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de Nicolas Kurtovitch sélection
mai 2004
de la Nouvelle Calédonie, il se présente à
vous.
Nicolas Kurtovitch juillet 2002
Merci à Nicole qui m'a convaincu d'écrire
ce texte
Merci à Raphaël Détrié qui en a fait une lecture
attentive
Merci à la classe de Première de Bac Professionnel du
Lycée Do kamo 2001, pour avoir mis au mur de leur classe une affiche
montrant des papillons.
dans la maison, les poèmes de Han Chan
mieux que de lire les sutras
écrivez-les sur un paravent
de temps à autre, jetez y un coup díúil
-Han Chan (VIIIème siècle)
Personnages :
( Deux personnages, dans un autobus, à deux époques différentes).
Les deux personnages sont dans un autobus qui parcourt la ville. Au
premier acte, le Premier personnage est assis, le Deuxième personnage
est debout, tout à côté, il se tient d'une main ferme
à une poignée de cuir qui pend d'une barre métallique
fixée au plafond de l'autobus. Au second acte, les positions sont
inversées.
Premier acte
Premier personnage
Avez-vous lu " Le Joueur d'échec " ?
Deuxième personnage
Non.
Premier personnage
Vous devriez le lire.
Deuxième personnage
Et pourquoi devrais-je le lire ?
Premier personnage
Cíest un bon petit livre, une remarquable expérience.
Deuxième personnage
Quoi, la lecture ou l'histoire ?
Premier personnage
L'histoire bien sûr. La littérature est ici portée
à un point rarement atteint par un auteur. Vraiment vous devriez
vous y mettre, vous ne le quitterez pas avant la fin.
Deuxième personnage
Je n'ai que faire de la littérature, elle m'ennuie, elle est inutile.
Seule l'action compte. Que ce soit l'action au quotidien, pour soi, pour
sa famille, pour construire quelque chose, apporter sa pierre à
l'édifice commun, ou l'action révolutionnaire. La littérature
n'a jamais changé quoi que ce soit. Elle n'a changé ni le
monde ni la société, elle n'empêche ni les injustices
ni l'inégalité sociale entre les hommes. La littérature
n'est de rien, seule l'action renverse le dictateur et fait la révolution.
Alors, votre joueur d'échec, vous pouvez le lire cent fois il ne
vous sera d'aucune utilité. Mais si ça vous amuse de passer
votre temps à lire, faites-le, mais vous resterez en-dehors de la vie.
Vous vivrez votre vie comme dans un rêve, une illusion, un parfait
mirage dans lequel les hommes ne sont ni de chair ni de volonté.
Mais je vous le dis : vous ne m'entraînerez pas dans votre illusion.
( un silence s'établit entre les deux voyageurs. ) Tenez,
moi, je vais faire du sport. Tel que vous me voyez j'ai mon sac de sport
posé à mes pieds et je vais au gymnase, comme chaque jour
à cette heure-ci.
Premier personnage
Le sport est bien aussi, j'aimerais pouvoir en faire également.
Deuxième personnage DP.
Et bien qu'attendez-vous ? Le sport c'est de l'action et c'est utile.
La bonne santé est utile à la nation, pour son développement
et pour son évolution. Il est valorisation de l'énergie
et dépassement de soi, il est engagement et abnégation,
il entraîne à l'effort et à la résistance vis
à vis de la douleur, de la fatigue, du laisser-aller. Toutes choses
qui trouvent leur justification dans l'action, rien que dans líaction.
Le sport vous devez en faire, il est le meilleur moyen pour communiquer
avec ses semblables, pour faire des rencontres et connaître ainsi
la vie, la vraie vie, pas celle de votre mirage.
Premier personnage
Mais ce livre n'est pas une affaire de littérature, c'est autre
chose, tout à fait autre chose. Vous verrez.
Deuxième personnage
Je ne verrai rien puisque je ne vais pas le lire, mais bon, je vous écoute,
dites-moi donc ce qu'est votre joueur díéchec.
Premier personnage
C'est une vie, c'est la vie. C'est une lutte perpétuelle pour
rester en vie et s'affranchir des barreaux d'une prison. Ce livre est
une leçon, un mode díemploi, si vous préférez,
pour rester en vie, rester conscient et humain, face à l'adversité.
Vous devriez le lire, vraiment, c'est court, ça ne prendrait pas
beaucoup de votre temps et peut-être y verrez-vous de l'action,
malgré que ça se passe dans une prison.
