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Frédéric Latarsa  sélection janvier 2008

il se présente à vous.


Parole de Cendre

Aurons-nous parlé trop longtemps, sans le savoir, pour que le vide se resserre autour de nos mains, pour que rien ne bouge pas même la poussière sous la foulée de nos pas, ni l’ombre qui rassemble tant bien que mal chacun de nos gestes, chacune de nos paroles — comme des restes de cendre épars sur le miroir ; et le visage que l’on voit n’est pourtant plus familier, et cette voix-là n’a plus les accents qu’on lui croyait connaître :
aurons-nous donné trop de nos rêves, et si peu de nos vies, pour que le feu qui nous brûlait les yeux ne soit plus que parole de cendre ?

Il est autre chose
sous la chair
qui ne reflète aucun visage
aucune voix

Autre chose que le temps ne retient pas
ou bien seulement le dimanche
quand les heures sèchent sur la table
et les amours fichues parterre

Tu dis : paroles de cendre
mais toute parole se porte
toute parole se souffle
toute parole s’épand

Tu dis : paroles de cendre
comme on dirait adieu
mais que sais-tu vraiment toi
du silence et des anges

Il y a autre chose
tu commences à comprendre :
il te faut laisser ta voix
redevenir cendre sur tes lèvres
— parole comme un souffle
qui ne t’a jamais appartenu
mais qui toujours renaît en toi


Renaître?... Mais alors quoi?... Nos paroles se sont déchirées dans les ronces, puis les ronces ont été brûlées, la cendre a recouvert nos champs, nos forêts, et il n'y a plus de chemin, plus un seul sentier, plus une seule voie. Nos lèvres peu à peu se sont consumées à chaque bouffée que nous avons tiré sur ce ciel de papier-carbone et la nuit, jusque dans nos tiroirs secrets, a craché son encre, noire et épaisse.
Renaître ?... Et pour quoi faire?... Même si l'herbe repousse toujours malgré la sécheresse de nos mains (peaux mortes, écorces gravées de plaies, terre aride où l'attente se vrille en verrue à la simple flexion d'un doigt, peut-être trop tendu) la courbure de nos seins ne finira-t-elle pas par nous étouffer, ou nous mettra-t-elle à nu, sans voile et sans masque ?
Renaître?... Peut-être bien?... Je sens qu'il y a quelque chose — autre chose — dans le brouillard qui lie nos rêves, au bout des yeux...


Paroles de cendre jetée sur les yeux comme un regard sur le silence quand plus rien ne bouge. Les chemins ne peuvent s’ouvrir que de l’horizon à toi et pourtant tu persistes à ne voir que tes pieds, ces mêmes pieds qui clouent ton âme au sol et l’empêchent de s’élever…

Lève ton cœur !
Sorts le de cette terre qui courbe nos ombres, vers cette autre terre d’aucune gravité ! Cet autre silence qu’une plume redessine parfois sur les nuages à grands coups de nuages :
en larges sillons d’écume comme si enfin le souffle des mots pouvait faire table rase et tracer la nouvelle route, brûler la dernière étoile,
dans le ciel.


Le roi est mort ! Il n’y a plus de bleu ! Il n’y a plus de bleu ! Plus d’étoiles dans le ciel ! Ou peut-être bien une seule, une seule qui finit déjà par s’éteindre dans ta main et pourtant elle te brûle encore, elle te brûle comme les dernières larmes de joie sur tes joues, la dernière averse de printemps.
Crépuscule de toute une vie, ce feu de paille, cette herbe calcinée, ce fruit sec au goût amer des regrets, ces fleurs de cendre.
Et ce jardin, cette terre que tu n’auras pas su faire fructifier : terre brûlée, cause stérile de toute entente, de toute attente — chaque jour a versé dans le seau toujours avide des nuages son trop plein de bleu, mais tu n’étais pas là, n’est ce pas, tu n’étais pas là pour laisser la pluie essuyer ton visage


C’est dans le bleu qu’il faut chercher la réponse, pas dans le noir famélique de la nuit, ni dans le gris des pensées, mais dans le bleu du ciel. Le bleu qui tressaille au fond de chacun de nous et qui pourtant ne parvient pas à éteindre les plus longues heures de silence.
À trop vouloir saisir l’éclat sans consistance du soleil, nos mains se sont brûlées, elles sont tombées en cendres, parties, envolées, comme un fétu de paille.
Le soleil les a brûlées, elles ne se refermeront plus.

