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  sélection février 2006

il se présente à vous.


Pique-nique : Il était une fois l'enfance

Le mercredi, je l'emmenais quelquefois à la campagne… ou c'était elle qui nous conduisait à de larges promenades ? …
Elle avait trois ans.
C'était avant que son frère ne vienne.
Je l'avais habituée à la marche, à force de discours faits pour la distraire des penchants qu'elle aurait pu manifester pour le non-effort ou autres bouderies.

A quelques occasions, je prenais mon appareil photo. Quand je voulais nous saisir ensemble, je me servais du chronomètre. Je cadrais Sarah seule, l'appareil posant sur un caillou ou autre support. J'appuyais et courais la rejoindre.
Ce qui ne manquait pas de la surprendre et l'étonnait à la question de savoir :

« Quel jeu est ce ? … »

Sarah appréciait la promenade. Il nous arrivait de passer des semaines sans se projeter dans l'une d'elles, cela lui manquait. Elle réclamait à sa mère la raison du fait que l'on ne se soit pas vu depuis (longtemps)
Ma sœur me faisait le signe de sa demande. Touché d'un sentiment coupable, je prenais rendez-vous pour le mercredi suivant, et ne manquais pas de nous emmener en balade.

A quatorze heures, j'arrivais chez Sarah.
Elle était prête et armée d'un goûter pour deux, préparé ensemble par elle et sa mère.
Alors, au choix d'un des chemins, hors du village, nous partions.
Et venait à nous le long silence des campagnes.

Ses bottines délacées dérangeaient sur les chemins des cailloux sautillants. Couverte d'un manteau trop grand, elle se déplaçait comme un papillon lourd. Sa main tenait un bâton dont la pointe traînait au sol. Une épaisse chevelure longue entourait son visage, où brillaient des yeux perçants comme son esprit curieux. Soudain, elle jetait tous ses doigts dans les fleurs, se posait au milieu d'herbes animant un bavardage muet comme celui de toiles.

« Si l'on goûtait… ? »

A mi-chemin de nos promenades on faisait la pause.
L'endroit de notre arrêt choisi, on s'asseyait.
L'enfant plongeait sa tête entière dans le sac à nourriture pour en tirer un à un des petits paquets.
Cela m'amusait.
Elle sortait tout du sac, vérifiait dans son fond, le jetait derrière elle.

« Ça c'est pour moi, ça c'est pour toi !… »

Notre appétit ouvert par la marche sautait joyeux et vorace d'un aliment à l'autre tous posés sur l'herbe en manière de nappe.
Avec une promptitude spontanée commune aux enfants, elle attrapait ses tartines, sous un regard cru, les portait à sa bouche à la façon d'un écureuil.
Sarah d'une bouchée se remplissait à la fois les deux joues.
Elle tirait de sa bouche le pain mordu, mâchait lentement, appliquée à ne pas se laisser étouffer, en poussant de fortes respirations bruyantes par les narines Ses mâchoires ouvertes, exagérément, laissaient soudain apparaître le pain, ses amygdales et ses dents, le tout pris dans une magnifique entreprise dont elle renouvelait l'appât avec forte volonté.

Un vent froid allait, venait, ici et là, libre et léger.
Son incessante morsure nous fouillait les vêtements.
Sa dans folle balayait tout autour de nous.
Sous un ciel éteint les hautes forêts interrogeaient de vastes champs.
Dans un silence à dormir, on mangeait.

Notre repas devait à la nature ses vertiges de sens : le pain blanc tartiné de lait frais, par exemple, logeait dans ses trous des tourbillons d'écume.
La croûte venait se défoncer contre nos dents d'acier, plus fortes et tranchantes que les plus méchants des granits, de ceux qui découpent froidement les vagues de mer rugissantes et déchirent la coque de barques perdues au pied de ses falaises.

Chaque narine s'emplissait de l'étreinte langoureuse, pareille à celles qui enivreraient un coureur écoeuré d'haleines, après tout un jour de fuite et, dont le corps tombe sonné sur l'herbe sèche d'un champ de blé au lever des nuées, quand le sol assoiffé trouve un répit et soupire sa plainte dans la nuit naissante.
Folles et perdues nos têtes avançaient les phares, projetant leurs faisceaux de lumière inutile.
Et encore nos mains, équipage en alerte, surgissaient cinq capitaines à la proue. Nos pupilles noyées dans un bain de brume jetaient dans le naufrage les signes d'une gaieté qu'inondait l'amertume.
Quand, enfin, les mots de nos voix, comme les sons d'une trompette, dissipaient les couleurs servant gammes et confort au lit de notre torpeur.

Le repas fait, reposés, on se disait alors des choses simples, fortes et aiguës, joliment données à la manière de chants d'oiseaux.
Et la patience du temps nous appelait à d'autres voyages…

On se levait, moi comme l'ours, elle comme mon enfant.
Ses maladroites chaussures raclaient encore les chemins
Mon pas lourd et pensif, à côté, regardait le sien.

Ses jambes souples comme des caoutchoucs avaient des ressorts de ressource comme le miracle connaît.
Son large manteau ouvert lui faisait une cape offrant sa matière aux doigts, presque nus, des branches basses et tendues qu'un printemps habillait.
Des petites mains pendaient, lourdes, au-delà des manches.
Sa tête brune à œil noir penchait vers le sommeil des coutumes de rêves.
Le magnifique héros somnambule fredonnait des chants rythmés par la traînante bottine de son petit pas lent.


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Créé le 1 mars 2002

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