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Archives : Terra incognita

 

Nouvelle rubrique : découverte…

Mai-Juin 2021

 

 

 

Jean Maison

 

 

Présenté par Mireille Diaz-Florian

 

Photo de Mireille Diaz-Florian

 

Présenter Jean Maison pour cette revue de Printemps, est d’une certaine façon comme ouvrir une porte secrète, celle qui, ce jour, me fait accéder à un poète mien.  Jean Maison habite en Corrèze. Ce lieu marqué par les origines paysannes de ma famille délimite un espace intime où s’inscrivent souvenirs d’enfance, paysages assurés, langue sonore. Est-ce à dire que la poésie de Jean Maison se définit par ce territoire au risque d’être taxée de régionaliste ?  

Tout au contraire, Jean Maison assume pleinement dans son écriture l’exigence de la langue poétique : « À l’extrême éternité de la page/ pour la gloire d’un seul mot ». Si le texte laisse toute sa place à la puissance de la nature, évoque parfois les travaux et les jours, c’est pour aller « Vers la voilure de la beauté ». 

On pénètre lentement dans ces poèmes. Avec une sorte de retenue pour laisser venir le sens à fleur de lignes. On s’arrête. Il y faut le silence qui fera surgir des traces encore informulées de lointaine mémoire. La lecture de chaque texte nécessite une approche ajustée à leur densité. C’est à ce prix que l’on entre.   

 

Jean Maison est poète et herboriste. Né à Paris, il a rejoint dès 1976 St Augustin en Corrèze où il est devenu producteur-cueilleur de plantes aromatiques et médicinales. Marqué par Chateaubriand, Cendrars, Reverdy, il a noué amitié avec René Char. Il a publié divers recueils dont : Géométrie de l’Invisible (Atelier de l’Agneau, 2002), Consolamentum (Farrago/Léo Scheer, 2004), Hommage à Jean Grosjean (NRF Gallimard, 2007), Le premier jour de la semaine (Ad Solem, 2010), Presque l’oubli (Ad Solem, 2015), A-Eden (Ad Solem, 2018 : voir sa page d’auteur chez cet éditeur).

Je présente ici des extraits de deux recueils, Le boulier cosmique (Ad Solem, 2013) et Araire (Rougerie, 2009), et le poème Cupra Marittima (Citadelle, 2019) écrit dans la nuit du 21 Mars 2018, où « tiré du sommeil par le rêve éveillé à la recherche de papier et d’un crayon », il est confronté à « l’évidence de partager ce poème » tel qu’il lui a été « donné » sans y apporter au matin la moindre correction.

Deux liens proposés :

le site de son entreprise : https://www.comptoirdherboristerie.com/

une vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=W-YvcIdrdlc

 

©Mireille Diaz-Florian

 

LE BOULIER COSMIQUE

(Ad Solem, 2013)

 

 

Il fallut quitter la bonne maison et sortir aux heures les plus matinales, pressé par le vertige de l’or, le corps sabré de vertus, de promesses non tenues, de désordres. Il était temps d’arracher les victoires à leurs béances crédules et de risquer tout parmi les vivants. La préhistoire pouvait enfin approcher dans sa beauté première, avec ses cromlechs, ses vasques douloureuses, ses martyrs aux yeux désaxés, ses épuisantes sablières. La lumière trouverait chacun à sa place, avant de reprendre l’ordre de la vie.

Je partis le soir même pour le Nouveau Monde.

p. 7

 

 

Ô fleuve ! Regarde la masse du rauquement des chairs contre les brise-lames. Regarde ! Je flotte dans la nuit décisive, la remontée des abîmes. J’ai projeté vers toi l’élan mélancolique, effondrant les barges, les bras couverts de sable et de varech. Dans la friche des grands viaducs abandonnée aux airs, j’écume la charge neuve des eaux multicolores et la chance de ta source élevée. L’injonction des doubles garde la masse des jonquilles, ce coteau tremblant vers où la variante beauté des herbages couvre tous les degrés du temps.

P. 11

 Philadelphie

 

 

Une mitraille de petites lumières éclate sur l’âme des talus. Le brouillard rapide des visages se rassemble à l’injonction des racines. Le vent aborde la ville dans une élévation furtive et imprime la fragrance des tilleuls.

