TERRA INCOGNITA

 

 

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Archives : Terra incognita

 

Nouvelle rubrique depuis 2019 : découverte…

 

Mai-juin 2023

 

Domi Bergougnoux :

 

« apprendre à voler sur les mots »

 

Textes extraits de ses derniers recueils

et quelques inédits

 

(*)

 

Maria Desmée, série Éclosions (n° 5), 2022

(reproduit avec l’aimable autorisation de l’artiste)

 

 

À TOUT CE QUI LACÈRE

Éditions Le Coudrier, 2022

 

L’heure bleue

 

À l’heure bleue

une vague se lève

là-bas

 

Je la vois comme une faille

comme un creux

 

Il y a des femmes qui s’échinent

à préserver les mots à hauteur d’enfants

avant le déclin du jour essoré

 

Sœurs d’âme aux secrets acides

elles semblent nager à l’envers des vers

elles révèlent avec une force lumineuse

le dit de l’indicible

 

Le ciel est à elles

quand tout s’effondre

là où nous dansions


 

 

Au secours des oiseaux

 

Le vent tourne

ici est l'ailleurs

j’ai perdu l’air et la chanson

au milieu coule un maigre ru de mots

 

Je voulais que le poème soit fait d’éclats

de bric et de broc

de lumières lovées

de folies de porcelaine

qu’il exhibe sa parure de verre

au ras des miasmes

qu’il soit un voyage ébloui vers la nuit

l’envolée d’une voix au secours des oiseaux

 

 

L’entaille

 

La chair du ciel se déchire

blessure à vif derrière le gris

et dans mon cœur

l'entaille aveuglante

de la lumière

 

 

Bercer

 

Mon corps est plein de larmes

qui ont perdu leur sel

et jusqu'au souvenir

de leur course marine

 

Ma bouche tait des cris

qui ourlent le silence

lui tissent un linceul

où s'étouffe l'écho

 

Mes mains bercent l'enfant

qui pleure et qui gémit

dans ce corps bien trop grand

d'homme mal équarri

 

 

Exil

 

Posée là en transit

son enveloppe terrestre

comme inhabitée

livrée à des courants d'air

à des vents redoutables

et au bec acéré des oiseaux

 

Un corps déserté

et dedans

des superpositions de ruines en poussière

des cendres encore fumantes

un vide aveuglant

où la mort s'écarquille

une âme errante et sans repos

un contour de chair

dévoré de peurs

une forme ployée de chagrins indicibles

 

la tristesse en exil

d'un monde sans Messie

 

Une image contenant croquis, dessin, peinture, illustration

Description générée automatiquement

Peinture Renaud Allirand

 

AU BERCEAU DE NOS BRAS

Éditions Bleu d’encre, 2022

 

Le soc et le sillon

 

Je suis le soc et le sillon

je suis l'humus et la forêt

racine accrochée sous la terre

et cime qui tutoie les cieux

 

Je suis l'eau salée de mes larmes

et le feu nourri de tes cris

 

Je suis le roc et le très doux

pierre angulaire et murs porteurs

de la masse de tes chagrins

 

Je t'ai entouré d'arcs-boutants

pour que tu pousses haut et droit

j'ai soulevé à bout de mère

tes cent kilos d'angoisses brutes

 

J'ai couvé l'or de ta lumière

au berceau de mes bras

 

 

Les lisières

 

Aux abords des lisières diffuses

entre les lignes mouvantes

Là où le désert et la soif avancent

là où les glaciers reculent

là où le feu menace

là où le vent s’engouffre

 

Nous couvons la chaleur

dans nos ventres féconds

nous puisons l’eau des sources inaltérées

 

Nous brodons sur la mousse

à point d’encre et de croix

des chimères étranges

mi-végétales mi-marines

mi-ourses mi-louves

mi-madones mi-femelles

 

Nos lisières fertiles

terres d’eaux et de bois

font naître des légendes

de fées d’elfes et de faon

 

Nous veillons nuit et jour

sur ces quelques pépites

concrétions de vie brute

arrachées au néant.