Deuxième personnage
Vous insistez ! Mais d'une prison on cherche à s'évader.
Par l'action, uniquement, il est possible de le faire, non ? Les exemples
ne manquent pas, il sont à foison, le Comte de Monte-Cristo, Rochefort,
Spartacus, le Docteur B. Mais l'entraînement n'attend pas, la Nation
n'attend pas. Je dois être prêt au cas où on aurait
besoin de moi. Il y a des engagements à prendre, pour le bien de
tous.
Premier personnage
Mais lisez-le durant les déplacements vers le travail ou vers
les réunions politiques, dans le bus. Ce temps est perdu, même
pour l'action, alors agissez, même dans le bus, et lisez. Tenez,
j'ai un exemplaire du livre avec moi, un exemplaire supplémentaire,
je vous l'offre. Allez, prenez-le.
Deuxième personnage
Non, vous dis-je, gardez-le. Si je le prends j'en ferai une petite boule
de papier pour allumer mon feu.
Premier personnage
Ne soyez pas stupide. Vous y trouverez de l'espoir, de l'intelligence,
de l'angoisse, une intrigue, de l'amour même.
Deuxième personnage
Ironique, amusé. Aah, c'est donc une histoire d'amour !
Premier personnage
Non, mais vous aurez, vous, de l'amour pour le héros.
Deuxième personnage
J'en doute.
Premier personnage
Mais vous me posez bien des questions finalement.
Deuxième personnage
Vous m'y forcez pour ainsi dire.
Premier personnage
Tout de même cela montre votre intérêt.
Deuxième personnage
Je n'ai aucun intérêt je vous dis. Mes préoccupations
sont concrètes et utiles.
Premier Personnage
Moi je crois que vous êtes intéressé sinon vous ne
discuteriez pas avec moi.
Deuxième personnage
Pas du tout. Je suis poli.
Premier personnage
Tout de même.
Deuxième personnage
Tout de même rien. Je ne veux pas vous faire de peine, vous semblez
tellement y tenir à ce livre. Je n'aime pas faire de peine à
quelqu'un, même si je ne suis pas d'accord avec lui, alors je me
laisse prendre.
Premier personnage
Alors tant pis. Jíespère seulement que vous ne le regretterez
pas.
Deuxième personnage
Aucun danger. Mais vous pensez à moi de temps en temps. Pensez
à ce que je vous ai dit. La littérature níest d'aucun
secours, jamais, l'action seule vaut quelque chose.
Premier personnage
La littérature a du vous blesser un jour pour que vous la rejetiez
si fort, si définitivement.
Deuxième personnage
Pas du tout, tout simplement je l'ignore, j'ai trop à faire.
Premier personnage
Faites-moi plaisir et soyez gentil en me disant que de temps en temps
vous songerez à moi, cet inconnu qui a essayé de vous faire
accepter l'idée que la littérature est parfois, elle aussi,
action. Si ce trajet était plus long, ou si nous nous arrêtions
à une terrasse de café, je vous dirais toute l'action que
les livres ont engendrée à travers l'histoire du monde.
Je vous dirais les formidables créations matérielles des
hommes issues des créations imaginaires des écrivains et des
poètes. Je vous raconterais l'histoire de cet homme qui, rassemblant
autour de lui et de son projet fou, décida de partir dans une région
inexplorée et d'y construire la cité idéale dont
il avait lu une description imaginaire dans un simple et petit livre.
Jíaurais beaucoup à vous raconter de l'action mon ami.
Deuxième personnage
Cette ville idéale, ils l'ont construite ?
Premier personnage
Ils l'ont effectivement construite.
Le bus arrive à destination, il s'arrête en un chuintement
métallique, celui que font les disques des freins sur les roues.
Les deux protagonistes descendent l'un derrière l'autre. Chacun
s'en va, líun vers la droite, líautre vers la gauche.
*********
Second acte
L'histoire se poursuit quinze ans plus tard. Entre temps, il y a eu
la révolution, la guerre, l'emprisonnement. Dans un autobus, les
deux hommes sont à nouveaux côte à côte. Le
non-lecteur est assis, il parle tout seul, en regardant par la fenêtre.
Son compagnon est debout appuyé au côté du dossier
du siège
Premier personnage
Je vous reconnais, vous.
Deuxième personnage
..........
Premier personnage
Je vous reconnais, il y a quinze ans, dans ce même véhicule.
Deuxième personnage
..........
