TERRA INCOGNITA

 

 

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Archives : Terra incognita

 

Nouvelle rubrique depuis 2019 : découverte…

 

Mai-Juin 2022

 

Anne Barbusse :  Terra (in)cognita (extraits)

 

Textes inédits

 

(*)

 

Une image contenant eau, extérieur, nature, montagne

Description générée automatiquement

Photo prise par l’auteure.

 

 

coque bleue posée sur la grève

abandonnée de mer verte

brisée de goémons et de coquillages

dépareillée d’importance

 

tandis que les myosotis affirment ta solitude congratulée

par le vide, marée basse partie si loin

qu’invisible et muette, striée de goélands

frigorifiés, alors certains promeneurs avancent masqués

 

pour que la mortalité légiférée s’affranchisse des visages

et que l’idéalité s’agrippe aux algues vérifiées par le ciel

extravagant et sondable

 

- une mer dévalisée de l’intérieur

s’octroie des mots bruns et invalides, handicapés

de nécessité rafistolée, tandis que les mouettes

 

réparent les flaques salées et engourdissent

l’avril illusoire

et que les enfants enfouissent le sable d’évidence scarifiée

 

***

 

une frange d’estran où la marée remonte, lançant

ses langues d’eau à l’assaut des sables

 

très vite monte la mer, s’étalant sans vergogne

et auréolant le sol de nappes successives et vivantes

 

tu marches sur le fond de la mer comme

en terra incognita, là l’homme s’est abstenu

 

seul le vent a bâti l’espoir, et l’homme n’a

construit aucune maison, n’a établi aucun engin

 

c’est un sol vierge offert, une exception

sillonnée de mer et de sel, plombée de vents

 

des enfants jouent avec attention, la grève

se muscle de marée montante, et tout s’accélère

 

les berniques s’agrippent au granit, les îles

s’arriment et le paysage bouge tout seul

 

tu sais que le monde change, que les marées

dessinent des hiéroglyphes dans des champs de pierres

 

ou des langues de sable, entre les flaques

clarifiées et ton incompétence humaine

 

à chaque heure mer et terre se départagent

le monde métamorphosé d’avenir, et sans toi

 

***

 

de l’île tu n’auras pas déchiffré l’alphabet intime

certains photographient le silence

alors que déconstruite tu marches sans pas

juste une douleur avançante

tu fends le vent de mer hors temps

et tâches d’ensevelir les derniers morts

 

les hommes joyeux sont inconscients comme la mer

ils montent et descendent les grèves caracolées de vent

et ils pêchent l’insolite et l’arbitraire

quand l’herbe verte sur les îles s’élève hors sel

fleurs mauves au bord du précipice, épargnées

 

ce marécage au creux des îles aux fougères

brunes, serait-ce la stagnation des remords

qui t’ont fait hurler dès la naissance involontaire

ou la complète indifférence de la matière

 

parmi les granits, déglutis par la mer et verticaux

sans yeux, basculés dans les vides défaits

et fonctionnels, sanctionnés par le sable dégrisé

quand tu arpentes ta conscience ficelée de vent

déliée à peine, abandonnique et déplacée

 

puis la mer monte, les goémons s’allongent

et le sel fructifie dans les flaques, plus vivant

que le visage du vent aseptisé

 

***

 

La glycine perdure, contre vents et marées.

La maternité est une plénitude très provisoire.

Les algues se laissent porter par les eaux flagrantes, ne choisissent ni chemin ni destin.

Lors des grandes marées, derrière l’île d’Illiec, les blocs de pierres forment chaos cyclopéen.

Puis des ormeaux s’enfouissent dans les failles.

Alors les étoiles de mer, tordues et orangées, impassibles, ne nous regardent pas.

Recroquevillées, leur cinq branches racornies, comme mortes, n’était la couleur.

Leurs yeux s’additionnent sur les spectacles brassés par les mers.