 

Le noyau est amour

 

À l’unisson

 

Nous avons planté de poèmes

les terres les plus arides

Mots-guérisseurs

poussés en secret

mots de pleine nature

chantés à capella

mots d'enfant mots d'amour

berceuses mélopées

voix de tête et de gorge

arpège et contrepoint

Nos voix jumelles à l’unisson

 

Ce chant du ventre et de l'âme

qui traverse nos vies

s’écrira haut dans le ciel

 

L’antienne

 

La femme connaît par cœur

l'antienne oubliée

des amours liturgiques

l'unisson des corps désirants

le langage des caresses

les regards en ogive

tournés vers la clarté

 

Elle sait le secret du jaillissement

des fontaines et des mots

dans sa bouche étonnée

 

Elle sait accueillir

le miracle

toujours renouvelé

 

Chaque jour elle rend grâce

à la terre-mère et à sa mère en terre

à son père qui êtes aux cieux

au fils-volcan qui lui est né

aux amants voyageurs

à leur semence volatile

 

Chaque jour

elle rend grâce

à la vie

qui bat

sous la peau.

 

 

Peinture de Jean-Denis Bonan

 

 

LA CRAQUELURE

Éditions Al Manar, 2021

 

 

Déchirure

 

La nuit recule

jusqu'au fracas des étoiles

la pupille perd sa courbe lumineuse

au fond des yeux tristes

 

La lune descend dans la gorge

le cœur mangé de bosses et de heurts

va faire un trou sans fin

 

La peau se retourne comme un gant

claquements sifflements

les anges bouleversés

emportent dans leur voix

la corne de brume du vent

et le pouls de la lumière

 

Les sources sont en feu

les sirènes se noient

il pleut des sanglots de sel

 

Partout

la déchirure

 

 

Danse

 

Il a longtemps dansé

à l’emplacement exact de ses rêves

de ses pas gominés

il soulevait la grâce

ses doigts claquaient tempo

 

Mais un jour, la vestale

a mangé la lumière

exclu du cercle d’or

où les dieux s’apprivoisent

traversé de hoquets

ses sanglots ont noyé le sol

 

Désormais

l’eau lui brûle les yeux

il ne fait tournoyer

dans ses bras déserts

que le corps froid d’une bouteille

 

Le soleil s’est caché

pour pleurer tout son soûl

l’amour a roulé sous la table

dans l’odeur âcre des vomissures

et de ses jours perdus.

 

 

Colosse

 

Qui n'a vu un colosse se fissurer de cris

écraser son front lourd

contre des murs de verre

 

Qui ne l'a entendu

hurler en pleine nuit

à l'amour à la mort

prendre à partie le ciel

de son destin maudit

implorer tous les dieux

pourtant sourds à sa peine

et tomber à genoux

la bouteille à la main

Ne sait rien du désespoir

 

Ses hoquets et ses pleurs

submergent le printemps

les fleurs coupées de larmes

il compte les pétales

elle l'aimait

un peu peut-être

pas du tout

 

Tout s'écroule

Et dans le caniveau

il s'arrache le cœur

 

 

Pelures

 

Un vent de solitude lente

traverse ta nuque

 

Il n'y a plus un seul souvenir d'enfance

qui ne soit braise

dans ton cœur meurtri

 

Ta tête dérive

parmi d'obscures latitudes

callosités de tes mains

sur les parois du monde

 

L'oiseau de feu bleui qui voletait sur tes épaules

pleure

dans le bris des jours

 

Je sais tes vingt ans sans issue

au nord de la vie

 

Les mots que j'invente

petites pelures de tendresse

meurent au gré du vide

ne pouvant plus ouvrir

la chair de ton silence

 

 

Indigo

 

Pour ne pas se briser

en se jetant d’en haut

il faut apprendre à voler

sur les mots

 

Si tu as le vertige

la chute

sera irréversible

 

Pour ne pas déchirer

l'espace des oiseaux

il faut apprendre

à sculpter

l'indigo

 

 

Peinture de Jean-Denis Bonan

 

DANS LA TEMPE DU JOUR

Éditions Alcyone, 2020

 

 

Île intérieure

 

Je cisèle les mots insulaires

qui dérivent inlassablement

le long des eaux changeantes

 

Je lève l'ancre du cri

depuis les profondeurs

du silence

 

L'envol des couleurs

soulève le poids

de mon île intérieure

Le crissement des choses

vient fouiller

mon être nuageux

 

Nous délions d'invisibles voies

où les traces s'égarent

 

Peu importe si nos paroles

s'abîment en mer

dans l'indifférence

 

C'est un sanctuaire

où joue le bleu.

 

 

La phrase s'avance

 

La phrase s'avance sur la page 

à petits pas

dans la lumière des icônes

 

S'ouvre un espace

entre les mots

suspendu

 

De l'écriture, naîtra au moins

un paysage de bords perdus

d'empreintes griffées dans la neige

la beauté se tait

 

Il nous faut des ailes

et la force des oiseaux

pour les battre et voler.

