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Nouvelle rubrique depuis 2019 : découverte…

 

Septembre-octobre 2023

 

 Arnaud Rivière Kéraval

 

Entretien et poèmes extraits du recueil Les paysages ambulants

 

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ENTRETIEN

 

(10-17 septembre 2023)

 

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Arnaud Rivière Kéraval, vous écrivez dans l’un de de vos poèmes : « Je suis mon hôte / je suis mon passager ». Qu’entendez-vous par là ? Cela nous dit-il quelque chose sur votre démarche de poète ? Qui êtes-vous, au fond ?

 

Dans ce poème, je fais état de notre condition d’être humain, à savoir que nous sommes un corps doté d’un esprit :  je suis le passager de mon corps, je suis l’hôte de mon esprit. Les deux entités inextricables nous permettant de traverser la vie. C’est un thème récurrent dans ma poésie qui essaie, peut-être vainement, de concilier le corps et sa sensualité attenante avec l’âme et ses tergiversations inhérentes. Je suis donc cet être vivant doué de raison et de langage qui tente humblement par ses mots d’exprimer cette dualité qui résonne chez tout un chacun. 

 

Esprit-univers, corps-navire, vous cherchez par vos mots à habiter le monde, n’est-ce pas ? On sent dans vos poèmes la quête d’une plénitude, à la fois charnelle et spirituelle. Vous avez beaucoup voyagé, beaucoup rencontré et perdu (« Tant de rencontres éphémères dans le mouvement du désir »). Quel rôle tient le voyage dans la genèse de votre poésie ?

 

Les mots m’aident en effet à trouver une identité dans ce monde. Mais plus que de l’habiter, il s’agirait de le sillonner avec encore cette notion de passager. D’où le voyage qui est primordial et moteur dans ma poésie. Les voyages furent d’abord intérieurs avec une part d’écriture automatique laissant les mots me sonder, apprivoiser ce que je n’osais divulguer. Puis je suis vraiment parti me confronter à l’ailleurs. J’ai vécu plusieurs années en Inde et au Népal, là où l’absence de repères culturels communs entraîne un vertige ébranlant, questionnant notre identité. Ce long séjour m’a permis de dépasser l’exotisme et l’ethnocentrisme, l’ailleurs est devenu quotidien, intime, il s’est insinué en moi comme par capillarité. Ma poésie est imprégnée de cette expérience, qu'elle envisage non comme une transmutation mais plutôt comme une continuité. Avec bien sûr son lot de rencontres, rencontre de l’autre pluriel et de sa dissemblance qui finit par devenir vôtre.

 

M’a frappée dans vos poèmes ce que j’ai ressenti comme l’expression omniprésente d’un rapport amoureux au monde. Est-ce que je me trompe ? Diriez-vous que vous écrivez par amour ?

 

Depuis mes études universitaires en biologie, je ne peux me défaire de l’idée que nous réagissons constamment, comme tous les êtres vivants, à des stimuli du monde environnant. Ce rapport sensitif et charnel au monde et tout ce qu’il implique – la nature et ses êtres l’habitant – doit transparaître dans mon écriture, comme vous le soulignez à juste titre, à l’image de la littérature japonaise qui m’a beaucoup marqué. Cette approche sensorielle provoque indubitablement le désir qui lui-même induit l’amour. Avec cette capacité d’émerveillement que le poète se doit de cultiver, comme si le regard qu’il portait sur le monde était à tout moment une éternelle « première fois ».  Alors oui l’amour est sans doute l’amorce instinctive de mes poèmes dans cette quête de vouloir englober, incarner le monde et d’en faire partie définitivement.

 

Votre poésie, avec sa grande richesse lexicale, et ses images ciselées, flamboyantes de vie et de lumière, rayonne d’une beauté hiératique qui traduit parfaitement, je trouve, cet émerveillement « premier », je dirais « créateur ». Beauté d’un temple, d’un jardin, d’un corps… Quel est votre rapport à la beauté, si centrale justement chez un Kawabata ou un Mishima ?

