Vos textes publiés ici après soumission au comité de poésie de francopolis.







 
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Léa
  sélection février 2006

elle se présente à vous.


Une rencontre pas comme les autres

C'était ?…il y a…un peu avant l'oubli,
Dans une ville traversée par un fleuve.
Un soir doux-amer de fin d'été .
Juste avant l'immobilité crépusculaire.

La berge était déserte.
Légèrement penchée je regardais les lumières
Jouer à clignoter sur le " glacé " de l'eau.
J'imaginais l'abstraction des couleurs et des formes
Entrevoyais la blancheur de la toile et mes mains qui,
Bien plus tard dans la nuit…
Tenteraient une fois encore l'accord parfait.

Une voix
« Combien pour finir la nuit avec toi » ?

Léger frisson de surprise sur ma nuque.
Mais aucune raison d'avoir peur.
Il s'était exprimé en allemand.
Sans le regarder je lui répondis assez violemment
Que le fric ne m'intéressait pas… surtout pas le sien
Et que d'ailleurs je n'étais pas une putain
Je peignais, c'est tout…

Il m'irritait et me dérangeait.
Je n'avais aucune envie d'engager la conversation.

Sa voix
« Combien pour ton tableau » ?

L'accent était berlinois. L'intonation grave et sensuelle.
En tournant la tête je vis que c'était un tout jeune homme.
Petit, très blond, le regard délavé, juste comme je n'aime pas.
Une trace de larme barrait sa joue gauche .
Son visage était étonnamment maigre et pâle.
Se tordant nerveusement les mains, il me fixait intensément.

« Mon tableau n'est pas à vendre »…
Et brutalement " Mon grand-père est mort à "Treblinka"
Sa voix
" Mon grand-père est mort dans les "Ardennes"

Désarçonnée …confuse…je quittais son regard
L'aversion que je ressentais pour lui me faisait offense.
Je respirais un grand coup et lui demandais de renter chez lui.
Tout cela n'avait aucun sens et ne nous mènerait à rien.

A mon grand étonnement il se laissa glisser au sol.
Enlaçant mes genoux, appuyant sa tête contre mon ventre
Il se mit à pleurer silencieusement.
Je le repoussais sans ménagement.
Puis l'obligeant à se redresser,
Je regardais son visage avec attention.
M'assurant de son regard.
Presque malgré moi , je m'entendis murmurer,
« Si tes yeux avaient eu la couleur de l'ombre »
« j'aurais peut être fini la nuit avec toi »
Histoire de conjurer la lourdeur de ce passé
Qui ne nous appartenait pas.
Car enfin…ne sommes nous pas tous enfants de l'incertain?
Existe-t-il au monde des êtres indemnes de toutes blessures ?
Et toutes les blessures ne sont-elles pas les pires?
Que faire de cette détresse infinie ?
Ni lui ni moi n'avions la réponse.
Alors… pourquoi ne pas nous épargner? Nous secourir ?
Donne-moi ton fardeau… j'ai les épaules solides.
Je lui souris gentiment et me détournais
Souhaitant malgré tout entendre son pas s'éloigner.

Sa voix
« Tu dois m'aider …cette nuit c'est toi que j'attendais. Je le sais maintenant »

Il insistait… suppliant… Ce type était complètement cinglé.
Doucement je lui fis remarquer que j'étais là par hasard
Et que nous n'avions pas rendez-vous.
Qu'attendait-il de moi au juste?
Dans quel chaos tentait-il de m'entraîner?
Se pouvait-il qu'il se soit mépris, lorsque de loin
Il m'avait remarquée penchée au-dessus de l'eau?
Un suicide accompagné ?
Troublée, je repoussais l'indécence de cette idée.…
Non… un simple quiproquo voilà tout…
Et pourtant… l'air si léger s'alourdit tout à coup d'inévitable.

Sa voix
" Tu dois finir la nuit pour moi " C'est écrit "

Soudain dans cette étrangeté nocturne tout devenait enfin palpable.
Je venais de comprendre ce qu'il appelait "finir la nuit"…
Sa détresse faisait écho à la révolte qui bousculait mon cœur.
Immobile, il avait arrimé son regard au mien.
Dans sa démence il m'avait choisie et ne me lâcherait plus.
Sournoisement la pitié qui m'envahissait refermait le cercle
infernal de la soumission.
Cette rencontre aussi fractionnelle, qu'inutile
Allait faire malgré moi l'instrument de sa démesure.
Mais était-ce vraiment écrit ?…Peut être…
Vaincue…Tristement incapable de m'opposer,
Je haussais les épaules… Après tout il avait ses raisons.
D'une brusque détente mon pied heurta son menton.
Il tomba à la renverse sans la moindre résistance…
Je l'ai regardé s'enfoncer lentement.
Puis, au dernier clapotis, j'ai repris ma peinture
Mais j'avais perdu les couleurs et les formes.
Il faisait très noir ….sauf le gyrophare bleu.

Quelques années plus tard…
Je peignis enfin ce maudit tableau
En noir….sur fond bleu…

Ce soir …sur la berge déserte de ce même fleuve
Je cherche l'endroit exact où le jeter
Oui c'est bien ici…….je me penche légèrement…

Une voix
« Combien pour finir la nuit avec toi » ?


 ***

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Créé le 1 mars 2002

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