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elle se présente à vous.
Dans ce train à grande
vitesse, des hommes d'affaires, en costume et cravate, ne perdent pas
une minute, tapotant le clavier de leur ordinateur portable. Une
maman s'énerve devant sa fille qui ne veut pas
lâcher sa game boy. Une femme feuillette une revue de
décoration. Un couple revient avec canettes et plats sous
blister du distributeur automatique. Un jeune somnole, les
écouteurs dans les oreilles, indifférent à la vie
qui l’entoure.
Marcelline, elle, est assise près de moi. Elle doit avoir plus de 80 ans, vêtue d'une robe tablier comme on en voit encore parfois dans les campagnes, d' un gilet tricoté main. Sa tête est recouverte d'un fichu qui maintient ses cheveux blancs. Elle a des yeux pétillants. Ses rides traduisent une vie de labeur. De ses mains rugueuses, elle a calé une caisse dans laquelle se trouve une poule. Sur ses genoux, elle a son panier d'où sortent quelques verts de poireaux et fanes de carottes. Va-t-elle les vendre au marché ? C'est ce que j'aurais pensé si j'avais été dans un omnibus de campagne cinquante ans plus tôt. Mais dans ce TGV , cela me parait anachronique. Installée avec tout son barda, elle tricote. Soudain, une musique de hard rock retentit de son panier. Et la voilà qui fouille, repoussant son tricot. Elle sort de son fourre-tout porte-monnaie, poireaux, mouchoir, casse-croûte, pour trouver ce qu'elle cherche : Son portable ! Quel contraste ! Avec une
dextérité incroyable elle appuie, de son doigt gourd, sur
la minuscule touche. Ma surprise est à son comble lorsque je
l'entends d'une voix claire, forte et chaleureuse prononcer cette
phrase :
-" C'est Marcelline au bout du fil !". Je surprends sur les visages des passagers des regards amusés, étonnés, ce qui est rare à notre époque. La situation est cocasse. Je ne peux réprimer un éclat de rire, pensant à son téléphone sans fil ! Cette femme de la terre, du concret, du palpable, et le monde de la technologie et du virtuel qui ont fait disparaître le fil du téléphone sont tellement aux antipodes que je n'ai pu m'empêcher de vous raconter cette anecdote, moi qui n’ai toujours pas de portable. Du coup de fil, même absent, cela m'amène au lien, à l’attachement. Ce fil d’affect qui donne au temps et aux hommes du sens à la vie.... Aujourd'hui, cette manie
d'être relié, sans fil, par des portables, des
ordinateurs ou le virtuel remplace la réalité, ils
font se déverser des mots, des bribes de mots, des
questions préfabriqués et impératives comme
: t'es où ?
ça va ? qui offrent des relations si pauvres qu’elles
anéantissent l’imaginaire, ou le gonflent d’impossible.
Ces messages ne sont que des impératifs de la pensée et du dire, pour combler le vide, pour échapper à l’imprévisible de la vie. Ils dé-”filent”, sans plus de sens, dans notre monde qui court trop vite. Ne laissant plus de place à la frustration, ils rendent la solitude plus inacceptable. Ces mots sont bien différents de ceux chargés de présence qui alterne avec l’absence, des mots chargés d’expression de nos désirs et de nos peurs, d’émotions qui mettent en mouvement, des mots pleins et qui sont les fils conducteurs du sens, les mots de passe de la vie. Ce sont eux qui font que nous ne sommes pas seuls… ensemble. ********
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Créé le 1 mars 2002
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