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Archibald Michels
  sélection novembre 2006

il se présente à vous.


Un galet

Dire d'emblée qu'on voudrait écrire, non pas ce qu'il est, mais comme il est : quelque chose qui remplirait toute entière une forme qui a pris si longtemps à se faire qu'elle semble née d'un coup, comme lui, un des innombrables enfants de la mer, de tailles si diverses et pourtant tous de même âge, car, à nos yeux du moins, éternels.

On ne peut s'empêcher de le prendre dans la main ; on est surpris de sa tiédeur, on ne s'attendait pas à ce qu'il approche de si près le vivant. Puis on le porte jusqu'à la mer, pour que le sang lui afflue au visage.

On fera encore une fois la bêtise de le ramener chez soi (lui au moins on ne l'oubliera pas dans le sac à dos ; tout au long du trajet il aura tiré sur la toile). On voudra sans doute lui trouver quelque chose à faire, alors qu'il a depuis longtemps atteint le point de perfection où il peut se contenter d'être. On le réduira ainsi au rôle de presse-papier, qu'un dictionnaire remplirait aussi bien. On se rendra vite compte, heureusement, que c'est pour lui une fin indigne (et qui ose parler ici de fin, tout de même pas ce sac d'os et de sang ?). On le porte alors au jardin, où on lui fait une place. Mais il n'est pas chez lui, et de plus il n'est pas fait pour être seul. Il aime la vie en société, entouré de ses amis, à faire cliquetis avec eux. C'est auprès de lui-même infiniment multiplié qu'il a sa place ; c'est là qu'il roule et repose avec une même aisance. Ici il verdit, ou fait grise mine, se salit de lichen. Voilà qu'il faut le récurer, le brosser ; sa peau en devient rugueuse, il menace de passer à l'état de simple pierre. Il faudra le reporter à la mer, ou peut-être, solution de compromis, lui trouver un interstice dans un mur sans ciment, près de la mer, bien sûr ; un de ces murets sur lesquels on grimpe, précisément, pour voir plus tôt la mer, pour la voir puisque déjà on l'entend.

Celui-ci cependant a fini sur ma table de travail, double reproche (pourquoi me retiens-tu loin de la mer ? pourquoi veux-tu me refaire ? je préfère encore presser ton papier que m'y inscrire).

Chacun est unique et pourtant est à lui seul ce que sont tous les autres : une forme reposée, définitive, qui s'offre au flux puisque aussi bien il ne pourra qu'indéfiniment la réaffirmer.

Le plus près qu'on puisse approcher la perfection ici bas (et de là haut on ne connaît que les nuages, si changeants, si disposés toujours à essayer des formes nouvelles qu'ils atteindraient ce même point sans le savoir, et ne s'y arrêteraient pas un instant).

Le galet est : dur à dire, dur à accepter pour nous qui sommes si peu, si mal ; sommes si clairement de passage. Après l'extinction des derniers souvenirs dont nous pourrions être l'objet, lui sera.

Lui, l'objet : jeté là pour être.

Celle-ci aussi a sa morale. Pour qui est à peine.


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Créé le 1 mars 2002

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