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Janvier-février 2023

 

 

François Teyssandier

 

Le message

 

 

Un soir d’hiver, alors qu’il rentrait d’un court déplacement en province pour des raisons professionnelles, il trouva une lettre à demi glissée sous la porte de son appartement. Il la ramassa et l’ouvrit en la déchirant à moitié. Il avait les doigts gourds car il gelait à pierre fendre cette nuit-là. A la maigre lueur du palier éclairé par une ampoule nue, il déchiffra laborieusement le petit mot que contenait l’enveloppe blanche. Les lettres étaient tracées de façon si maladroite qu’elles faisaient penser à l’écriture d’une jeune fille tourmentée.

Je pourrais tomber amoureuse de toi.

Qu’en penses-tu ?

Alberte.

Il ne connaissait aucune Alberte. Ni parmi ses collègues de travail, ni dans sa vie privée. Il vivait seul depuis des années, cloîtré dans son appartement, sans voir personne en dehors de ses heures de travail. Après avoir donné un tour de clé, il entra chez lui en poussant la porte du pied droit, et la referma d’un coup sec du pied gauche. Elle émit un claquement sourd qui le fit sursauter. Il crut, un instant, que le bruit allait réveiller ses voisins de palier. Un couple de retraités irascibles qui cherchaient pour un rien des noises à tous les locataires de l’immeuble. Il retint son souffle, aux aguets, immobile et tenant encore son bagage à la main. Mais personne n’éleva la voix pour réclamer le silence. Il se remit à respirer normalement. Son bagage se réduisait à une vieille valise en cuir bouilli car il n’emportait dans ses déplacements, assez courts la plupart du temps, que le strict minimum : quelques chemises chiffonnées, deux ou trois pull-overs défraîchis aux manches trop courtes, d’informes sous-vêtements de rechange d’un blanc qui tirait sur le gris, et plusieurs paires de chaussettes en laine ou en coton, le plus souvent rapiécées par sa mère. Il déposa son bagage dans un coin sombre du couloir, au ras de la plinthe, près d’un porte-manteau métallique hérissé de trois boules de couleur noire. A l’une d’elles, il suspendit sa gabardine élimée. Il faisait assez chaud dans l’appartement, car il avait oublié de couper le chauffage avant son départ. Il se dirigea en traînant les pieds - une vieille habitude qui remontait à son adolescence - vers la cuisine. C’était une pièce oblongue et minuscule qui donnait, par une lucarne étroite, sur la cour intérieure de l’immeuble. Celle-ci était toujours encombrée de landaus, de poubelles en plastique, et de vieilles bicyclettes qui semblaient rouiller sur place. Il ouvrit d’un geste désabusé la porte du réfrigérateur. Il savait, par avance, qu’il ne trouverait rien à l’intérieur. Mais il ne put s’empêcher de vérifier qu’il était bien vide. Il referma la porte du frigidaire d’un coup d’épaule en grommelant dans sa barbe naissante des mots inintelligibles. Il aperçut sur une étagère une bouteille de lait entamée. Elle était sans couvercle et trônait depuis quelques semaines au-dessus de l’évier. Elle ne contenait plus qu’un fond de liquide verdâtre qui dégageait une épouvantable odeur de moisi. Il ne trouva pas la moindre boîte de conserve dans les placards. Pas même un quignon de pain rassis dans la huche. Il avait pourtant faim. Son estomac vide émettait des gargouillis sonores qu’il ne parvenait pas à maîtriser. Le voyage en train avait été interminable, d’un ennui mortel, dans l’inconfort d’un wagon plutôt froid en compagnie d’un vieux monsieur efflanqué dont le visage glabre verdissait d’heure en heure. Ses habits sentaient la sueur et le tabac. Ils ne s’étaient pas adressé la parole pendant tout le trajet, chacun faisant semblant d’ignorer l’autre.

N’ayant aucune envie de ressortir, à cause de la fatigue qui accablait son corps malingre, il décida de se contenter pour tout repas de boire un verre d’eau qui avait un désagréable goût de chlore.

Dans le salon aux murs tapissés d’un papier à fleurs vieillot, il n’eut même pas la force d’étendre le bras pour allumer le poste de télévision qui se trouvait dans un angle de la pièce, posé de guingois sur une table basse en verre dépoli, au milieu de journaux anciens et de prospectus divers. D’ailleurs, ce geste banal d’allumer le poste, qu’il accomplissait d’ordinaire sans y prendre garde, s’avérait en fin de compte assez absurde, car il n’arrivait jamais à suivre un programme jusqu’au bout. À peine était-il assis dans son fauteuil devant l’écran lumineux qu’il s’endormait presque aussitôt, même s’il ne ressentait aucune fatigue particulière. Le pouvoir hypnotique des images le terrassait très vite. Ses yeux se fermaient malgré lui. Ce soir-là, assommé par la longueur du voyage, la tête lourde et les jambes pesantes, il entra directement dans sa chambre d’un pas de somnambule, et s’écroula comme une masse sur le lit, sans avoir à le défaire puisqu’il avait oublié de le faire avant son départ. Il sombra aussitôt dans un sommeil de plomb, tout habillé, gardant aux pieds ses chaussures boueuses qui maculèrent les draps blancs.

Le lendemain matin, il trouva sous la porte d’entrée un petit mot griffonné à la hâte :

Oublie tout

A.

 

©François Teyssandier



François Teyssandier

Janvier-février 2023

Recherche Éliette Vialle

 

 

Créé le 1 mars 2002