Premier personnage
Vous ne vouliez pas lire. Vous me disiez que la littérature n'était
rien. Vous aviez refusé de prendre " Le Joueur d'échec ",
que je vous offrais. C'est insensé. C'est incroyable, nous voilà,
dans ce même véhicule, tant d'années plus tard, une
nouvelle fois réunis ! C'est incroyable, incroyable. Vous allez
bien dire quelque chose, non !
Deuxième personnage
J'avais tort.
Premier personnage
Pardon, je vous demande pardon, je n'ai pas bien entendu.
Deuxième personnage
J'avais tort et vous aviez raison.
Premier personnage
Allons, il ne s'agissait de rien, une courte discussion de trajet, rien
de plus.
Deuxième personnage
Non, c'était beaucoup plus que cela. J'avais tort, vous aviez
raison et la littérature m'a sauvé de la folie.
Premier personnage
Ah bon !
Deuxième personnage
Oui. J'ai écrit pendant deux ans, sans m'arrêter une seule
journée. C'était long, très long.
Premier personnage
Et le livre est publié, fantastique, fantastique. J'ai hâte
de le lire, je suis curieux, curieux, ça doit être fantastique,
votre livre, deux années sans interruption, vous qui níaimiez
pas la littérature.
Deuxième personnage
Il n'y a pas de livre, je n'avais pas de papier.
Premier personnage
Mais, à l'instant vous venez de me dire que vous aviez écrit
pendant deux longues années. Vous vous moquez de moi, vous vous
vengez, c'est ça vous vous vengez de la dernière fois. Mais
c'est ridicule, une rancúur qui dure si longtemps, pour si peu
de choses. C'était peu de chose je vous dis, une discussion de
trajet, même pas une altercation, il n'y a même pas eu de
débat. Vraiment votre attitude est petite, mesquine, alors que nous
avons eu tant de malheurs de puis cinq ans. Cette petite vengeance est
ridicule, je vous le redis, pensez plutôt à ceux qui ont
souffert dans leur chaire, à ceux qui sont morts, aux blessés,
à ceux qui ont été emprisonnés et à
ceux qui ont combattu pour que le tyran níétende pas sa
main noire sur nos têtes pour toujours. Pensez à eux, à
tous ces actes héroïques et alors vous cesserez de vous moquer
de moi pour une futile question de littérature.
Deuxième personnage
Mais c'est justement à eux que je pense.
Premier personnage
Vous ne me le ferez pas croire, non.
Deuxième personnage
C'est pour eux, pour leur mémoire à tous que je dis que
vous aviez raison et moi tort.
Premier personnage
Expliquez-moi cela.
Deuxième personnage
Notre devoir était de rester en vie, coûte que coûte,
en vie. Vivre était déjà une victoire. Il fallait
rester conscient et éviter la folie.
Premier personnage
Vous parlez commeÖÖÖÖ. ! Vous, vous ! Avez-vous été
enfermé ? Vous l'homme d'action avez-vous agi , étiez-vous
un combattant ? ( un temps ) Evidemment. Vous poser la question, c'est
déjà y répondre.
Deuxième personnage
Jusqu'à ce qu'on m'enferme. Jíai résistais en écrivant
Premier personnage
En écrivant ? Sans papier ? Vous vous moquez de moi encore une
fois.
Deuxième personnage
Non. ( un temps ) Oui j'ai écrit sans papier. La littérature
est une action.
Premier personnage
C'est là que vous avez lu " Le Joueur d'échec " ?
Deuxième personnage
Non, c'est là que je líai réécrit.
Premier personnage
Comment le réécrire si vous ne l'aviez jamais lu ?
Deuxième personnage
Je l'ai lu. Un jour, peu après vous avoir rencontré. Et
puis je l'ai oublié. Complètement oublié, jusqu'à
aujourd'hui que vous m'en reparliez.
Premier personnage
Et vous prétendez l'avoir réécrit, vous vous jouez
encore de moi ! Mais cette fois-ci c'est ignoble. Vous vous appuyez sur
vos faits d'armes, vous un héros, vous abusez de votre gloire pour
vous autoriser à vous moquer d'un simple passant. Vous êtes
certainement fou.
Deuxième personnage
Non, ils n'ont pas réussi. J'ai résisté vous ai-je
dit.
Premier personnage
Mais alors expliquez-moi nom de Dieu !
