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Roselyne Carrier Dubary
  sélection septembre 2006

elle se présente à vous.


La sorcière aux épices

A travers les déserts, sur la route des mers je suis partie, aventurière au pays des épices.
Chez un marchand du XVème siècle qui avait l'air enluminé - lunatique visage lunaire sous une coiffe de toile claire - j'ai volé mes premières épices. Puis le voyage m'emporta, amazone chevauchant les siècles sur un balai imaginaire, jusqu'à un village perdu dont je découvris des épices - chez celle qu'on nomme « la Mère Alice ».

Sur la route séculaire parfumée de graines, d'écorces, de fleurs ou de fruits, ma peau s'est végétalisée : suave ou piquante comme un met, apaisante comme une potion, aphrodisiaque dans l'amour. De Venise à Cancale, j'ai fait une potion d'escales ; de Lisbonne à Rotterdam j'ai damné certaines âmes.

J'ai gardé des souvenirs épicés inoubliables d'Inde, de Chine, d'Indonésie et du Japon. J'ai rencontré dans mes voyages des aventuriers aux épices qui ont laissé dans mon sillage de terre, de mer et d'air les effluves de leur passage.

C'est en Chine qu'Illicium Cerum, un intrépide brun téméraire m'offrit une badiane. Il m'enseigna la patience, à naître à la sixième année puis il m'offrit une robe jaune étoilée, qu'il parfuma d'anis. Il m'apprit aussi à cuire le pain d'épices dans une potion magique : « la poudre des cinq épices », dans laquelle il mélangea - pour supplices en délices - quelques pincées d'anis étoilé, de la poudre de fagara, une pointe de cannelle, du fenouil très parfumé et de sombres clous de girofle. Depuis je réserve à des élus cette potion, dans une recette magique secrète de saumon à l'anis étoilé de brindilles de romarin.

Aux Indes - chutant de mon balai - je suis « tombée en cannelle* » : ce fut au XVIème siècle je crois lorsqu'un hidalgo immigrant pour le Portugal, partit ensuite vivre à Ceylan ; c'est là que je l'ai rencontré. Il me fit goûter cette écorce dont il avait depuis négoce, un plaisir des sens que ce long bâton au parfum doux et intense. Je tombais ensuite de balai en balai dans les bras d'un hollandais, puis d'un anglais ; c'est Pierre Poivre qui enfin - outre qu'il me laissa son nom - me fit connaître l'ombre des canneliers au cœur de l'Océan Indien ; je revins au sol de France en me posant sur l'île Maurice. Mon balai fut si fatigué du voyage à travers les âges, qu'il se transforma en fagot. Un fagot pour une amazone, elle donnait de sa personne !

Sur la côte de Malabar, à l'ombre de collines d'Inde j'ai découvert une plante d'art. De la vanille et du safran, elle partageait tous les butins de mes aventuriers secrets. Cette plante je vous la nomme, elle se nomme cardamone. C'est au bout de trois ans d'amour, que le filtre fait son effet : parfois blanche et sans odeur, elle verdoie et se parfume, comme une femme après le bain - souvent même elle devient brune. Les effluves de cette épice me suivirent dans mes malices - citron, eucalyptus mêlés : c'est une plante de met en bouche.

Ce voyage fut très, très long ; vous n'en avez que résumé.

Puis un jour mon balai tomba, fatigué par tous ces voyages, dans une région de montagnes du pays de France. J'ai rencontré « la mère Alice » - une femme-montagne épicée de délices. Elle cachait au fond du jardin un abri de potions magiques, attenant à l'épicerie. C'était un voyage à elle-seule que rencontrer « la mère Alice ».

Elle me laissa après sa mort - car elle fut assassinée - ses épices, dont entre autres : quelques clous de girofle pour soulager les maux (il lui en eut fallu plus d'un), une pomme d'ambre pour le parfum des cheveux, un roseau très étrange qu'elle nommait gingembre et qu'elle gardait jalousement pour le plaisir de ses amants.

J'ai cueilli dans la prairie, ou nous nous retrouvions souvent, quelques fragiles fleurs de pavots, pour oublier le poids des mots.

Un livre d'heures elle me légua - étrange cadeau pour une sorcière !

Sur la première page, à l'encre parfumée est écrit :

A la sorcière aux épices :

« De Species naît Carpe diem »,

puis sa signature « Mère Alice ».

J'aurais signé « Mère Malice » !

Elle m'accompagne maintenant dans ce voyage du pays des sens.

La sorcière aux épices.

 

* Tomber en lambeaux, à l'instar de l'écorce.


 ***

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Créé le 1 mars 2002

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