 

 

En chantier

 

Dans l’esprit en chantier

assembler malgré tout

les nuages

 

Dresser le feu du vivant

au-dessus des choses

 

Inventer un jardin

une flore de l’intime

loin des hommes

et de leurs incendies

 

Y disposer en vrac

les graines et les fruits

Et regarder germer

les possibles

 

Avancer

à pas éclairés

vers l’origine et le terme

 

 

INÉDITS

 

Immersion

 

Elle s’est laissée tomber

tout droit vers l’ivresse

 

Elle a toujours rêvé

de la lente immersion

et plonge son corps nu

dans une immensité

 

Son nombril est percé

d’une lettre en diamant

ses pieds frôlent les algues

s’écorchent aux coraux

 

Il lui vient des prières

de baptême païen

sa peau si blanche luit

comme un cierge allumé

 

Les poumons gorgés d’eau

elle chante aux poissons

un cantique muet

 

 

Bleu

 

Ce bleu qui nous lie

Matière et couleur

aérien et liquide

il ouvre un horizon de mots

 

Nos sourires nagent dans l’azur

volent sous la peau des vagues

lissent la distance

 

Nous portons des légendes

déposées sur l’écume

 

Nos bouches ont mâché

le silence des algues


 

 

Marées

                                                                                                                  

Sur nos lèvres      

la mer et l’amer toujours à nous bercer

la nuit et l’ennui le miel et le ciel

la rose et la rosée le désert du désir

 

L’enfant nous enfante

l’amant nous aimante

l’attente nous arpente

le jour nous ajoure

le monde nous émonde

 

ô dis-moi toi aussi les secrets sous ta peau

conte-moi les égratignures que le sel vient creuser

à chaque marée nouvelle

vois je suis sous l’arbre bleu

dans le buisson des heures silencieuses

 

©Domi Bergougnoux


 

 

(*)

 

Actuellement orthophoniste en Ile-de-France, Domi Bergougnoux s’occupe d’enfants « empêchés » dans leur expression orale ou écrite. Chanteuse de jazz, pop-rock, lyrique, elle a « hiberné » quelques années en musique avant de revenir à la poésie. Elle écrit sur la solitude, la souffrance, elle développe un rapport sensible et métaphysique à l’univers et à la nature.

Elle se présente à nous :

« Je me souviens avoir toujours aimé la poésie au point de n’avoir rien lu d’autre jusqu’à mes seize ans. Je dévorais les classiques mais aussi les poètes du monde entier.

Dans mon panthéon poétique je peux citer Paul Éluard, Louise Labbé, Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, François Villon, Guillaume Apollinaire, Saint-John Perse, Rainer Maria Rilke, Pablo Neruda, Federico Garcia Lorca, Alain Borne… J’écris comme un artisan minutieux en travaillant les mots, les rythmes, la musicalité et les images. Chaque poème ne vient pas sous forme de jet mais comme une lente construction. En écrivant, j'ai la sensation de chanter de façon souterraine, sous la surface du silence.

J’écris depuis l’adolescence uniquement de la poésie. Après une longue interruption, à la suite de la maladie de mon fils, j’ai ressenti une nécessité vitale de m’exprimer à nouveau. volonté de montrer, de désigner.

J'essaye de sublimer la souffrance et de dire "l'innommable".... »

 

Recueils publiés :

Dans la tempe du jour, Éditions Alcyone, 2020.

Il faut apprendre à voler, livre d’artiste, peintures découpées de Jean-Denis Bonan, Editions Al Manar, 2020.

La craquelure, Éditions Al Manar, 2021.

Au berceau de nos bras (co-écrit avec Pat Ryckewaert), Éditions Bleu d’Encre, 2022

A tout ce qui lacère, Éditions Le Coudrier, 2022

 

Elle poste régulièrement des poèmes sur sa page Facebook, elle est accueillie dans des revues et blogs.  Elle a participé à plusieurs ouvrages collectifs et à des anthologies.

 

Quelques notes critiques :

« La poète nomme l'infime, le fragile, le ténu de l'existence, ce peu que le regard apprivoise ou trace ou conserve comme pépite du réel, avec ses brèves strophes qui cernent un souffle, celui de la vie, décrite ou espérée. » Philippe Leuckx sur Les Belles Phrases, 2020.

« Elle a le sens de la formule, de l’image qui précise le sentiment qu’elle traduit [« des dents serrées jusqu’à user l’émail »], et surtout la douleur originelle sans laquelle un poème ne vit pas ni n’éclaire personne. » Pierre Perrin sur Le frais regard, 2022.

 

 

 

Domi Bergougnoux 

Francopolis mai-juin 2023 

Recherche Éliette Vialle

 

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