*********
Troisième acte
Deuxième personnage
Jíai d'abord dirigé une unité urbaine puis je me
suis réfugié dans la campagne d'où jíai dirigé
l'unité combattante du Sud-Ouest. Ils ont finalement réussi
à m'attraper et au lieu de me fusiller ils ont trouvé plus
intéressant de me rendre fou pour me libérer ensuite. Mais
j'ai résisté. Résisté, toujours, jusquíà
la libération. Résisté pendant deux ans
Premier personnage
Résister en écrivant, cíest incroyable.
Deuxième personnage
J'ai écrit l'histoire et la description des papillons. Entièrement,
de mémoire. Ca m'a pris deux ans complets. Il y avait une vieille
affiche épinglée sur l'un des murs : " Papillons de Nouvelle
Calédonie ". Un endroit très éloigné, je crois.
Je n'avais aucun papier, aucun crayon et de la lumière artificielle
vingt quatre heures sur vingt quatre. On m'a laissé totalement
seul, je n'ai vu personne ni entendu la moindre voix pendant ces deux
années. Quelqu'un que je n'ai jamais vu me passait de la nourriture
par une trappe percée dans le mur de grosse pierres. La trappe
faisait un angle si bien que même en me baissant, en rentrant toute
ma tête dans le trou et en collant mon visage aux parois, je ne
voyais que des pierres, et non pas de l'autre côté du mur,
là où je supposais se trouvait un couloir de garde. Alors
chaque jour j'écrivais un papillon, ça pouvait me prendre
quatre heures pour une seule bête. Lorsque j'écrivais le
second papillon, je commençais par me réciter le précédent.
Ainsi de suite. Sur l'affiche il y avait soixante papillons.
Premier personnage
De mémoire !
Deuxième personnage
De mémoire, avec les ponctuations et les majuscules. Les paragraphes
les parenthèses, les renvois scientifiques que jíinventais.
Et en fin de chapitre, un chapitre par papillon, il y avait la description
minutieuse, couleur par couleur et tonalité par tonalité,
de chaque centimètre carré de la bête. Oui tout de
mémoire.
Premier personnage
Et vous vous en souvenez ?
Le personnage ferme les yeux, relève un peu la tête et
commence à réciter. ( mais avant il lance en l'air une poignée
de papillons, et peut-être ne récite-t-il pas ).
Deuxième personnage
Le premier est placé en haut et à droite de l'affiche,
il est grand, il est beau, je l'aime. la première fois que je l'ai
vu il sautait díune branche à une autre sans se soucier
de ma présence. Il n'y avait ni vent ni soleil, simplement la lumière
du joueur, il en profitait pour me montrer sa parure. Sa livrée
est orange parsemée de nervures noires. ( J'ai bu le jus de cette
orange chaque matin en reprenant mon livre par le début, sans cette
orange du matin j'aurai manqué de vitamine C, mes os se serait affaiblis,
peut-être aurais-je abandonné. ) et tout autour de ses deux
ailes qui chacune se découpe en deux parties, formant un tout de
quatre parties, il y a, parsemées, des petites tâches blanches,
discrètes, légères. Elles sont comme la page blanche
qui vient se mêler à la conversation des papillons. Sa famille
est grande, elle couvre le monde entier, les distances ne sont rien pour
lui, en quelques heures il traverse la forêt pour rejoindre des
enfants et une femme. Son espèce est fidèle, elle n'abandonne
personne sur le chemin, son amitié est solide, elle est inscrite
dans les longs trajets à travers les continents et les océans.
On sait que le berceau de l'espèce est ailleurs, qu'il y a, là
bas, des vallées entières peuplées de millions d'entre
eux, on sait leur puissance, leur force, qui leur a permis de m'emporter
lorsque je mourrais de tristesse et de solitude, par-delà les murs
et les miradors rejoindre mes propres amis, ma famille. Celui-là
précisément à quatre nervures noires sur la partie
haute de chacune de ses ailes, il a neuf autres nervures noires sur la
partie basse de ses même ailes. Chacune à un point noir sur
sa partie postérieure. Les tâches blanches évoquées
tout à l'heure se disposent en deux rangées et s'étendent
jusque sur la tête de l'animal. On suppose qu'il vit en communauté,
qu'il ne se nourrit que durant quelques minutes par jour, pour le reste
du temps se consacrer au voyage et à líobservation de son environnement.
Lorsqu'il se pose sur une branche il repli ses ailes et attends sans bouger
une longue minute. ( Il entre ensuite en conversation avec celui qui l'observe.