L’épargne de nos corps apparaît à la fenêtre du matin, portant le fil de l’aube sous sa chemise. Il reste une prouesse, l’essence de la beauté, la parenté des signes, vos pas à ma porte.

P. 27

 

 

En réponse aux pontons aveugles, je demeure attentif au carreau de faïence bleue que respire la mer. Les comptoirs éclairés s’essoufflent dans l’âtre, tranchent la sècheresse amère, la coutume du voyage. Nous imposons des routes, groupant sous l’asphalte le prodige des coquillages et des oiseaux fossiles. L’arc nu charge d’embruns la cime des nordmanns.

P. 28

Le pavillon des fêtes

 

 

Que regardons-nous ? Notre bienveillance est chargée de crainte, de tolérance impossible et de résignation. Recevoir l’ignorance et ses manifestations comme un aboutissement ? Voilà dans la sarabande des chapeaux de paille, des fontaines, de quelques plantes devenues aquatiques et ce permafrost impavide. Mais ailleurs, comment s’acquitter de certaines sueurs et de leurs peaux, de la mystérieuse présence d’un fanal dans les cieux ?

P. 33

 

 

Inutile de dépouiller la grève. L’avenue gronde de figurines électriques, de passants mal croisés. Les arbres d’effondrent dans l’obscurité ; les yeux s’épuisent dans le ciel vide.  De ce dimanche où les pétales s’évaporent des prés, il ne reste qu’une pâleur dont le lien se tend à la candeur des mains. Près du parc, Jehanne côtoie les équipages, les voitures, les autobus, les chariots dressés pour le départ. Des cheminots éprouvent la grande fresque végétale. Les plaines alluviales recouvrent les ruines, les gravures interdites des Indiens, les manufactures, les paquebots, les caravelles échouées. La petite boîte de neige éternelle éclaire les Appalaches et vous protestez de l’innocence perdue. Les magasins aux krafts sobres consomment leur sacherie, près des pompes à eau et des citernes de sachems.

P.39

L’ardent vertige du sable

 

 

L’avant garde du poème ne recense pas les lieux qui nous retiennent, elle conduit la recherche du cheval de bois, afin d’en observer la crinière.

Les hasards semeurs d’éternité n’ont pas d’âge ; ils regorgent de propagandes er de douleurs sonores, pour livrer ces vitrines aux frelons et compléter le malentendu venu du corps. D’autres vont suivre devant ces parterres éclairés de lumignons, cette âcre fumée plongeant vers la rue. Il fallut ce jour-là un affreux courage pour embarquer. Ce temps fabriqué à l’échelle des impatiences résistait à l’imprévu. Je reconnus le regard des épaisseurs. À contre-jour l’étendue du silence maintenait au sol ainsi qu’un embauchoir l’ajournement des formes et des grâces.

P. 51

 

 

Quand viendra l’heure d’embarquer, les cordages boueux tomberont de nos mains, épuisées, avec le souvenir de cette jeune fille dont les pas accordés près du remugle de la mer, émue dans l’innocence de Cassiopée, se mêlaient à Versailles au terme de l’inoubliable éclat de la vocation

P.53

Une flore

 

 

Si je parlais de cet amour silencieux, en laissant approcher en moi la fine soie de l’autre, je confierais : ne chassez pas trop vite l’importun, car sa soif fiance le partage et sa part d’espérance en ce monde. Vous aurez ouvert une fenêtre, entrevu une ressemblance là où vous redoutiez la confidence.

P. 61

à Pierre Peuchmaurd

 

 

Par ce bloc convenait le jour ; des passants invisibles désignaient l’échelle en suspens. De petits rideaux découpaient les vitres. Je mesurais le lien des traits noirs, la gravité du fil, la proximité secrète de l’entendu. Les buildings en course rapide s’échelonnent, façade après façade, les loges emplies de clameurs. Ainsi des mots comme des gestes désordonnés reforment sans cesse les zéphyrs qui traversent les nuées ardentes. Le désir reste une énigme : on ne trie pas dans la joie d’un ami.

