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de
Bozena Bazin sélection septembre 2004 

Elle se présente à nous.

 

 INSTANTANES DE LA MEMOIRE.(4)

TOUSSAINT


Je descends du tramway, les bras chargés d’un lourd pot de terre où s’épanouissent trois énormes chrysanthèmes à l’éclat du soleil. Mon père porte un sac qui contient plusieurs dizaines de bougies, protégées par les coupelles en verre.
La rue est fermée à la circulation ; nous marchons sur la chaussée, au milieu de la foule des autres pèlerins qui, comme nous, vont rendre visite à leurs proches.
Les feuilles mortes bruissent sous nos pas.
Au loin, le ciel d’encre flamboie.
L’odeur puissante de milliers de fleurs, entreposées sur le trottoir, parfume l’air froid de ce premier jour de novembre et se mêle à celle de la cire chaude et des feuilles qui se meurent sur le sol bitumé.
Je la respire à pleins poumons avec délectation.
Des volutes vaporeuses accompagnent nos paroles.
Le portail s’ouvre sur le monde fantasmagorique.
Des dizaines de milliers de lumignons illuminent les tombes et les allées; leur lumière tremble, vacille, semble mourir pour renaître aussitôt.
L’immense cimetière rayonne de clarté chaleureuse et accueillante.
Je vois et je sens les pulsations de l’air.
Je n’ai plus froid.
La tristesse qui remplit mon cœur devient lumineuse.
Je lis les noms gravés dans les stèles, regarde les silhouettes sombres penchées sur leurs morts.
Je lève mon regard vers le ciel illuminé à giorno où l’on ne distingue plus les étoiles, éclipsées par les lumignons tremblotants et fragiles.
Je dépose les chrysanthèmes sur la tombe de mes grands-parents.
Mon père allume une vingtaine de bougies; leur rayonnement rejoint l’incandescence des autres flammes.
Nous murmurons une prière et restons immobiles un long moment, assaillis par les souvenirs.
Je revois les jours qui ne sont plus mais qui restent imprimés à jamais dans ma mémoire.
Nous nous dirigeons ensuite vers la grande croix en pierre, plantée au croisement des allées.
A ses pieds, brûlent les milliers de bougies allumées pour les morts qui n’ont pas de tombe.
Les combattants de l’Insurrection de Varsovie.
Les déportés disparus dans les camps de concentration nazis.
Les déportés disparus dans le goulag soviétique.
Les milliers d’officiers polonais exécutés par les Russes à Katyn.
L’immense bûcher du cimetière, devenu une cathédrale à ciel ouvert, brûlera toute la nuit.

 

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Créé le 1 mars 2002

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