 

Merci déjà pour l’appréciation enthousiaste de ma poésie car je ne sais jamais comment elle sera perçue ni à quel point le lecteur pourra se l’approprier. Elle reflète souvent il est vrai le flâneur esthète que je peux être. La beauté me bouscule, la beauté me transperce lorsque je la rencontre inopinément. Et elle est d’autant plus troublante et touchante si je la déniche là où d’autres auraient passé leur chemin. Devant elle on peut s’oublier, sortir de nos existences, notre être n’est plus qu’un regard, à l’instar du personnage de Kawabata contemplant  les belles endormies. Elle nous donne un instant l’illusion de vivre d’autres vies, on peut les rêver, divaguer jusqu’à entretenir un utopique champ des possibles bravant le temps qui passe. Elle passe d’abord par les sens et l’émotion avant de gagner l’intellect. C’est avec cette approche épidermique d’ailleurs que j’envisage la poésie.

 

Et c’est bien ce que l’on ressent à la lecture de vos textes. Arnaud Rivière Kéraval, vous n’êtes venu à la publication de vos poèmes que relativement tard dans votre vie, si je ne me trompe pas. Pourquoi ce long temps de gestation ? Qu’est-ce qui vous a retenu, ou empêché ?

 

Effectivement la gestation avant la diffusion de mes poèmes fut interminable. Pendant longtemps j’étais peu enclin à la publication, ne sachant surmonter les affres de voir mes textes figés comme dans le marbre. Car j’ai la fâcheuse habitude de les laisser maturer avant de les retravailler jusqu’à plus soif. Je les présentais de temps à autre à mon cercle d’amis mais n'étant pas sûr aussi de la valeur littéraire de mes écrits, je n’allais guère plus loin. C’est sous l’impulsion récente d’un ami comédien que j’ai franchi le cap en les proposant à diverses revues poétiques et je dois dire que tout s’est accéléré avec la rencontre de Jean-Jacques Brouard et Miguel Angel Real du blog de poésie Oupoli. J’ai rejoint leur comité de lecture et s'est nouée une forte amitié poétique qui m’a permis de gagner en confiance. Depuis j’ai été publié dans plusieurs revues jusqu’à la parution de mon recueil « Les Paysages ambulants » aux éditions Ballade à la Lune.

 

Revenons un instant sur ce moteur de votre poésie qu’est le voyage, et cette quête « épidermique » de la beauté qui en constitue la finalité. Tenir un journal poétique, quand on voyage, n’est-ce pas se donner d’autres yeux pour « dénicher » la beauté (l’écriture dans ce cas comme consubstantielle au voyage, voyage dans le voyage qui le modifie et le magnifie) ? Quel rôle tient pour vous la poésie dans le voyage, si du moins vous lui en prêtez un ? Pourriez-vous voyager sans écrire ?

 

Pour ma part tout va dépendre du voyage et de sa foison d’émotions et de rencontres. Il est des voyages où l’instant vécu est de toute évidence poétique en lui-même, les mots viennent presque simultanément pour le magnifier, le poème déroule son flot avec flagrance. C’est le cas par exemple du texte « La ville ». Et d’autres voyages sont tellement forts et intenses que l’introspection de l’écriture ne saurait en interrompre le rythme. Elle sera alors différée mais les yeux alertes qui décryptent le monde sous le prisme de la poésie et de la beauté sont déjà là, omniprésents. Ce seront des flashs, des bribes de mots collectées ici et là, véritable matière brute, qui seront la base d’un travail poétique ultérieur. De retour de voyage l’écriture prendra véritablement sa place avec un temps nécessaire d’assimilation (quelquefois plusieurs mois) pour retranscrire ces impressions poétiques contrastées. Ce sera donc un nouveau voyage après le voyage. Enfin il y a d’autres voyages, heureusement peu nombreux, où rien ne se passe, rien ne se crée. Il vaut mieux ne pas s’y attarder.

 

Le désir d’écrire est-il né chez vous de l’expérience du voyage, dont on comprend qu’il a façonné pour une grande part votre univers poétique, ou bien vous vient-il de plus loin ? Comment êtes-vous venu à la pratique de l’écriture ? Quels sont les auteurs, poètes ou romanciers, qui vous ont accompagné dans cette voie ?

