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de Lysette Brochu, sélection août 2003, nous vient du Québec:

 Elle se présente à vous.

 Robe de fil et de larmes


 

 
Maman avait cousu toute la semaine. Nous devions fêter Noël chez ma tante Georgette et ma mère, fière et entreprenante, voulait impressionner sa belle-sœur, celle qu’elle nommait " la particulière ". Cette tante n’avait que deux enfants très sages, sa maison était impeccable, propre comme une chambre d’hôpital du temps, et elle faisait même toutes ses confitures maison. Une tante respectée, chez qui toute la famille se tenait bien.
 
Mes parents, eux, comptaient déjà six enfants et je venais tout juste de fêter mes sept ans. Il me semble encore entendre la conversation qui se déroulait, tard le soir, dans la cuisine. Le fil s’était encore entortillé dans la bobine, maman arrêtait la machine à coudre en soupirant et Papa, cessant se bercer, déposait son journal Le Star, et lui disait gentiment :
--Simone, tu pèses ben fort sur la pédale. On dirait que t’es payée à l’heure. Arrête une minute. Laisse ta boîte à ouvrage là, pi viens te reposer un p’tit brin.
--J’ai pas l’temps. Aux prix des robes pi des pantalons dans les magasins asteure, faut ben que j’couse. Pire, on est pas pour aller chez Georgette en guénilleux.
--Nos enfants sont toujours ben habillés mais toé, ma femme, t’as l’air fatiguée. C’est pas grave, tu sais, si y’en a un qui porte du vieux. L’exception fait la règle…
--Ça paraît que c’est pas toé qui s’occupe de les endimancher. Laisse-moé faire, j’achève.
 
Le jour de fête venu, Maman nous savonnait au Lifebuoy, et après nous avoir coiffés, habillés et sermonnés, nous partions dans la Buick 1952 vers la rue Kathleen. Maman portait, sans chagrin, la même toilette que l’année précédente.
 
Moi, j’étais enchantée de ma robe rose pêche, patinée de chiffon, avec garniture de smocking. Même que mère avait dû me remettre à l’ordre une couple de fois tant j’étais remplie d’orgueil :
--Arrête de te pavaner. T’es pas la reine d’Angleterre.
 
En arrivant, Tante Georgette, n’arrêtait pas dans ses éloges :
-- T’es donc jolie Lysette dans c’t’e rose là. Comment tu fais Simone? Avec six enfants pi une grande maison à entretenir, comment t’arrive à coudre, à faire de si belles confections pi à avoir des enfants si obéissants en plus?
 
Ma mère souriait. Moment de victoire et de satisfaction pour cette couturière qui avait peiné si fort et pour cette éducatrice familiale stricte préoccupée par toutes ses règles et ses exigences.
 
Cousine Marcelle, âgée de douze ans, décide alors de me montrer les trésors qu’elle cache dans un coffre de cèdre. Je l’admire. Elle a des peintures à numéros, des disques 78 tours, une étole de lapin, une photo de Roy Rogers et même une bouteille de vernis à ongles rouge écarlate.
--Veux-tu que j’t’en pose? me demande-t-elle.
 
--Ah! Chu capable toute seule. J’vas aller l’faire sur la table de la cuisine.
 
Bien installée, j’ouvre la bouteille sans peine et commence à me rougir les ongles. Bientôt, l’accident, j’ai renversé toute la bouteille sur ma robe, sur la table et sur le plancher. Je prends peur car j’entends ma mère qui approche à grands pas.
 
--Ah! Mon Dieu! Qu’ossé que tu fais là ma p’tite sans coeur? J’te l’avais dit de rester tranquille. Tu commenceras pas à m’donner du fil à r’tordre toé, j’t’en passe un papier. Regarde la robe que j’t’ai faite à la sueur de mon front. Elle est finie, pi rien qu’bonne à mettre au garbage… ça s’enlève pu du Cutex. T’as pas honte un peu? Pour ta punition, tu vas devoir rester comme ça pour le reste de la journée.
 
En effet, j’avais très honte. J’étais gênée de me faire disputer devant toute la famille et surtout devant ma cousine Marcelle. Coupable, je regardais tristement ma tante frotter à grands coups son prélart de la poudre à récurer. Ma mère était devenue menaçante à cause de moi et de mes étourderies. Ah! Comme mon cœur baignait dans l’eau. Ma belle robe neuve! Maintenant, je devais passer la soirée comme une criminelle, son vêtement taché de sang rouge vif.
 
Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, ma petite fille de deux ans joue près de moi dans mon salon. En entrant tantôt, elle était bien aise de me montrer le vernis à ongles que sa maman lui avait appliqué la veille et lorsque je me suis exclamée:
--Ah! Que c’est beau! Du vernis rouge sur les doigts de ma petite chérie…
elle a répondu très rapidement :
* " Attention, ça tache "! 
Et, une fraction de seconde, j’ai remonté le fil de mes souvenirs et senti monter en moi de vieilles larmes refoulées.

*

 

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Créé le 1 mars 2002

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