Ces conversations m'ont tenu éveillé des nuits entières
alors que je mourrais de bientôt entendre le pas des gardiens venus
me chercher pour ma dernière sortie. Il me racontait les histoires
de dehors, la vie des combattants, la vie du gymnase, l'agitation à
l'intérieur des autobus bondés.) Ce premier papillon se
détache des autres parce qu'il est le premier à m'avoir interpellé
alors que mon farouche désir de résister à la folie
se trouvait confronté à l'impossibilité d'entreprendre
toute action. Il est le premier du premier chapitre, celui qui chaque
matin ouvre le livre, il est Danaus plexippus.
Tout à côté il y a ce solitaire. Il est complètement
jaune, d'un jaune pâle qui confine au blanc dans les parties antérieures
de ses deux ailes. C'est tout juste si aux extrémités de
ses ailes, lorsqu'il vole au petit matin au-dessus des gouttes de rosées,
on distingue le minuscule tracé sombre qui le sépare du
monde alentour. Il vit seul, toujours, et il ne vit qu'une courte journée.
Jamais on ne l'a observé en quelconque compagnie. A quel moment
devient-il papillon après avoir été chrysalide ?
nul ne le sait. De quoi se nourrit-il ? Se contente-t-il d'eau de rosée
? Ou bien se nourrit-il du parfum des fleurs qu'il survole la journée
durant ? Une seule journée, une seule demi-journée car la
nuit le foudroie avant qu'une lune ne survienne. Il est précipité
au sol et là, sans se débattre, il cesse sa vie. Sa vie
brève est une éternité de bonheur et d'insouciance.
( Grâce à lui je garde l'appétit de la vie. Chaque
matin, lorsque vient son tour d'exister je décline lentement ces
quelques lignes de vie. Comme une gitane il y a longtemps me surprenant au
détour de Grenade me disant mon avenir, je dis la joie du minuscule
papillon, en retour il souffle dans ma bouche remplit mes poumons et me
donne toute une journée encore de survie. ) Cet Eurema hecabe se
contente de la journée, et le temps lui est assez long pour parcourir
un jardin ou un parc en bordure de l'océan.
Dans sa course, il est suivi de Papilio montrouzieri. Lui est grand et
majestueux lorsqu'il se promène dans la ville, de jardin en jardin,
díarbres en arbres en se posant toujours face au soleil couchant.
Son corps est fin, son désir de vie est immense, il ne laisse envahir
ni par la peur de l'homme ni par la peur du bruit. Nul bruit de camion
ou d'usine ne vient freiner son vol. Il traverse la ville comme un vaisseau
traverse l'océan, la houle et la tempête. Sa demeure première
est la bordure des forêts. ( Je le sais aux reflets verts et marrons
qui s'attachent à la pointe de sa tête. Lorsque le soir venu
je me couche et l'entends s'approcher de moi , j'entre à mon tour dans
la forêt sachant que je trouverai là, quelques heures de paix
pour mon âme et mon esprit, en d'autres moments de la journée,
en perpétuelle ébullition.) Ses deux ailes antérieurs
sont massives, elles laissent percevoir une grande force, capable de la
porter des heures durant à travers les hautes branches et autour
des larges troncs de banian et de kahori. Ses deux ailes antérieurs
se déclinent plutôt en longueur, comme si elles se laissaient
tomber díen haut pour mieux líasseoir sur líair, mieux
se faire porter par les courants sans se fatiguer. Certains jours en bordures
de ses deux ailes il y a de la place pour de fines et élégantes
traces blanches, ou peut-être n'est-ce que des traces de lumière
qui se dégagent du soleil, prolongeant ainsi la durée du
jour. Il est couvert de bleu. Le peintre en quelques coups de pinceau
a tracé sur son corps des traînées sensible de bleu. Ne
pouvant s'arrêter il a, toujours en quelques coups, teint ses ailes
de bleu du bleu des yeux de l'amante la plus sauvage et fidèle.
Tout ce bleu est enfin cerné de noir. Le noir le dissimule lorsque
cesse la course du soleil. Il devient mon hôte de la nuit les heures
sont alors plus courtes, supportables. Ce papillon aime à se poser
sur les larges feuilles des bananiers, il s'y abreuve et s'y repose, attendant
une compagnie, achevant ainsi son existence. Lorsque c'est à son
tour d'ouvrir un des chapitres du livre il est alors porteur du bleu du
ciel et du noir de la nuit, ponctuant mon temps de la réalité
du temps que Dieu à décomposé en jour et en nuit.
Me sauvant lui aussi de la folie.
FIN 2002-2003 Nicolas Kurtovitch
*
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