 

L’écriture est venue bien avant les voyages. Elle s’est imposée à moi dans ma jeunesse comme un nécessaire et salutaire besoin d’exprimer à l’époque une passion platonique, obsessionnelle, esthétique qui m’a envahi sans que je ne comprenne vraiment ce qui m’arrivait, elle m’a plongé dans un tourbillon des sens auquel je n’étais pas préparé. Le poème du Mouvement fait état de cet épisode agité. Elle est arrivée aussi avec la découverte concomitante de la poésie de René Char qui m’a ouvert les champs de la prose poétique. S’en est suivie la poésie d’Artaud, Cendrars et plus récemment Cavafis et Sénac. Du côté des romans, Mishima bien sûr, Tanizaki, Pasolini, Rushdie, Yourcenar, Boulgakov ont jalonné ma vie d’écriture, ils ont été aussi des repères dans les différentes périodes que j’ai pu traverser et mes voyages.

 

Nous arrivons au terme de cet entretien. Votre poésie est pour moi une poésie de l’instant, de l’accession à la plénitude de l’instant, saisie dans toute la complexité des liens entremêlés (pensées, émotions, sensations…) vous unissant au monde qui vous entoure. Peut-être, à l’instant jubilatoire où la beauté tant recherchée vous est dévoilée, magnifiée par les mots, vous révélez-vous à vous-même, vous mettez-vous vraiment à exister en homme libre. En guise de conclusion, diriez-vous avec Blaise Cendrars, cet autre poète-voyageur que vous venez de citer : « Le seul fait d’exister est un véritable bonheur » ?

 

Je suis touché par le fait que vous ayez si bien réussi à cerner et décrypter l’essence-même de ma poésie. Je pourrais faire mienne la devise de Blaise Cendrars même si je ne réutiliserais pas forcément le terme de bonheur qui est assez galvaudé à notre époque, avec tout ce pullulement d’ouvrages de développement personnel et autres modes d’emploi de bien-être, ce que la poésie ne peut et ne doit pas être car elle va bien au-delà. Je m’attarderais plus sur la notion de la liberté que vous soulevez. Nous ne devons jamais perdre l’idée que nous demeurerons toujours libres, libres de penser, quelles que soient nos contraintes matérielles ou sociétales. Le seul fait d’exister nous fait prendre conscience à tout instant de notre liberté et de ne jamais l’oublier, quitte à payer le prix du vertige et de ses angoisses intrinsèques. Et quoi de mieux que la poésie pour la cultiver ?

 

(*)

 

 

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POÈMES

 

 

LE MOUVEMENT

     

      Etienne, le sang justifie les distances anoblies, il court le long des jetées. Lui appartient le temps de l’arc sauvage, les yeux timides demandent l’ouverture et la découverte, tenues dans les spasmes du présent.

      Souffle étrange, pose enfin les nombrils masqués sous le flot des paysages qui défilent. Épaules la vie s’arrête sur le geste latent. Non, le geste s’accomplit, la candeur éprouvée tombe, les traits dessinent les fuseaux, le mouvement joue le corps affranchi. De nobles voies lobées encerclent la frontière dermique, le filet signe la peau miroir qui se courbe.

      Vue tentée, l’instant exulte, les tables terrifiantes s’éloignent, le plan chassé joue l’invisible. Reste l’éclair du corps superbe, le mouvement trempe la beauté maintenant. Le sang la tête l’étreignent, suivre la mort n’aura pas lieu.

 

     

CAMOPI

 

    « Dieu escalade, orientons les Indiens. Respirent encore les poumons ecclésiastiques. Quand l’homme sans père s’est défait des actuelles contrefaçons. Dieu est parti chercher l’aube ailleurs, suivons-le ». Ah ! le missionnaire arriviste et les poussières, quelle déroute pratique !

    …Liberté crie de toutes ses voix. Écho volatile. Les feuilles puissantes répondent au sursaut animal. Noir de mer et vert de peau. Oyapock forêt, Oyapock ville, Hommes rouges aux gestes circulaires repeignent le temps. Humide la coupe, le galbe, la sueur chaude. Siffle écorce malléable, matrice de rang d’arbres éclos. L’arbre traverse les regards parcellaires, lumière la vie mérite la saison, la terre le vert. Existe Émérillon et le soleil, une calebasse, un enfant de cachiri.

   

   

JOUER !

