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FÉVRIER 2017

 

 

LES CORBEAUX

 

Par Patricia Laranco

 

 

PARTIE 2 – SUITE ET FIN

 

LES CORBEAUX

(2nde partie)

 

Je me mis à trembler de tout mon corps, de façon incontrôlable. Comment trouver la force, le cran de répondre à une pareille voix ? J’avais l’impression qu’elle venait de me balayer, à l’instar d’une bourrasque.

Je me taisais donc, la langue comme collée à mon palais par une sorte de bitume, de couche de glu épaisse qui lui interdisait le moindre mouvement. « Quelle idée ai-je eue d’entrer dans cette foutue baraque ? » pensai-je juste, au passage.

Et, avec une soudaineté effarante, jaillissante que j’eus à peine le temps de voir venir, une énorme patte s’abattit sur mon crâne et y referma ses doigts constellés d’écailles en exerçant une pression assez ferme. Suffisamment ferme, en tout cas, pour me contraindre à me baisser, à me ratatiner, un peu comme un accordéon que l’on replie.

Au final, je me retrouvai accroupi, tassé sur moi-même presque au niveau du sol, les paumes de mes deux mains plaquées contre la dure froidure de celui-ci. Mon corps tremblait, il vibrait tellement sous l’effet de la terreur et de l’inconfort physique que je me pris à souhaiter que ce foutu monstre m’écrase sur le champ, une bonne fois pour toutes, si telle était son intention.

Mais sa voix tonna de nouveau ; déluge, cyclone de son insoutenable : « Tu cherches sans doute des individus de ton espèce ? Tu n’en trouveras pas ! Cette ville est vide de tes congénères et, comme tu le  constates, nous sommes les seuls à l’occuper. Dans notre dimension, le corbeau a muté, et il a supplanté l’Homme. Je vais te lâcher et, une fois cela fait, tu te prosterneras devant nous !!! 

Ensuite, tu resteras à quatre pattes et tu feras presto demi-tour. Après quoi tu sortiras de cette salle que tu souilles. Le plus vite possible ! ».

Le corbeau transforma ses solennelles paroles en actes sur le champ : aussi vite qu’il les avait plaqués et resserrés autour de ma pauvre carcasse, il souleva ses doigts. D’abord, je restai accroupi, tétanisé, la tête basse, les paumes toujours appuyées, bloquées contre le « marbre » sans tâche. Mais très vite, juste après, je sentis ma boîte crânienne se faire pénétrer par une espèce d’onde acoustique linéaire, extrêmement aigüe, qui me vrilla de façon tout ce qu’il y a de  désagréable. Dans la seconde qui suivit, je changeai légèrement de position. Fléchissant les coudes et les collant à leur tour par terre, je fis le gros dos tandis que, de leur côté, mes deux genoux s’abaissaient et tombaient au contact de la surface lisse et froide. Toujours serré dans l’étau de l’onde sonore, mon crâne ne tarda guère, lui aussi, à plonger en avant et à toucher, du front, la dureté du sol.

Toute pensée, toute conscience de ce que j’étais en train d’accomplir m’avaient déserté. Je me prosternai, machinalement, ainsi que l’eut fait un automate. A un nombre de reprises dont je n’ai même pas su garder la mémoire.

 

Lorsque je m’en souvins, j’étais dehors, à nouveau à l’air libre, et j’en conçus un indéniable soulagement, qui surgit en une grande bouffée, de nature quasiment euphorique. L’acuité de l’air bleu et sec se répandait dans mes narines. Cependant, je ne tardai pas à m’apercevoir que je n’étais plus à la verticale, mais dans une position thoracique et abdominale à peu de choses près parallèle à celle du trottoir propre sur lequel j’étais en train de trottiner, à quatre pattes, jambes pliées. Un électrochoc me parcourut le cerveau, puis l’ensemble de l’épine dorsale.

Je m’arrêtai, avec brutalité ; complètement pris de cours. La panique, la pensée qu’il fallait tout de suite que je me redresse, que je recouvre ma position d’homme, se mit à me dominer, à me submerger.

Bandant désespérément mes muscles, je m’efforçai de replacer la plante de mes pieds et mes talons bien à plat, de remettre mes jambes d’aplomb et d’arracher au ciment blanc mes paumes, afin de me relever. Mais il se trouvait que mon corps se livrait à une étrange résistance, qui rendait la lutte très rude.

Ce fut durant une fraction de temps pénible autant qu’interminable que je m’escrimai, en pure perte, et cela me vida de mon énergie. J’en ressortis hors d’haleine, inondé de sueur épaisse, poisseuse…et encore, toujours à quatre pattes !

Langue pendante, je me mis alors à tourner la tête en tous les sens.

Ne fallait-il pas que je revienne sur mes pas, vers ces maudits corbeaux ? Où se trouvait la bâtisse où j’avais fait leur malencontreuse rencontre ? Quel tour m’avaient-ils joué ?

A m’en démettre les vertèbres de la nuque, à les tordre, je m’acharnai dans mon inspection ; je portai, partout où cela m’était possible, l’insigne angoisse  de mes regards. Je ne repérai ni suite de panneaux vitrés, ni quoique ce soit qui y ressemblât. Sous la lumière trop nette, trop claire, toute en abruptes géométries, je ne vis que des pâtés d’immeubles et de larges escaliers de béton que, beaucoup plus haut, dominaient les silhouettes verticales, un peu diaphanes, de hautes tours de verre où se reflétait, divisé en petits carrés, le bleu cobalt du ciel, le tout enveloppé d’une épaisseur de silence si monumentale qu’il me sembla que, jamais de ma vie, je n’avais eu l’occasion d’en « entendre » de telles.

Lorsque je tentai d’expulser un cri de terreur, ce fut une série d’aboiements qui fusa.

 

©Patricia Laranco

 

 

 

Partie 1 : http://www.francopolis.net/librairie2/LarancoPatricia-Corbeaux-1-Janv2017.html 

 

Francopolis février 2017

 

 

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Créé le 1 mars 2002

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