La retraite est une excellente chose, par le simple fait qu elle permet
de se retirer de ce monde, de s isoler et de contempler. Stan, lui, a passé
sa vie entière ainsi «retiré » dans sa caverne.
Se trouvant dans l obligation de gagner sa vie, il se mit à travailler.
Cela lui imposait de voir un peu de monde. Cette ration était plus
que suffisante et même parfois abusive.
Ceci dit, en jouant du piano, il regardait plutôt les partitions,
son clavier ou son verre, posé toujours à proximité.
Donc il pouvait réduire au minimum la contrainte de VOIR.
Les rares jours où il était particulièrement communicatif,
il regardait danser les femmes, tout en essayant de faire abstraction de
leurs hommes.
Quand il était plus jeune, il lui arrivait de sortir avec une
volontaire à qui il n était pas obliger de faire du baratin.
Les mots, il les choisissait avec des gants. Il savait, depuis l époque
de la guerre, qu un seul pouvait se révéler de trop ou que tout
un flot pouvait ne rien signifier. Généralement il n était
pas obligé de séduire, cela se faisait tout seul, parfois à
outrance.
Sa technique était de marcher à l instinct. Cela lui permettait
de reconnaître quelqu un sans trop d artifices.
Tout ce qui était feint se trahissait trop vite pour être
intéressant
C était aussi simple que cela, on lui plaisait ou pas et il n
y avait rien à faire.
Au bout d un moment il trouvait que les femmes, malgré tout,
c était trop fatigant. En plus cela comportait des risques et des
complications, car certaines avaient la surprenante envie de le revoir.
Stan ne voulait pas une femme quelconque, il rêvait d une FEMME.
D un mélange de sacré et de sensualité. Il pouvait
toujours rêver. ..
Se trouver devant une énigme irrésolue, un mystère,
était tellement passionnant.
Son regard était celui d un enfant, il rattrapait son enfance
perdue.
A présent il voulait garder cette vision jusqu à la fin
de ses jours, cette vision excessive et authentique, naïve et douloureuse.
Il décida d être un fou du village et d oser !
Survivre n avait aucun intérêt.
Soudain, l air d'une ancienne chanson populaire lui revint. Autrefois,
pour fêter le printemps, les jeunes gens des quartiers pauvres, en
sortant pique-niquer, la chantaient car ils ne pouvaient guère faire
autre chose
C'étaient leurs rêves qu'ils exprimaient ainsi.
Ils marchent, ils marchent
ils marchent et crient
nous ne voulons plus de cette vie !
Nous voulons des Roméos
crient les filles
Nous voulons des Juliettes
crient les garçons
dans cette rue jamais nous ne reviendrons !
Le soir ils rentraient à tâtons dans un état
innommable car les pauvres ne sont jamais déprimés.
Le privilège d'être triste n est réservé
qu'à certains. Ils peuvent ne pas avoir le moral ou la pêche,
être fatigué, avoir des problèmes ou tout simplement
en avoir marre.
Eux, les gens de la rue, ils n en avaient pas le droit, ils ne pouvaient
pas se le permettre. Les pauvres, eux, sont forcement capricieux, vilains
et malades.
Avec les uns on a du tact, avec les autres des mots durs.
La tolérance n'est pas justement distribuée.
Stan trouvait un ersatz à ses fantasmes à l église
en la personne de la Sainte Vierge, mais elle était dépourvue
de sensualité. Parfois il contemplait "Mona Lisa et son sourire,
toutefois il préférait "La dame à l hermine" sans
savoir pourquoi, peut être pour ce regard détourné, cet
animal dans les bras ?