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Pascal Leclerc (Nish)  sélection mars 2005

il vit en Asie et se présente à vous


LA PELLE DE L'INCONNUE

Ce matin, je marchais peinard dans l'avenue bondée de Nathan Road, concentré sur mes problèmes conjugaux, familiaux, pécuniaires, professionnels et existentiels (pour vous dire si j'étais pris), quand deux chevilles, prisonnières d'une paire de boots Camel, vinrent se placer dans le viseur de mon regard perdu. Là, bien centrées, elles forcèrent le focus de mon attention à passer du flou artistique original et naturel à une définition d'image aussi précise que l'abus quotidien de fumigènes exotiques puisse le permettre. La démarche était intéressante, assez lente elle se balançait en avant avec un enlevé léger en bout de semelle donnant à toute la silhouette une allure détachée quoique décidée.

Le grain de la peau me fit d'abord croire à la présence malvenue d'une paire de bas couleur perle. Il n'en était rien. La douceur élastique et doucement scintillante qui, de façon rythmique, s'étirait gracieusement et souplement devant moi était toute naturelle et ne devait sa soyeuse consistance qu'à la fraîcheur de sa jeune propriétaire. Un pas sur deux, le mollet, tendrement arrondi, laissait à peine saillir un muscle qu'on sentait ferme et chaud et qui, remontant vers le genou, s'affinait encore en une courbe promptement ébauchée.

Ah que c'était charmant !

Hélas, alors que je me demandais comment entamer la conversation puisqu'elle me tournait le dos, je butai soudain, et malencontreusement, sur la laisse réglementaire d'un berger aussi allemand que policier qui, avec cette fulgurance pénible et caractéristique des canins musclés, s'était faufilé entre moi et l'objet de mon enjouement visuel, en entraînant son maître, un grand flic dégingandé qui suait abondamment. Le temps que celui-ci parvienne à calmer suffisamment son molosse pour qu'il consente à desserrer les dents et à me lâcher la cuisse, j'avais déjà perdu mes perles en boots de vue. Me concentrant brièvement quoique mentalement, je rassemblai alors tout mon "Chi" dans mes pupilles et scannai à la fois la foule, l'horizon et les fourmillants trottoirs de l'avenue hongkongaise. Tel Robocop, mon regard quadrilla le paysage de lignes vertes et soudain, ma neuro-fouine fit clignoter l'un des espaces surveillés. Un zoom rapide de l'iris, un flash imperceptible de la prunelle et les mollets nacrés revinrent en focus. Ma réaction fut si prompte que mes semelles en crissant, laissèrent deux marques noires sur le bitume du trottoir.
Le temps de l'écrire et j'étais déjà sur les talons desdits mollets tentateurs où mon regard allumé put enfin réatterrir.

La sirène nacrée déambulait toujours du même pas léger dont l'insouciance tranquille et balancée attisait l'attention des tailleurs indiens qui rameutent les touristes sur le pas de porte de leurs petites échoppes. La belle était en short. Pas un vulgaire short de sport, pas une petite culotte moulante non plus, non, elle avait enfermé son fessier remarquable et charmant dans un short des plus exotiques pour la région puisqu'il n'était pas sans évoquer l'Oktoberfest et sa Bavière. Imaginez-vous ça ! Une petite Asiatique, belle comme la lu ne des Mille et Une Nuits, douce comme une mangue, menue comme une bouteille de Coke et enveloppée dans ces culottes de cuir rude, épais et germanique. J'en bavais quasiment tant le contraste était saisissant d'érotisme pur !

Et bien sûr, c'est exactement à ce moment-là que je me suis senti saisi, par le cou aussi bien que par derrière, et le tout par un bras musclé quoique non velu. Je venais de passer devant une bijouterie, ce qu'on ne devrait jamais faire sans se méfier et comme de bien entendu, deux malfrats, chinois sinon populaires, venaient juste d'en rafler tout l'or, d'en braquer tous les bijoux et de s'en faire la caisse. Mais ils auraient mieux fait de se faire la caisse hier, puisqu'à peine sortis, ils durent poser sacs à terre pour pouvoir sortir leurs revolvers.
Sur le trottoir d'en face, une bande de keufs, assis, semble-t-il, dans le vide, les bras en avant comme s'ils allaient plonger, pointent leurs armes de fonctionnaires dans nos directions. C'est à dire, dans ma direction et dans celle de la vieille dame que le complice de mon enfoiré d'étrangleur est également parvenu à prendre en otage. Eux sont planqués derrière nous, les sales lâches !
J'aimerais bien informer mon enlaceur du fait qu'un otage mort ne servant pas à grand-chose, il peut, éventuellement voire graduellement, desserrer son étreinte, qui, pour touchante qu'elle soit, n'en reste cependant pas moins étouffante. -"Ng...ng...ng!" parvins-je à exprimer. -"Sau sing!" qu'il me répond grossièrement! "Ta gueule ! Et pis comment tu sais comment j'm'appelle ?" Et il desserre le bras pour que je lui réponde. Mais moi, avec ma pomme d'Adam proéminente, qu'est-ce que vous voulez, je me suis mis à tousser. Du coup, l'autre enfoiré m'a resserré le cou ; moi, ca m'a fait qu'empirer ma toux ; tellement fort que par réflexe, en m'agrippant à son biceps, je l'ai obligé à me desserrer pour pouvoir tousser, mais alors quand je dis tousser, j'en avais les deux pieds qui décollaient du sol ! Ma toux, c'est dans l'intestin grêle que j'allais la chercher ! Tant et si bien qu'au bout d'un moment je me suis mis à gerber. Eh oui, je sais, c'est pas très héroïque, m'enfin c'est comme ça. La franchise est une qualité plus noble que l'héroïsme de toute façon.

