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Adrien Charpentier
  sélection janvier 2007

il se présente à vous.


Tao blié tes clés

La nuit serpentait son tapis de viol noir sur une forêt de pins suspendus. L'air était hétérogène ; c'était l'heure des bonsoirs. Je n'avais pas vu mourir le jour, pourtant j'étais accroché au ciel, ses tendances et ses errements et c'est peut-être ces errances, finalement, chacun ne pensant qu'à soi, qui m'avaient fait oublier le temps. J'étais perdu, du moins je n'aurais su retrouver, dans cette obscurité, les traces de mes propres pas, ni même le sentier sur lequel tout au long de cette journée, j'avais vécu, en rêves, les yeux collés au firmament, les plus glorieuses aventures, pleines de merveilleux, d'héroïsme, de sueur et de haine. Je m'étais laissé entraîné par un onirisme persistant qui me faisait marcher, sans se moquer de moi, juste pour me faire vivre plus que ce que l'on me laissait voir.

J'étais là, donc, entre deux arbres, trois, quatre, cinq, toute une forêt recouvrait mon âme. Je n'avais pas peur, les arbres ne m'inquiétaient pas. Ils me comprenaient, eux, ils ne me craignaient pas. Ils savaient bien que je ne marchais que pour donner le change à ceux de mes congénères qui s'en faisaient pour moi. En marchant, toujours, j'évitais les questions, on se disait pour moi que j'aimais la promenade, on ne s'en faisait pas. Pourtant j'aurais voulu poser mon tronc sur un parterre d'herbe, faire creuser sous moi des racines, laisser pousser mes branches vers un ciel mobile, trop mobile pour que je ne le contemple pas. Il y avait tant à déchiffrer dans les nuages, tant à entendre dans le souffle du vent, que je ne comprenais pas, je ne pouvais pas comprendre qu'on n'en reste pas là, qu'on ne reste pas coi, qu'on s'agite et se torde comme des mauvaises pousses.

Je me retournais, plusieurs fois. Personne pour me voir. Personne n'était là. Ça me fit un bien fou, je n'avais pas l'habitude que personne ne me voit. Je m'assis là où je me tenais, sans chercher plus à savoir où je devais aller, où me traînaient mes pas. Il me semblait, à moi, que toujours ma place s'était trouvée là, que la nuit n'était tombée que pour me faire voir mon état. Je pris conscience du silence. Il s'abattit sur moi comme une caresse trop forte pour être supportée, comme un orgasme, comme un été. Il me racontait ma propre vie. Je me surpris, poussais un cri, c'en était trop pour moi. D'un seul coup je compris, d'un seul coup je subis, d'un seul coup je sus : le silence c'était toute ma vie. L'inaction était ma joie, l'immobilisme était ma voie. Le silence m'avait montré sa face, comme un miroir il garderait ma trace, il suffisait que je le regarde, pour cela même je pouvais fermer les yeux. Plus rien n'avait d'importance. La sérénité peu à peu m'envahissait. Se taire suffisait à parler. Dormir suffisait à vivre. Ignorer suffisait à savoir. Rêver suffisait à accomplir. Attendre suffisait à agir. Au beau milieu de cette forêt, j'étais peut-être le plus heureux des arbres.

Cette diurne ballade m'avait entraîné bien plus loin que mes jambes seules auraient pu me porter. D'ailleurs avais-je encore des jambes ? Se pouvait-il que ces deux excroissances indistinctes aient un jour su marcher ? Je n'en étais plus sûr. Plus la nuit se faisait noire, moins mes pensées étaient claires. Je ne pouvais plus rien voir, je n'avais plus de chair. Mes yeux, inutiles dans ces ténèbres, ne m'étaient plus si chers. Comme mes bras, mes mains, ma bouche même, mes reins. Quelle utilité en avais-je, seul, ici ? L'heure était aux questions, je sentais là la fin. C'étaient bien les dernières que je daignerais poser à mon esprit presque reposé. Je me sentais bien, je me sentais vivre, enfin. Mes rêves, ici, pouvaient se donner en plein. Je n'avais pas à descendre mes paupières. Mes yeux déjà étaient fermés. C'est la forêt, sans bruit, qui les avait éteints. Je regardais quand même, à travers ces voiles qui bien qu'extérieurs étaient miens. J'y voyais un avenir vide et serein. J'y voyais vivre un idéal fait de rien. Mon sourire était sain. Je n'avais rien à montrer. Je n'étais plus là pour quelqu'un. Je sentais les arbres par leur mutisme m'approuver. Un peu de gêne, enfin : je sentais encore, quelle pitié. Je n'avais pas fait, en somme, la moitié du chemin. Je sentais encore ! J'étais vivant, j'étais sensible, j'étais plein ! Moi qui pensais en avoir terminé. Moi qui pensais en rester là. Moi qui pensais le vide avoir fait mien. Moi, moi, moi. Voilà bien le problème. Comment m'oublier ? Comment me faire taire ? Comment me tuer ? Comment m'éteindre, enfin ? Sans me tuer, sans en finir, juste incarner un être sans devenir. Être un vivant suicidé. Être pour le futur comme un prochain passé. J'entrevoyais le paradoxe mais point d'impossibilité. Quand on est immobile le temps n'a plus d'apprêt.

Je me sentais pousser des feuilles sur lesquelles j'aurais pu écrire une destinée, mais le silence valait mieux que n'importe quel mot, fut-il celui de la Création. L'herbe est plus verte que le Verbe. Tout le cosmos n'est qu'interne, ce monde c'est le mien. La matière a besoin du vide, toute forme est aussi son contraire. Toute ténèbre a sa lumière, je laisse l'univers m'envahir. Le vent se lève, je me mets à rire. La nuit est reine, plus rien ne m'attire. Rien ne gêne quand on cesse d'agir. La vie est belle, je n'ai aucun avenir.


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Créé le 1 mars 2002

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