 

    Il joue le théâtre. Il rentre le théâtre. Les sens de l’espoir le montrent Macbeth. Il est le Maître encore jeune enjoué. Le bras torse nu suit les respirations, l’œil les virgules de l’impression. Le Roi semble honnête, et alors ? On recommence.

 

    Les lignes du corps la terre fuir vers la rivière. Une fontaine bleue attend les soupirs défendus ; un personnage adossé scrute les lumières orgueilleuses, il pleure le monde enfoui, de la vallée il arrête les mots tristes et le cri(e).

 

L’eau limpide enveloppe son aura caverneuse

 

Une femme s’approche, le couteau

les mains tendues, elle lance la destinée, elle touche le calice

de l’instant, les couleurs de la scène végétale cendre

frôlent la fontaine ne s’écoule plus. La victoire est finie

             Comédiens, sève jaillissante, levez-vous, l’espoir suffit.

 

 

ENDYMION NUTANS

 

      Antre des calices, le miel saccage les foules de l’âtre. Il ne tue pas, il fouille les silences absents, les grains du temps évanescent.  Grès de charme belliqueux, décollement, frottement. Descendre vers la pente imberbe jusqu’aux piqûres chevaleresques et la stèle idolâtre. Tant de silhouettes anéanties dans les ports de l’âme. Tant de rencontres éphémères dans le mouvement du désir. Tous ces corps formant l’édifice qui repoussera les lances du vagabond méandre.

      Toi tu longes ma peau, ce jardin falsifié. Tu sauves les écueils de la pierre solitaire. Affranchis les étangs silencieux. Pourtant d’interstices en vent de cathédrale, tu échoues la spectaculaire missive, personne ne m’arrêtera le temps fluide.

 

 

LE JARDIN

 

Cette nuit ne pas s’enfermer

Le vent dans les arbres brigue les sentes de l’espoir

le mur du parc est envahi d’ombres déferlantes

qui se poursuivent dans le flot des remparts

l’herbe des faubourgs

courent s’éblouir les saveurs humaines

Danse de carnaval, couleurs écrasées

les pigments tendres le soir et les rencontres emmêlées

 

Ami de passage et lanterne

le bruissement des feuilles sculpte notre nuit

aux caresses des amants vacillent les essences endormies

Le contact de ta peau irise mes souvenirs

l’envie renaît toujours et se courbe

apprivoiser ton souffle et demain revenir

 

 

L’APPARITION

 

Le temps de vivre court un esprit ravageur

la plage, une ville reconstituée

l’élite se confond devant la beauté de l’apparition

Il vient ? il vient

l’eau sur lui réveille les limbes des alentours

le torse brun déployant le ferme épiderme

comme autant de filets abondants

le lungi noué autour des hanches

que dessine l’ondoiement du remous

il avancera toujours dans la chaleur de l’aube 

La plage lui offre une écorce de sable

et m’emporte

la mer affranchit la chair, l’eau trouble désir

je ne pense plus aux coquillages

Au-delà les parfums mélangés

 

 

LES MENSONGES

 

Gare de Bombay

les trains lumières affluent

dans le temple métallique

Les voyageurs descendent les marches

et parcourent des arabesques insensées

La parade de l’opulence et de la réussite

livre joutes merveilles et mondes caciques

Quand les jeux de chances croisent des vents contraires

Krishna est là, en face du quai,

il scrute les mensonges de la destinée

 

Bientôt le train le délivrera de cet inventaire

quitte la ville et ses gorges l’indiffèrent

un long trajet au crépuscule

Derrière la vitre les villages

pointent leurs petites lumières

suivent encore l’onde du temps et de la terre

Un sentier mal éclairé, une odeur de riz

cheminent les traverses

parcelles d’eau où se mirent

les plis lancinants de la voûte

Le regard de Krishna s’ouvrira

téméraire.

 

LE FLAMBOYANT

 

Près de la mangrove, j’entends déjà la mer

ses rivages persiflent mon orgueil

les embruns sont de courtes valences

qui me piquent la chair

je franchis leurs noyaux

indemne de toute issue

Elles abondent alors en massues

ce sont des familles entières qui me transpercent

et dévoilent leur alibi :

« la Procréation, modèle social

doit effacer les intrigues du monde »

même les muses s’habituent

elles m’inventent des vocations de père ou de mari,

 

Mais les souvenirs taraudent l’esprit

ils parsèment le doute, inversent mes nuits

Mille cerfs-volants au-dessus de Varanasi

et revoilà Etienne, Johan et les autres

amours de lunes incomprises

maintenant je vous suis,

 

Courir, voir, voler

s’entourer de toutes les flammes

ma nouvelle ville respire de milliers d’âmes

la végétation au réveil s’amplifie

Dans la cohue de la lumière

se déverse la ramure d’un flamboyant

irriguant les rues, les ruelles

et plus loin mes envies.