Bref, je gerbais et mon étrangleur gueulait. Faut dire que c'est jamais agréable de sentir du dégueuli chaud dégouliner sur son bras, j'aurais été à sa place, j'aurais rouspété tout autant. Ce qui n'est pas banal dans tout ça, c'est qu'j'avais pas mal abusé du milkshake à la banane, dont je suis gourmand, à l'heure du déjeuner et que donc l'odeur de mes vomissures n'était finalement pas si désagréable qu'on aurait pu le penser. Le problème, c'est qu'à Hong Kong, les gens sont tous tellement speedés qu'ils flanquent carrément des bananes toutes entières dans les mixeurs sans même se donner la peine de les peler. Ça donne une petite odeur de chlorophille amidonnée aux milkshakes qui n'est pas désagréable.
Enfin pour mon preneur d'otage, il aurait mieux pas fallu parce qu'entraîné par mes spasmes de déglutition, il fit un pas, oh un tout petit pas mais ça a suffit, en avant et il marcha dans mon dégueuli de milkshake à la peau de banane et s'affala immédiatement sur le dos. Dans la chute, il fit deux choses :
1. Il me lâcha.
2. Il crispa la gâchette de son revolver qui, bien huilée, réagit au quart de tour. La balle alla se loger dans l'orbite gauche de la vieille dame qui était enlacée dans les bras de l'autre bandit chinois.

Aussitôt, sur le trottoir d'en face, un vacarme de crépitations m'obligea à me couvrir les oreilles et à fermer les yeux, entouré que j'étais par les sifflements de balles.
Quand je les rouvris, intrigué par le silence soudain, j'étais debout au milieu de trois morts et tout le monde me regardait.
Sensation bizarre, j'vous jure, que d'être le seul à bouger dans une rue bondée mais silencieuse, avec une foule devant soi qui vous regarde sans remuer un cil et sans même éternuer.
J'sais pas pour vous mais moi, tout ce que j'ai trouvé à faire, c'est de me retourner et de dire pardon à mon agresseur vu que j'avais pas eu le temps de le faire de son vivant et que vraiment, il avait le bras tout dégueulasse.
L'ange est passé et la foule s'est réveillée, les flics ont rengainé leur artillerie et se sont avancés en gueulant, les badauds se sont approchés d'un pas hésitant et se sont faits encadrer en un instant puis les flashes des photographes ont commencé à crépiter. Pour l'instant c'étaient les cadavres et les sacs qui occupaient toute l'attention et j'en ai profité pour m'esquiver, n'ayant guère envie de passer le reste de la journée à faire des dépositions au poste de police.

Seulement j'ai eu beau rameuter tout mon "Chi", invoquer Vishnou et léviter en position du lotus pour avoir une meilleure vue, rien à faire, impossible de mettre la main sur mes mollets nacrés nulle part. J'étais tellement désappointé que j'ai failli réatterrir sur un bus à impériale qui attendait le feu vert ! Bon, j'allais me faire raison et profiter d'être dans le quartier pour aller voir chez Tom Lee Music si ma guimbarde avait été réparée quand je l'ai vue sortir d'une librairie. Miracle ! Et en plus elle savait lire ! Je lui ai alors réemboîté le pas, qu'elle avait, l'ai-je mentionné, chaloupé.

Mon regard fébrile a rapidement remonté le chemin déjà parcouru avant mes deux mésaventures. Ses chevilles prisonnières du cuir noir et luisant surgissaient étonnamment douces et préservées, ce coin tendre et chaud juste au creux de ses genoux où l'on devinait une légère sueur, ces cuisses d'enfant, fines mais dures et musclées et ces petites fesses mignonnes sur lesquelles flottait le cuir rugueux de sa culotte bavaroise. Je me suis demandé quel genre de sous-vêtement elle portait... J'espérais qu'elle aimait les petits slips de coton blanc des écolières japonaises. C'est ceux que je préfère.
Et cette taille ! Mes deux mains en auraient fait le tour ! Je la voyais bien sa taille parce qu'elle portait un de ces T-shirts trop courts qui laissent voir le nombril. Je les adore d'ailleurs, ces T-shirts et il y a vraiment toutes sortes de nombrils, ca doit être comme les empreintes digitales ça, y'a pas un nombril pareil.
Le creux de ses reins m'inspirait des caresses légères et pénétrantes quand la paume de ma main m'obligea à fermer les yeux pour mieux goûter la saveur du grain d'une peau féminine. La courbe de ses hanches et ses flancs étaient un sentier que mon regard longeait et refaisait pour un plaisir qui ne me lassait pas. Je m'échinais aussi à déterminer si elle portait un soutif ou pas. Elles en ont toutes ici mais on ne sait jamais. Je n'arrivais pas à m'en rendre compte à cause des bretelles de son short et de ses cheveux qu'elle avait longs dans son dos.

