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LEA sélection juin 2004
Elle se présente à vous.
Ce soir … nerveuse et solitaire… j’arpente.
Puis je la vois, à peine sortie d’un dernier croissant,
armée de ronde « féminitude »,
telle une large blessure cousue sur l’horizon,
elle envahit soudain la pénombre de mon atelier.
Dangereuse, parfaite, fascinante, indifférente
elle soumet les hommes à leur folie
et les animaux à leur détresse…
Pourtant… mon chien dort sans vergogne.
Rescapé d’un holocauste de silence, mon esprit se rebelle,
s’enflamme contre l’écho hostile de la matière.
Heurtée sans relâche par la violente désolation
du vent, la toile devient trop blanche, le rouge malhonnête, les
bleus, les verts, les jaunes se défient et s’étiolent.
Mes mains frémissent et se dérobent pourtant
« Provocantes et létales » voilà ce que
vous êtes
Elles ricanent « la nuit ne nous appartient pas. »
« C’est pure hérésie que de vouloir peindre chaque
soir dans ce désert de métal. »
Leur répondre que tout ne peut être dit ?
Que le sommeil se refuse souvent à ceux qui,
sans possible retour ont abandonné leur terre ?
Mais comment ?
Résignée, mains absentes, je me laisse emporter.
J’embarque sur un navire à la dérive.
Personne à bord, ni capitaine, ni gouvernail
Même pas le souffle du vieux fantôme des Carpates.
Juste cette nuit rancunière, opposée à toute
absence,
qui m’inflige son étroitesse et enténèbre mon
avenir.
Avenir ? … mais où placer le présent ?
Entre attente et fièvre mon cœur se scinde.
Les brillances argentées alourdissent mes yeux.
Je m’éloigne loin …trop loin de ma nuit créative
L’inertie… presque…et puis des ombres enfin…
Ils sont là… mes amis…mes frères…tous ceux qui savaient.
Injustement humiliés…condamnés…exécutés.
Leur cri universel s’est brisé dans l’indifférence.
Notre intime mémoire à jamais meurtrie.
Le silence, plus fort que le temps, est tombé…lourd … tragique,
sur une terre qui demeurera toujours à l’Est de l’ironie de l’Histoire.
L’espoir est devenu le plus fou des phantasmes, mais pour eux, je
voudrais, sous cette lune d’outre-tombe, hurler avec les loups un long
et pathétique requiem.
Je reviens dans ma nuit.
Pour ne pas céder au dégoût de la colère
je pense à VELASQUEZ.
L’homme qui peignait « l’impeignable ».
Modestement, sans commune mesure, je voudrais qu’un soir, au détour
d’une conversation, un passant puisse dire négligemment…j’ai
su une femme qui,
nuit après nuit, tentait de peindre « l’insoutenable
»
Ouvrez vous mes mains…
Sinon la haine vaincra et nous mourrons.
Empoignant enfin couteaux et brosses,
Elles appuient d’étranges et folles arabesques.
Les couleurs s’entremêlent avec passion
Les pigments affolés se bousculent et s’envolent.
Dans la fulgurance de l’abstraction naissent et meurent des abîmes,
des océans, des mers froides,
des chevaliers errants, des foules en partance,
des hommes fatigués et des chevaux fous.
A l’aube, vaincue par les accords têtus de mes mains,
la toile délivre enfin son énigmatique message de sang
et d’or.
En riant je la regarde exploser en ses quartiers de lune.
Fatiguée…
Non.. cette nuit la matière ne sera pas forme sempiternelle.
Tous les combats ne sont pas vains.
L’astre, que je regarde s’éloigner lentement dans la pâleur
du ciel,
n’était que prétexte.
C’était une nuit… parmi tant d’autres… ni pire, ni meilleure,
dans le chaos de la création.
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