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Marie Falson-Tacussel, sélection janvier 2004

 Elle se présente à vous.

 


Lettre

 

 


 

Le Glanet, le 1er du mois

Ma Chère Sœur,

 

J’ai bien reçu ton chèque, comme chaque année à la même époque et je t’en remercie.

Comme convenu sur ta petite carte, je les ai prises roses et bien fournies. J’ai eu assez de mal d’ailleurs. On ne trouve que des jaunes de par chez nous. J’ai du les commander chez Paulette. Cela a fait 100Frs de plus, ça ne fait rien, j’ai ajouté les sous. J’y ai pas dit au Père, il m’aurait tabassée. J’en avais mis un peu de côté de ton dernier mandat pour le cas où je serais dans le besoin. J’espère que ça ne me fera pas défaut mais il ne fait pas trop froid encore, je peux tenir avec le poêle de la cuisine. Ne t’inquiètes pas.

Des roses quand même, quelle idée… C’est la première fois qu’on en voyait dans le village. Elles sont venues de la ville. Il faut dire que là-bas, à la grande ville, vous ne vivez pas comme par chez nous.

 

C’est comme ces petites cartes-là, elles sont particulièrement petites, déjà pré imprimées en plus. Il ne te reste plus qu’à signer. Vous devez avoir bien peu de choses à vous dire là-haut, pour utiliser de tels papiers. Je l’ai montré au Fernand, "  Oh ! Des bristols je n’en ai pas ici, Germaine… " qu’il m’a dit.

Il a repris le tabac de la veuve Dubois cet automne, le Fernand. Elle est morte tu sais. Il faut dire qu’elle était bien vieille. Il y travaillait déjà depuis quelques temps chez la Veuve Dubois.

A la boulangerie, hier, tout le monde se demandait encore d’où il avait sorti les sous, pour l’acheter ce magasin. C’est qu’il est allé chez le notaire… c’est dire ! Je l’ai pas dit au Père, tu t’en doutes. Tu sais comme il est, déjà qu’à chaque fois qu’il le croise au village, il s’en revient et boit des litrons de rouge de colère. C’est qu’il lui en veut fort, au Fernand… " C’est à cause de lui et de ta sœur que je suis encore dans la bouse de vache… " qu’il dit quand le vin le prend.

D’ailleurs, à ce propos, il a quémandé de tes nouvelles, le Fernand. Te souviens-tu de lui ? Il t’aurait bien marié, lui, dans le temps. Mais tu lui as préféré la ville…

Il faut dire que tu n’as pas eu tort quand on voit ce qu’ils inventent. Ces petits bristols blancs avec des lettres en or, en haut à gauche, c’est joli et surtout ça consomme moins d’encre.

Oui ! Je les ai apportées ce matin même et je les ai mises devant comme tu me le recommandes à chaque fois. C’est que tu ne les as jamais vues, toi. Je sais bien qu’à cette époque de l’année, tu ne peux pas venir. Tu es débordée de travail. Cela ne fait rien, je m’occupe de tout. J’ai tout mon temps, moi. En Novembre, les champs sommeillent.

J’ai passé le balai et la serpillière. La Mère a perdu la moitié de son nom, l’or des lettres s’efface un peu avec le temps. Quand même, vu le prix que ça nous a coûté… Enfin !

J’ai pris la peinture du fils à Fernand. Il ne restait que du noir. Mais au moins ça fait plus propre maintenant.

Tu sais, il te ressemblerait presque, cet enfant, si c’était possible…

J’ai nettoyé les cailloux blancs autour de ta jolie plaque de bronze "  À ma mère chérie " et j’ai fait un peu la causette avec la Mère. D’ailleurs elle t’embrasse.

Ici le temps est un peu rouillé depuis une petite dizaine, comme moi, mais tout va bien, je te rassure.

Bon je te quitte, la bûche est finie et demain le Père fait le champ de la Source.

Ah oui, j’y pense… Envoies moi une ou deux de tes petites cartes. Neuves, bien sûr. J’en ai promises à la boulangerie ce matin.

Porte toi bien.

Ta très chère sœur

Ps : Ta chatte Frisette est morte hier. Je l’ai enterrée à côté de sa mère, sous le platane. J’espère que cela te fera plaisir.

 

 

 

Marie Falson-Tacussel

 

 

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Créé le 1 mars 2002

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