds devant, la tête derrière. Et pa-pa pas de pa-pa pas de côté. Vous pourriez chuter! Ce serait l’Abomination de la Désolation!
Laissez moi vous expliquer : c’est le crépuscule, ou l’aube, comme vous voudrez. Des abîmes cent fonds vous entourent, à droite et à gauche. En haut et en bas. Funambule émérite, vous glissez sur une planche bien huilée tendue entre deux immeubles, très au dessus d’une rue qui serpente entre les pieds d’un géant. Horreur ! Voilà la planche qui se met à serpenter, elle aussi ! Et à rétrécir. Ce n’est plus une planche, c’est une corde. Que dis-je ! Une ficelle, un fil, un cheveu ! Vos énormes pieds nus en sont atrocement cisaillés. Tomber ! Jusqu’où ? La rue ? Non ! Plus loin, plus bas, plus profond : tomber dans la tombe. Une fois dedans, vous aurez tout le temps de chercher le pourquoi du comment. Car dans la tombe, qui ou quoi y a-t-il ? Rien. Nous y revoilà : rien. Je repose ma question : qu’est-ce que rien ? Le contraire de tout. Un peu court comme définition. Disons une chose, mais déchosifiée. Un néant redondant. Une entité désincarnée qui ne se dressera qu’aux Trompettes de la Renommée. Je voulais dire du Jugement Dernier.
Fin du monde : bidon ! Bouche d’or : cousue de fil blanc ! Je crois entendre une symphonie fantastique. Mes orifices bouchés n’en perçoivent que bribes effilochées. J’ai beau respirer par le nez, mes oreilles ne voient rien et mes yeux n’entendent pas davantage. J’ouvre l’œil droit sans fermer le gauche. Un long entraînement. Essayez pour voir.


10 Septembre  Ð

Reprenons…
Oh là ! là ! Arrêtez ! Prostration ! Prostitution ! Prosternation ! Profanation ! Propagation ! Arrêtez messieurs ! Je proteste ! Innocent ! Innocent je suis comme l’agneau qui vient de mourir. Pur de toute velléité affective. Je n’ai jamais mangé personne. Pas même moi. Je cite comme témoin à décharge Dame Tartine, première du Nom. Une vieille tartine toute rancie beurrée du mauvais côté, mais tant pis. Je la lance. Sur quelle face va-t-elle tomber ? Pas la dame, la tartine. Ne répondez pas sans réfléchir aux effets de lumière dans l’obscurité. Vieux problème de pataphysique appliquée. La tartine n’a que deux faces donc… ? Sur la tranche, dites-vous ? Non, impossible ! Mais tout de même propable. Disons une chance sur deux.

« Vaille que vaille et advienne que pourra ». Qui a dit ça ? Quelqu’un a parlé : je l’ai entendu ! Ne niez pas. Ne pleurez pas. Ne riez pas non plus. Ayez le courage de vos opinions, messieurs ! Levez le doigt et ne couiner pas tous en même temps. La cacophonie m’insupporte, ces jours ci. Céphalopathia sexualis dis-je, ce qui signifie : mal de tête sans tête, le pire des maux de tête. L’homme s’entête : c’est moi. Et quelle tête ! Une vulgaire caboche, un cabochon de carafe. Sur les épaules ventrues d’une bouteille vidée. Enlevez moi au moins l’étiquette que personne ne voit que c’était de la piquette.

12 Septembre   Q

Oh ! Une femme ! Insérez la prévenue. Quelles sont les charges, Môssieur ? Môssieur, elle est accusée de n’avoir rien fait. Une victime, récidiviste de surcroît. C’est grave, très grave ! Qu’on la mette en bouteille ! Bouchonnez-la dans le box des accusés. Confrontez-la avec la veuve Clicquot et l’oncle Tom. Et sortez tout ce beau monde de la case.
« Messieurs, la Cour ! » Que le premier Juré lise la sentence. Silence dans la salle ! Voix chevrotante :  « La ci-devant prévenue coupable est condamnée à la décapsulation ». Ah la malheureuse ! Dr. Guillotin, décapsulez moi ça qu’on voit ce qu’elle a dans le ventre. Et puis non ! Allez au diable ! Mais revenez vite. A table Messieurs ! C’est l’heure.