P. 63

À la lumière du jour

  

 

La nuit orpheline dépose sa bonne œuvre aux consignes de la gare. Le prix du séjour est un forfait. Il faut donc accepter l’abandon et se rendre disponible. Dans cette nuit de Noël, l’errance ne se distingue plus des choses visibles. Traversant impressions et couleurs, dans un geste élastique, les fautes deviennent écho de la confession. Dans la tourmente intime, rien ne désarme. Les projets s’engrangent avec une volonté sans maîtrise. Les évènements portent, heure après heure, le dénouement de chaque chose accomplie. Des guirlandes drapent les vitrines et les ampoules solitaires mordent à la charité, dans cette froide et dure nuit étendue. 

P.71

 

 

Reformer ce destin à toutes fins utiles, malgré la précarité des phrases, l’économie du vent. Un traité vernaculaire émerge du jardin sans bornes, livre sa parenté à l’Eden et sa sobre lumière d’arc à l’éphémère.

P.86

Charge d’éphémère

 

 

ARAIRE

(Rougerie, 2009)

 

 

Que manque-t-il à ce silence

Pour être de nouveau la parole du soir ?

Peut-être la disgrâce en un reflet de soi 

Tant l’amertume et l’abandon obsèdent

Le calme perdu dans cette indifférence

Chiffonne les cœurs sans se soucier du temps

Ni de l’amour éteint sans remord.

 

P. 15

Tout ce qui ne causa pas ma mort

 

 

Brèche qui attend 

Le signe du départ

On plie la suie des yeux

L’essaim l’ultime baie

La lumière profane

S’éternise dans l’éclat

D’un ici épris d’être

Exhausse l’aurore plus forte 

Les eaux sauvages 

À l’extrême éternité de la page

Pour la gloire d’un seul mot.

 

P. 23

Où j’allais boire

  

 

Chimères logées dans la présence

Ce qui advient trouble l’intime dessein

Charge le mystère

Et ajourne le pas.

P. 35

 

 

Le lointain s’ouvre sur les champs

Et les prés inondés

L’illusion d’une neige fine

Corrige les remous

Les courbes assombries

En bordure des forêts

Des cordes entrechoquées

Flottent sur les eaux rapides

Et passe vers la piste perdue des visages.

 

P. 38

Araire

 

Les garennes retrouvent la lumière 

                                       des ormes

Porteurs des affûts

La terre étendue du journalier

Les herbes prénuptiales

L’avance du froid colore

D’une buée les lichens

Lame conduite au sifflement des sureaux

Vers la baie fraîche mûrie sous le gel.

 

P. 41

 

 

Nous voilà désignés

Lavés de glace et pâles

Nouveaux dans la vie

Réconciliés

Répétant par des signes

La parfaite écriture de nos écarts endormis

L’intime source cherchant l’heure

Dans l’oscillation du doute.

 

P. 50

Sentinelles

 

 

 

CUPRA MARITTIMA

(Citadelle, 2019)

 

 

Si je m’endormais

Sans te reconnaître

Tu pleurerais

Et tu aurais raison

Non par orgueil

Mais par simple charité

Car tu saurais

Que je me suis évanoui 

Dans une vie sans mémoire

Où tu n’apparaitrais plus 

Non comme beauté

Ou comme volupté

Mais comme unicité

 

Ton chagrin porterait 

Les nuages couvrant la mer

Et ses bois flottés ressembleraient 

À tous les naufrages de la vie

Qui s’échouent

Avec les immondices

De la civilisation

 

Tu aurais peur

Et peine pour moi 

Non par pitié 

Mais par amour

Car tu sais qu’il y a encore 

Une petite veilleuse

Qui ne s’éteint pas 

Dans ma poitrine

C’est celle-là

Que tu veux garder

Non pour toi

Mais pour moi

Pour me sauver 

De la mort

 

Alors comme la neige

Sur la mer Adriatique

Les palmiers trempés de pluie

Et brassés par le vent

Portent l’exception

De ce dernier printemps du désir

Embrassé malgré tout

Et malgré la beauté

De cet hiver interminable

 

Si je m’endormais

Sans te reconnaître

Tu me pardonnerais

Car tu sais

Qui je suis vraiment

Et que tu peux

Me sauver

 

Cupra Marittima

Nuit du 21 Mars 2018

 

 


Jean Maison

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