Elles amplifient la lumière, tournent le dos à l’horreur, s’arriment au granit.

Puis se laissent tomber dans les flaques.

Les goélands s’apprêtent à pleuvoir.

On ne pêche toujours que son désespoir lent.

 

***

 

ta conscience est ta douleur

puis la mer tente de laver la pollution résultant de tes actes humains et capitalisés

 

le mois de mai est une tâche élémentaire

une gageure allégée des fleurs vécues

 

la marée te déstabilise

puis la terre tâche de rééquilibrer les désastres

 

après les galets des grèves, entre sel et exploration

des champs, après la marche centripète

et les oiseaux sans noms, et le lichen

 

la mer relie terre et ciel de frigidité transitoire

 

***

 

l’humain traverse les paysages des sables

tandis que la mer roule ses goémons déracinés

avant l’automne de la conscience

 

les hommes boivent pour s’abstraire

de la terre dissociée

 

et les vents tordent les arbres défigurés d’intransigeance

 

© Anne Barbusse

 

 

(*)

Une image contenant extérieur, personne

Description générée automatiquement

Anne Barbusse est née le 16 décembre 1969 à Clermont-Ferrand. Elle se présente (sur le site de la revue en ligne Recours au poème, 5 janvier 2021) :

« L’écriture a toujours fait partie de ma vie. A 17 ans, je monte à Paris pour mes études de lettres. Après une agrégation de lettres classiques, j’enseigne quelques années la littérature latine à l’Université Paris VIII. Je quitte Paris pour un tout petit village du Gard, où je suis installée depuis 20 ans, entre Cèze et Ardèche, pour vivre plus en accord avec mes convictions écologiques. J’enseigne depuis une dizaine d’années le français langue étrangère aux adolescents migrants. En 2012, par passion, pour apprendre le grec moderne, je reprends mes études à distance à l’université Paul Valéry de Montpellier, jusqu’à un master traduction en littérature grecque moderne en 2017, où j’ai traduit, en pleine crise grecque, l’œuvre inconnue en France de Takis Kalonaros (Du bonheur d’être grec, Athènes, éditions Euclide, 1975, réponse à Du malheur d’être grec de Nikos Dimou, traduit en France en 2012 aux éditions Payot). Takis est le père du Petros, rencontré en 2010, à qui j’ai dédié le recueil À Petros, crise grecque, qui sera publié chez Bruno Guattari éditeur en 2022. J’ai publié quelques textes dans la revue Phréatique dans les années 90, et dans la revue Arpa en 1997 et en 2006. »

Nous pouvons rajouter, pour faire plus ample connaissance avec cette poétesse à l’écriture intensive, ses publications dans des revues numériques (Recours au poème, Terre à ciel, Sitaudis, Le capital des mots, Margelles, Lichen, remue.net, FPM, Incertain regard, La lettre sous le bruit, Région centrale, Poetisthme, Le Soc, Fragile) et dans des revues papier (Arpa, Les hommes sans épaules, Ouste, Décharge, Poésie-Première, La revue des Archers, Filigranes, Mot à maux, L'air de rien, L'intranquille, Comme en poésie, Traction-Brabant, Cabaret, Nouveaux délits, Haies vives, Contre-allées, Teste, Osiris, WAM!).

Ses recueils témoignent d’expériences vécues, transformées, retournées par l’écriture, qui guérit sans refouler et soigne sans complaisance. Un régal, pour le lecteur empathique, de s’y plonger !

Les quatre murs le seau le litéditions Encres vives (collection Encres Blanches, n° 804), décembre 2020.

Moi la dormante : Journal psychiatrique, éditions Unicité, septembre 2021 (chronique dans Terre à ciel par Cécile Guivarch, février 2022).

Les accouchantes nues. Journal psychiatrique, éditions Unicité, juin 2022.

(D.S.)

 


 Anne Barbusse

Recherche Dana Shishmanian

Mai-juin 2022

 

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