Et toi, qu’attends-tu, pauvre narcisse, pour les plonger dans les nuages ? Qu’attends-tu pour les soulager de la morsure du doute, et de l’absence, et du froid ?
Regarde autour de toi. Voies.
La fleur est là pour te montrer le chemin. L’herbe est là pour te montrer le chemin. L’arbre est là pour te montrer le chemin.


Nous avons parlé trop longtemps. Au lieu de laisser les rosés pleurer leurs silences, au lieu d'écouter chanter l'hirondelle et laisser l'eau claire raviner les chemins, de s'ouvrir corps et âme jour après jour à la douceur du jour, de se déchirer et de déchirer le ciel pour tenter d'en mettre quelques bouts dans sa poche, même froissés, même mouillés... Même plus secs que les cailloux qui roulent sur nos joues, et sur lesquels nous butons comme sur nos tombes. Nous avons parlé trop longtemps.
Mais le temps véritable est là, devant nous, derrière n'est plus qu'un tas de cendre qu'il nous faut épandre. Une parole neuve commence à percer la terre, à soulever la poussière, à s'élever sous le soleil que ne voilent plus nos ombres. Le temps est là, la vie est là, devant et tout autour de nous, comme au matin la voix qui s'éveille et s'étire dans les draps bleus d'un songe toujours prêt à être vécu, et qui ne veut pas finir, et qui ne veut pas finir.


Le chemin que tu as pris tient plus du sentier caillouteux que de l'autoroute de nuit. On s'y perdrait même, avec toutes ces ramifications — et une seule devrait être la bonne ?
Evidemment tes yeux sont brûlés, tu ne sais plus très bien où poser tes pas, tu trébuches à chaque avancée sur le vide, tes coudes, tes genoux, tes mains sont écorchés.
Evidemment tu n'entends pas le cœur des arbres.
Il suffirait pourtant d'une main posée sur l'écorce, d'une écoute plus attentive, d'un silence, pour que sa parole te soit aussi claire que le silence qui t'aveugle — comme le chemin de ton insuffisance une parole d'eau dans sa fuite vers l'espace retrouvé de bleu.
L'immensité bleue.


Si tu avais su porter chacun de tes pas sur les chemins comme on porte un baluchon, avec presque rien dedans : l’insouciance des premiers jours, le désir d’être au monde, d’aimer.
Si , plus léger de silence, tu avais su garder ton souffle au lieu de toujours courir après le bleu du ciel (celui d’un regard) au point de n’avoir même plus la force de fermer tes bras lorsqu’il semblait être à ta portée.
Si, si, peut-être ne serais-tu pas là, comme une bête de foire, dans ta chambre, à piétiner le peu d’espace qui te reste ?

Et pourrais-tu alors seulement t’y résoudre ?
Tu peux pleurer si tu veux, il n'y a pas de honte à cela, tes pleurs nourrissent la terre où tu croîs. Pleure puisque ton cœur le réclame.
Arbre parmi les arbres ?
Il te reste encore à porter le fardeau d'un ciel labile, car tu n'es pas de ces pins qui se couchent aux premiers flocons neiges, le cœur transi. Non. Seul sur ta bute, le vent souffle ta semence et la porte au-delà de ton unique horizon.

Ecarte ! Ecarte tes bras ! Que tes fruits s'enflent de lumière ! Qu'ils soient assez purs pour servir de nourriture aux oiseaux !


Voilà…
Il faut encore s’en remettre à ce morceau de ciel, ce bout arrondi de terre, ces arbres, ces champs que frôlent les toits, comme seuls miroirs d’une vie qui se voulait autre que des pas dans la rue qui s’éloignent, le silence d’une porte fermée sur l’horizon.
Revenir sur les lieux de sa mort pour à nouveau s’accroupir.
L’illusion n’est pourtant plus, et l’on cherche encore à la saisir ; mais c’est l'absence que l’on effleure — et c’est assis à la terrasse d’un café, juste en bas de chez nous, parmi les passants, les ombres,
qu'octobre a sur les lèvres
comme un goût de cendre.

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( suite poèmes 2010 ) ---  >

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Créé le 1 mars 2002

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