17 septembre Ã

Après un temps de latence de sept jours et je ne sais combien de nuits,  je me suis éveillé ce matin à peu près lucide. Je me suis relu : effaré ! Une bouffée délirante en ce début de septembre brisé. Maintenant, j’ai toute ma tête, et même davantage. La preuve, je me cite : « j’ai toujours aimé le printemps, surtout quand il succède à l’été ». Ça me revient maintenant. C’est déjà arrivé, mais ça remonte à l’an mille.
Mais non, voila que ça recommence ! A partir d’aujourd’hui je serai raisonnable, coûte que coûte et Dieu sait que ça me coûte. Mille brouzics la demi-heure au moins. Hors taxes. Être sensé nécessite un relâchement de tous mes sens, une inattention de chaque instant. C’est épuisant, à devenir fou. Les normaux n’ont pas idée. Un fou doit besogner dur dans sa tête cabossée. Jusqu’à la perdre, cette fichue tête. Comme qui dirait : quoi ça ? Une sorte de virginité mal placée. Ou mal baisée, au choix.
Le bout de mon nez pointe déjà là où il ne faut pas. Scandale ! J’ai encore oublié de fermer la braguette de mon chapeau. De sa fenêtre ouverte, la voisine me fait de grands signes en morse. Elle se désigne avec des gestes obscènes en roulant des yeux de vache égorgée. Quelle honte ! Mes cheveux poussent à l’envers. Ça chatouille. Ma langue ne tourne plus entre mes dents serrées. J’ai les cils pliés. Je suis assis sur mes souliers et les yeux me rentrent dans la tête. Mes articulations plient à l’envers. Je grince et graillonne de loin. Je dis des choses. Je  bafouille. Je cale. Je multiplie. Je fourmille. Je suis nombreux maintenant, et ils gribouillent tous ensembles, Ceci est mon journal, pas le vôtre messieurs ! Un cercle de Je autour de moi. Bave aux lèvres. Morve au nez. Ça pisse de partout. Ça jute. Ça dégouline …
Mille pardons ! J’ai des excuses plein le nez. Elles nasillent une chanson mal apprise. Ça baragouine jusqu’à plus soif. A boire !


18 septembre §

Ce matin au réveil : pouf pouf ! Comme ça : un poème ! Pas très beau mais éthique. Po… étique : vous aviez compris ? En fait de poème, plutôt un fantasme errant sur ma plaine gelée.
Écoutez la goualante du pauvre fou :

Par un court matin de profondeur obscure
Une femme jeune encore et belle par avance
Progresse à pas félins vers les lointains enclos
Où se disperseront ses humidités matutinales.
Là, une bête d’apparence inhumaine
Enserrera sa coupe (*) dans un bracelet de métal.
Des murs suinteront ceux qu’on nomme « Nous autres »
Larges dévoreurs aux pieds de ficelles entravés.
Ils n’aurons pas de mains, mais des dents crochetées.
Pas de regard sous leurs paupières abaissées
Mais des oreilles en palmeraie
Par dessus leurs têtes découronnées.
Je suis choisi.
La femme dit :
« Approche, Monstre !
Pose ton mufle velu
Sur mes abîmes de douceur. »
Oh ! Oh ! Ô-ô-ô-ô-ô-h…
Agonie et fugue en fa mineur.


* (pas d’air à coupe)


21 septembre Ã


À nouveau, aujourd’hui jeudi. Pas le même que celui de la semaine passée car « celui là s’est envolé dans les abîmes du temps, passé trépassé à jamais … » etc. Autrement dit, un jour comme il y en aura d’autres. à marquer d’une pierre rouge de sang boeuf.
Brouillard sur la terre. Neige sous les nuages. Enfer et Purgation.
Cette fois, c’est décidé : je pars ! Quand ? Une autre fois. Où ? Laissez-moi réfléchir… Voyons, le Kamchatka ? Trop près ; pas vraiment dépaysant. Le grenier ? Intéressant mais un peu loin ; trois marches et une porte fermée ; j’aimerais y arriver avant de mourir. La cave ? Trop basse sous plancher et pas assez profonde. Les lieux ? J’ai pas envie.
Donc : partir au fond de mon lit, et plus loin encore. Ce serait le mieux, le plus adapté à mon K. Décidé, je suis ! D’un geste solennel, je remonte les couvertures sous mon nez. Voilà : je prends congé (c’est à vous que je m’adresse). Désolé ! Répugnantes petites  entités, je vous abandonne. Je me retire. Signé : Interruptus Coïtus, Imperator. Rome antique, non ? Je suis d’une politesse exquise, mais d’une fermeté inébranlable.  Branle branle, petit bateau. Hisse la voile. Ho ! Hisse et ho !

Soudain, un cri dans la nuit : approchez, approchez ! Vous ne le regretterez pas. Un spectacle exceptionnel, unique au monde. Pour la première et la dernière fois …Pour la modique somme… Entrez, et vous verrez La mèche velue. La seule, la vraie. Grande Écouteuse et Petites Regardeuses en seront pour leurs frais. L’une pourra écouter le robinet qui goutte goutte à goutte sous la voûte, pendant que les autres s’occuperont à compter les crins un par un. À vue de nez, des gouttes et des crins, il y en aura sept mille sept cent soixante dix sept fois            sept               (je                répète     : 7            par          777                   par         7           ).
Ça                    vous                  laissera                           le                   temps              de                    biaiser.


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Créé le 1 mars 2002

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