 

 

SUR LE CHEMIN DU TEMPLE

 

Que feras-tu de mon désir

Grand escamoteur

quand la lune aura couché nos corps

sur le chemin descendant ?

 

La fumée des morts s’élève des bûchers de crémation

quelques cendres viennent jouer sur ma peau

Un linceul orange recouvre un corps froid

les pieds gris dépassent comme un dernier affront à la vie qui l’entoure

Des enfants mi- nus jouent dans l’eau

ils s’amusent à ramasser les pièces jetées du haut du temple par les dévots

Les singes espiègles se promènent de toit en toit

ils traversent la rivière et volent des bananes aux pèlerins

De faux sâdhus aguichent les touristes

les gurus se font ici concurrence

plusieurs guides essaient d’interrompre ma quiétude

 

Au bord du ghât, un vieil homme en dhoti fait ses ablutions

Une femme noircie par la crasse, édentée

apostrophe les passants

elle se recroqueville, mue par le silence

reprend ses invectives et éclate de rire

 

Neuf lingams me font maintenant face

je psalmodie quelques mots comme d’ordinaire je les bredouille

les lingams s’éveillent à l’écho de mes appels

je sens leurs forces qui approuvent mes choix

ils s’imprègnent de ma soif

Devant eux les nandis veillent

ils attendent un accomplissement

Mes tempes se réchauffent

quand, à la nuit tombante, un chœur

illumine le toit doré du temple

 

Que feras-tu de mon désir

Grand escamoteur

quand la lune aura couché nos corps

sur le chemin descendant ?

 

 

ONANISME

 

Quand le cercle de l’abstinence frôle les jambes du renonçant

quand la mante religieuse évoque le passé de l’ascète chantant

onanisme

quand la pierre des lingams reflète les épanchements des devadesis

Et plus loin, onanisme de la rue

Les saveurs humaines filent d’entre les échoppes

qu’importent les soupirs vendeurs d’amulettes

le marché tapageur, les pavés grouillants

sous les dieux immobiles

Je place les totems de la joie

sur un piédestal orgueilleux

je mets les embuscades au service

des passions échappées

attèlent le fil de mes aspirations nocturnes

La musique des corps, les hommes rouges

je m’amuse à les encercler

 

 

(DE L’ISOLEMENT DES MONDES)

 

Le soleil envoûte les lueurs d’une faune endormie

se réveillera dans l’obscurité d’une cave aventure

d’où musiques virevoltent, en alvéoles s’étirent

comme la folie débusquée agite la toile des tambours

Rythmes caduques, ventres impatients de se toucher

de l’isolement des mondes

je déploie les forces de la renommée

faufilant silhouettes et parures

À la dérobée toujours se peignent nos désirs

de l’isolement des mondes

je continuerai le vertige cheminement d’un visage

qui me mène, me poursuit dans le froid d’une chambre vide

Vide sous l’écorce des soupirs et tout est à remodeler

de l’isolement des mondes

les vitres se sont fendues

la maison en fuite n’a conquis ni le diamètre ni l’opposé

Ouverture placide et manque de faillir

je retournerai dans la cave monstre, la faune hypocrite

la sueur, les fumées, de ces temps décharnés

me soûleront encore

 

 

LA VILLE

 

D’élucubrations aériennes en emphases garudesques

les âges s’invectivent, les gratte-ciels se défient

aucune allégorie, aucune extase ici

Je jette mon dévolu sur une lumière

un flux débonnaire dans la rue

qui me résiste, qui m’attire

Malgré le fil dédale, je reste ardent

s’enfuient les âpretés comme les faux-semblants

sur le bitume nu mes pérégrinations

Je te vois en face, je traverse, convaincu

que le monde et les astres demain encore s’illumineront

les néons, les feux, les chimères

idolâtrent le présent, insultent leur vécu

Tu me souris le long des artères

et nous prîmes d’assaut la ville est mon royaume déchu

 