Tiens, Mac Donald... Avait-elle faim ? Ah non, elle s'est dirigée vers le fond de la salle du restaurant. J'espérais qu'elle n'allait pas retrouver son petit copain ! Enfin, on allait bien voir, j'irai m'asseoir derrière elle. Où en étais-je ? Ses cheveux ! Hmmm, ils étaient d'une abondance ! Lisses, épais mais soyeux et réguliers, ils formaient une masse attirante où la lumière se reflétait dans des ombres un peu rousses. Elle a rajusté sa sacoche sur son épaule et j'ai aperçu ses mains longues et menues que j'imaginais si bien glisser derrière mon cou. Et lorsqu'elle a poussé cette porte, son bras fin et bronzé aux muscles longs et bien dessinés m'a transporté d'émotion, j'aurais voulu l'enlacer et sentir sous ma joue la fraîcheur de ce bras de jade.

Et c'est à ce moment précis qu'intriguée sans doute par les visages indignés des mégères présentes aux robinets, qui tous pointaient, semblait-il, dans sa direction, que ma douce Chinoise bavaroise, de surprise, se retourna d'un coup sec. L'univers entier s'effaca à cet instant ! Mon cerveau, trop occupé à concevoir tant de beauté, ne pouvait simplement pas accepter présentement d'autres informations du monde vulgaire et extérieur. Son visage était pur, pas un bouton, pas un furoncle, pas une cicatrice, pas un point noir, pas une ride, aucun point de beauté, lisse comme une statue de glace, doux comme une souris Microsoft. J'imaginais poser les lèvres sur le lobe de son oreille finement ciselée ; son nez était petit, mutin et joli, ses lèvres pulpeuses étaient un peu humides mais c'étaient surtout ses yeux en amandes qui m'hypnotisaient.
Peut-être portait-elle des lentilles de contact, sûrement même, mais ses yeux étaient noisettes au lieu d'être noirs. Fasciné par leur clarté, je ne réalisais même pas qu'ils étaient écarquillés d'horreur. -"Lei ho lingaaaa!" dis-je dans un souffle d'un air soufflé, "Qu'est-ce que vous êtes belle !" Et c'est là qu'elle s'est mise à hurler, bientôt imitée par toutes les autres mémères.

Ça m'a étonné sur le coup, je l'ai regardée crier sans trop comprendre, puis j'ai baissé les yeux sur mes vêtements et c'est là que j'ai compris que je n'avais pas une chance avec elle parce que mon T-shirt était plein de dégueuli de milk shake à la banane et que mon jean troué était plein de sang qui avait coulé sur mes Caterpillar couleur daim. Puis j'ai regardé les gravosses qui gueulaient toujours et qui s'étaient rassemblées en troupeau au fond de la salle et c'est là que j'ai pigé que j'étais dans les toilettes pour dames. Ça m'a fait sourire sur le coup mais pas longtemps car quelque chose m'a soudain frappé violemment derrière la nuque et je perdis conscience, sans pour autant, dans ma chute, pouvoir détourner le regard de ma jolie poursuivie. Quand je me suis réveillé, il y avait plein de flics autour de moi. Ils m'avaient mis sur un banc en plastique mauve clair et ça m'a encore donné envie de gerber. J'aurais pas dû me gêner d'ailleurs vu l'état dans lequel j'étais. Apparemment après m'avoir assommé à coup de sac de viande surgelée, le personnel du restaurant m'avait bombardé de hamburgers et de gobelets de milkshake à la fraise et au chocolat. J'avais même des brûlures de frites sous l'oeil et du ketchup dans ma braguette ! La fille que j'avais adoré du regard était en larmes, en train de raconter je ne sais pas quoi à une policière qui avait l'air de compatir. Les quatre cerbères qui m'encadraient me regardaient d'un oeil noir et une foule d'environ 556 personnes s'amassait derrière eux.

On m'a emmené au poste et ça m'a pris un moment pour que je parvienne à convaincre les flics de prendre ma température afin de pouvoir prouver par là que je n'étais qu'une victime de plus de la fièvre asiatique qui atteint ici tant d'innocents mâles blancs. Puis il a fallu que je dépositionne encore sur l'incident de la bijouterie ce qui a pris un moment vu qu'ils étaient en pétard que je me sois tiré et finalement il a fallu que j'explique que je n'étais pour rien dans la mort subite qui avait paraît-il frappé mon berger allemand dans les dix minutes qui avaient suivi sa morsure ! Bizarre... Peut-être que je devrais arrêter de fumer autant ?

Encore une sale journée donc et je viens tout juste de rentrer.

Mais qu'est-ce qu'elle était mignonne quand même...


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Créé le 1 mars 2002

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