|
David de
Tautavel
sélection décembre 2004
il se présente à
vous.
RIEN QUE LE VENT
OU LES ARBRES |
Rien dans le vent ou les arbres
Dans la liqueur du soir qui coule déjà le long des troncs,
Qui fuit aux horizons.
Rien dans l'eau ou les algues.
Le plancton, les scalaires et les cachalots.
Et toi, avec tes cheveux, Pourquoi sculptes-tu la pierre,
Quel message de poudre as-tu à nous livrer,
Quelles pensées fermentent à la lueur de ta bougie qui
veille ?
Quel poison ? Quel champignon vénéneux ?
Et toi, tu brises les tables ? C'est un venin, un venin à soulager.
Le cachalot a pondu un oeuf, et tu manges cet oeuf,
As-tu vu ce vieillard sur le chemin ?
Ce vieillard que plus rien n'effraie et qui t'a tout révélé.
Il est le charme du vicieux intérieur, il est beau.
Le fond de son oeil c'est le royaume d'Hadès.
Voilà ce que je sais.
Les années passent telle une mule sur un vieux sentier terreux,
et elles n'ont rien à dire, ou ne semblent rien dire.
D'ailleurs je ne sais toujours pas d'où vient, ni ce que veut
ce noyau au coeur noir comme le soir de ce que je crois être l'âme
et qui rayonne d'horreur au milieu d'un lac dont l'eau ne cesse d'envoyer
ses parfums de glace aux mille tournesols qui le cerclent. Et je n'ai jamais
cru en la géométrie qui pourtant reste seule à flamber
dans un cirque jaune.
J'ai cru que ce noyau était enflammé et même ensorcelé,
et les soirs, aux temps des barbecues, le feu m'évoquait nécessairement
la vie, et la braise le sommeil, et la fumée la vie qui fuit vers
l'horizon ténébreux et autoritaire de la mort, la mort qui
semble sourire lorsqu'elle perce les nuages.
Sourire hideux de la mort qui attend frémissante, juste au-dessus
et pas loin, regarde, à gauche la confusion et sa maîtresse
la béatitude. Mais tout n'était qu'illusion ; tout n'était
qu'élans préhistoriques, offrandes immaculées et géologiques,
fossilisations sensuelles, naufrages spirituels, héritage bactériel
de temps immémoriaux où nos ancêtres, les microbes,
par une diabolique combinaison chimique et
alchimique furent les tyrans abominables de cette terre déjà
âgée de quelques millions d'années. En réalité
je me demande si tout ceci signifie quelque chose. Si toutes ces années
en fosse ne m'ont pas aigri et surtout s'il reste de la tarte à
la rhubarbe. Il en reste. Bon présage, je suis de la bonne illusion
pas de la réalité.
Le feu est étranger à tout cela car cet oeuf n'a rien d'une
flamme, et comme tous les oeufs, le cerveau est froid. Des périls
formés de réseaux nerveux, d'électricité et
d'au-delà aux mailles étincelantes, merveilleuses et aussi
vides et absurdes que nécessaires le parcourent. Pointe, derrière
le crâne humain, entre la fin du cuir chevelu et l'occiput une zone
anormale qui ne réagit pas comme la raison diurne le souhaiterait.
C'est, si j'ai bonne souvenance, ici que tout a débuté.
C'était au bord d'une sorte de lac primordial dont la pensée
était inconnue. Cependant, elle se situait juste en deçà.
Ce n'est pas une métaphore, une image du tendre esprit, mais c'est
ce que l'on appelle une trans-réalité. Les objets de ce type
ont une caractéristique dite anti-réelle, car bien qu'ils
existent, ils n'existent ni en réalité, ni en rêve et
ils n'interagissent ni avec la réalité, ni avec le rêve
contrairement à ce que l'on croit expérimenter. C'est pourquoi
il y a, sous l'occiput une sorte de lac primordial qu'on ose à peine
évoquer le jour, mais la nuit...
Je marchais au bord de ce lac ; une nuit. Ce qui me frappa tout d'abord
c'était ce silence insolite et hostile. J'entendais le sang sous la
peau et ce n'était pas mon sang naturel, mais un sang modifié
par l'atmosphère émanant du lac. J'ai marché pendant
plusieurs heures avant de me coucher dans une prairie pour caresser les dociles
étoiles. C'est ainsi que je vis un cachalot géant suspendu
au ciel comme une guirlande multicolore. J'ai cru en Dieu dans ma jeunesse,
plusieurs fois, je me suis agenouillé ñ c'est vrai, je le jure,
mais c'était par crainte, uniquement par crainte de Dieu et ses anges,
par peur du morbide jugement dernier, par culpabilité, par crainte
de l'atroce douleur promise, je n'ai JAMAIS cru par foi, mais ma vieillesse
transpire d'une liqueur plus amère et aspire Dieu dans sa farandole
des âges passés, mirage passé, je suis guéri
de Dieu, immaculé de la douloureuse alliance mais je n'en ai jamais
réellement été malade, jamais. Tout ceci fait que
je ne crois plus en ce cloué. Lis l'oeil des Jésus-Christ
de la terre et tu sauras si l'on meurt du feu ou de la glace. Mais certes,
l'un ne va pas sans l'autre et pour être parfaitement honnête,
aujourd'hui la glace est maîtresse. Inventons un brise-glace ou une
pêche amère.
Le cachalot géant s'est empressé de me confesser tout cela.
Te souviens-tu de ces vieilles soirées forestières des
anciennes familles de pierre et des bijoux cachés dans les arbres
? Et de cet éclair qui tomba soudainement sur l'arbre, le plus haut
dont devait, quelques siècles plus tard naître le feu. Personne
ne l'a vu, oh non ! Mais tout le monde en a vu la marque. Insaisissable
et fourbe, le feu a craché son venin dans la glace majestueuse, c'était
bien le feu au plumage de lumière. Dans la haute glace on perçoit
encore la marque des choses, le stigmate saignant et sacralisé,
divinisé, la maudite blessure qui nous cloue aux arbres à
tout jamais. Dieu n'est pas à la Vie, il n'en est que la marque.
Il faut arracher la vie de toute hypnose du stigmate, la rendre au ciel
bleu et nébuleux, ne pas la laisser danser dans Dieu et sa chimie.
De tout infini Dieu est dans le délire d'outre-tombe, l'esprit transpercé
de magie noire le fait renaître éternellement comme la mort
renaît tous les jours de la vie. Rien dans le vent ou les arbres,
vous ne voyez rien, il faudra bien un jour, qu'enfin, vous ne voyiez rien
dans le vent ou les arbres pour que la vie puisse, tendrement et charnellement
s'y installer et pour que vous puissiez enfin créer. Créez
!
***
->
Vous désirez envoyer un commentaire sur
ce texte?
-> Vous voulez nous envoyer vos textes?
Tous
les renseignements dans la rubrique : "Comité de poésie"
|