On racontait dans le village que
la maison avait pris feu toute seule.
« Vous comprenez, m’avait dit la boulangère,
toutes ces fioles qu’il a laissées à moitié ouvertes, tous ces pots de
peinture et cette maison ouverte aux quatre vents… Cela ne pouvait que mal
finir… »
Quand j’étais arrivée ici, on
m’avait souvent parlé du fada, de ce peintre qui passait ses journées à
trimballer son chevalet et ses nuits à laisser l’électricité allumée.
« Vous vous rendez compte ? Toutes
les nuits jusqu’à plus d’heure… »
Dès le début, il m’avait intrigué
ce peintre parti juste avant mon arrivée, mais toujours aussi présent dans
les conversations.
Bien sûr, j’avais posé des
questions sur lui, sur ses tableaux.
Tout le monde le connaissait :
c’était le petit fils de Raymond.
Le Raymond, qui avait repris la
ferme familiale à l’entrée du village, Le Raymond, qui avait été un
résistant notoire puis le maire du village pendant près de vingt ans. Et
qui était mort il y a seulement quelques années.
Sur le petit fils, on en savait
beaucoup moins... Sa mère, l’unique fille de Raymond, était partie avec lui
juste après l’accouchement - en Amérique, ajoutait-on à voix basse, suite à
des histoires…
Et le petit fils n’était revenu
dans le village qu’après la mort de son grand père.
Quant à ses toiles, personne n’en
parlait. À vrai dire je crois que personne ne les avait jamais vues. On
savait juste qu’il avait fait de la ferme son atelier. Et ceux qui le
croisaint parfois, toujours seul, son chevalet sous le bras, ne savaient ni
où il allait peindre ni ce qu’il peignait.
Pourtant il ne manquait jamais de
s’arrêter pour dire bonjour, échanger quelques mots sur la pluie et le beau
temps, avant de reprendre tout aussitôt son chemin.
J’avais recherché
son nom sur un moteur de recherche mais n’avais rien trouvé. Par contre le
grand-père occupait une grande place avec ses médailles et ses mandats
successifs.
J’étais même allée jusqu’à la
ferme abandonnée : il y avait effectivement partout du matériel de peinture
à moitié éventré, tordu, probablement victime de chiens errants ou de
quelques gosses désœuvrés. Mais aucune trace de tableau Aucun reste de
toile déchirée ou inachevée.
Lorsque l’incendie a eu lieu, les
pompiers ont inondé en vain les murs, les toits, l’intérieur des pièces.
Tout a brûlé.
Enfin presque.
À quelques mètres de pierres
encore fumantes, certains ont vu deux toiles violemment projetées au sol
par la fureur du brasier. Elles commençaient à se tordre sous l’effet de la
chaleur quand un pompier les a aperçues et les a mises à l’abri un peu plus
loin.
Quelques jours plus tard j’ai
croisé ledit pompier sur la place du village et je lui ai aussitôt demandé
ce qu’étaient devenus les deux tableaux. Il m’a alors assuré qu’ils avaient
complètement disparu.
« Quand le feu s’est calmé, je les
ai cherchés un peu partout mais je ne les ai jamais retrouvés »
« Ils étaient dans quel état ? »
« Moyen… mais presque intacts. »
« Que représentaient-ils ? »
« Oh ! Si je me souviens bien… il
y avait du bleu, des arbres tordus, et beaucoup de lumière blanche. »
Le peintre n’est jamais revenu au
village et personne n’a retrouvé les toiles qu’avait vues le pompier.
Plusieurs années après, je suis
revenue à Montpellier et j’ai eu l’occasion de voir une exposition du
peintre ZAO WOU KI.
Et devant un de ces tableaux, j’ai
immédiatement repensé au peintre du village.
Il y avait du bleu, des arbres
tordus, et beaucoup de lumière blanche.

©Alice
Bernat
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