 

CÉLESTE

 

Aussi loin que le hasard les soirs

de débandade les astres diffusent

hagards leur jolie sérénade

un air une brise éphémère entre moi et

la voûte croise le fer avec les palmes

libres parmi toutes

Dans le néant de la sphère les sentinelles

funambules se parent de merveilles

plus belles encore dans la lutte

Attachés aux soleils les spasmes

des volutes volent en éclats de verre

trahissent les particules

Au passage des météores

le vide s’accélère dévisage l’abîme

fort de mon envie de lumière 

 

 

JE SUIS MON HÔTE

 

Je suis mon hôte

je suis mon passager

le garçon sur la digue

surplombant les années

traversant les terrasses

inondées d’apparences

les pas le chemin les traces

enluminent les planches

comme les stries sur

les angles de la roche

dans la bruine des falaises

le brouillard en accéléré

 

je suis mon hôte

je suis mon passager

le regard dans les cimes

viennent s’ébrouer

les voiles de la vertu

laissent le vent

aux myriades du passé

la villa Beauséjour la corniche

dans l’intervalle des dunes

l’estuaire triomphant

 

je suis mon hôte

je suis mon passager

de fenêtres en escapades

les arcs défilent

vierges de tout serment

profitent à la nuit

du lendemain avide

qui nous surprend

 

 

DÉPART

 

Espace fugue les délaissés de la terre

dans le froid les flaques de la cité

aux frontières verticales

paradent sous le rose des pavés

où les feuilles le désert

par-delà les vitres

cultivent la déveine

force l’envie brutalise les départs

avec en bandoulière

le sacrifice de l’ankylose

remettre à demain le passé

Au loin au loin d’autres frontières

se dévoilent comme l’orage au  premier bas-fond

mais nous les occultons

portant l’orgueil des ventres sourds

nous partirons quand même

allègre imaginaire

enfreindre leur désespoir

 

 

ISTANBUL ARTAUD

 

Point de départ le harem et le palais         

voraces du temps de l'autre empire       

coupoles et arches se livrent

à coup de bacchanales mosaïques

Maintenant c’est la foule des visages du grand bazar           

d'humeur à m'étourdir les signes

qu’agrippent tentures et épices

M'extirper           

descendre la rue tout droit jusqu'à la Corne d'Or         

enjamber les poissons du Bosphore répondant par vagues à mon élan          

comme les mouettes au muezzin dans les hauteurs des minarets

De là remonter le sillon foisonnant vers Taksim           

je retrouve la foule pusillanime qui m’affole

avant d’englober son tourbillon           

urgence de l’esquive par la contre-allée

Passer la porte d'une échoppe      

refuge de verre entre étoffes italiennes       

et en guise d’offrande           

la main noire dans les oreilles qui apaise mes remparts

Les frontières se diluent à l’abri du hasard           

quand Altu? inattendu me parle d'Antonin Artaud            

ses mains, son sourire, sa voix croquent mes atermoiements           

Altu? le magnifique    

rhapsode byzantin sur le chemin des mots que j’écouterai des heures.

 

©Arnaud Rivière Kéraval

 

 

(*)

 

Une image contenant Visage humain, personne, homme, Barbe humaine

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Arnaud Rivière Kéraval est né en 1972. Originaire de Bretagne, il a vécu plusieurs années en Inde et au Népal. Au fil de ses pérégrinations et rencontres, il a toujours écrit des poèmes mais ce n’est que récemment qu’il s’est décidé à les publier, recevant des échos positifs. Il est membre depuis 2022 du comité de lecture du blog poétique Oupoli.fr.

Parution

Recueil Les Paysages ambulants, éditions Ballade à la Lune, 2023

Ouvrages collectifs

Recueil 1001 plumes, SéLa prod éditions, 2022

Recueil Frontières, Maison de la Poésie de la Corse, 2023

Publication dans les revues

Chroniques du çà et là, Lichen, A l'Index, La Vie Multiple, Bleu d’encre, La page blanche, Arpa, OuPoLi, Prop(r)ose Magazine

 

 

 

Arnaud Rivière Kéraval

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