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Septembre-octobre 2022

 

 

Alice Bernat : L’incendie

 

 

 

On racontait dans le village que la maison avait pris feu toute seule.

« Vous comprenez, m’avait dit la boulangère, toutes ces fioles qu’il a laissées à moitié ouvertes, tous ces pots de peinture et cette maison ouverte aux quatre vents… Cela ne pouvait que mal finir… »

Quand j’étais arrivée ici, on m’avait souvent parlé du fada, de ce peintre qui passait ses journées à trimballer son chevalet et ses nuits à laisser l’électricité allumée.

« Vous vous rendez compte ? Toutes les nuits jusqu’à plus d’heure… »

Dès le début, il m’avait intrigué ce peintre parti juste avant mon arrivée, mais toujours aussi présent dans les conversations.

Bien sûr, j’avais posé des questions sur lui, sur ses tableaux.

Tout le monde le connaissait : c’était le petit fils de Raymond.

Le Raymond, qui avait repris la ferme familiale à l’entrée du village, Le Raymond, qui avait été un résistant notoire puis le maire du village pendant près de vingt ans. Et qui était mort il y a seulement quelques années.

Sur le petit fils, on en savait beaucoup moins... Sa mère, l’unique fille de Raymond, était partie avec lui juste après l’accouchement - en Amérique, ajoutait-on à voix basse, suite à des histoires…

Et le petit fils n’était revenu dans le village qu’après la mort de son grand père.

Quant à ses toiles, personne n’en parlait. À vrai dire je crois que personne ne les avait jamais vues. On savait juste qu’il avait fait de la ferme son atelier. Et ceux qui le croisaint parfois, toujours seul, son chevalet sous le bras, ne savaient ni où il allait peindre ni ce qu’il peignait.

Pourtant il ne manquait jamais de s’arrêter pour dire bonjour, échanger quelques mots sur la pluie et le beau temps, avant de reprendre tout aussitôt son chemin.

J’avais recherché son nom sur un moteur de recherche mais n’avais rien trouvé. Par contre le grand-père occupait une grande place avec ses médailles et ses mandats successifs.

J’étais même allée jusqu’à la ferme abandonnée : il y avait effectivement partout du matériel de peinture à moitié éventré, tordu, probablement victime de chiens errants ou de quelques gosses désœuvrés. Mais aucune trace de tableau Aucun reste de toile déchirée ou inachevée.

Lorsque l’incendie a eu lieu, les pompiers ont inondé en vain les murs, les toits, l’intérieur des pièces. Tout a brûlé.

Enfin presque.

À quelques mètres de pierres encore fumantes, certains ont vu deux toiles violemment projetées au sol par la fureur du brasier. Elles commençaient à se tordre sous l’effet de la chaleur quand un pompier les a aperçues et les a mises à l’abri un peu plus loin.

Quelques jours plus tard j’ai croisé ledit pompier sur la place du village et je lui ai aussitôt demandé ce qu’étaient devenus les deux tableaux. Il m’a alors assuré qu’ils avaient complètement disparu.

« Quand le feu s’est calmé, je les ai cherchés un peu partout mais je ne les ai jamais retrouvés »

« Ils étaient dans quel état ? »

« Moyen… mais presque intacts. »

« Que représentaient-ils ? »

« Oh ! Si je me souviens bien… il y avait du bleu, des arbres tordus, et beaucoup de lumière blanche. »

Le peintre n’est jamais revenu au village et personne n’a retrouvé les toiles qu’avait vues le pompier.

Plusieurs années après, je suis revenue à Montpellier et j’ai eu l’occasion de voir une exposition du peintre ZAO WOU KI.

Et devant un de ces tableaux, j’ai immédiatement repensé au peintre du village.

Il y avait du bleu, des arbres tordus, et beaucoup de lumière blanche.

 

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©Alice Bernat

 



Alice Bernat

Septembre-octobre 2022

Recherche Éliette Vialle

 

 

Créé le 1 mars 2002