TERRA INCOGNITA

 

 

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Archives : Terra incognita

 

Nouvelle rubrique depuis 2019 : découverte…

Mars-avril 2022

 

 

 

Joëlle Pétillot

 

Présentée par Mireille Diaz-Florian

 

 

J’ai croisé Joëlle Pétillot sur le réseau Facebook, puis je me suis inscrite à son blog La nuit en couleurs, où elle publie régulièrement. J’avoue avoir été immédiatement séduite par un trait caractéristique de son écriture : la fréquentation assidue du magasin des mots avec en rayons aussi bien leur musique que leur richesse évocatrice. Il y a là grande surface mais également boutique raffinée, avec à l’entrée la vibration d’une petite clochette pour alerter le lecteur.

On entre et Joëlle Pétillot nous accueille en souriant sans aucunement dissimuler la gravité qu’exige la publication d’un texte. Je la sollicitai une première fois pour inscrire ses mots dans la revue Voix. Je trouvai conforme à la tonalité de son écriture, le timbre de sa voix – qu’elle fait chanter quelquefois en s’accompagnant à la guitare. S’y conjuguent une ligne mélodique tendre et légère, parfois d’un humour facétieux, et une basse continue qui révèle douleurs enfouies, cruelle lucidité.

C’est à travers trois recueils, parus de 2019 à 2021, que je la présente aujourd’hui à Francopolis. Tenir en main les livres, les ouvrir, les feuilleter, puis les lire, parfois à haute voix, choisir des poèmes, les recopier, a confirmé cette double impression où se juxtaposent aussi bien la contemplation sereine d’un paysage, marin de préférence, qu’une injonction à cerner la puissance de l’émotion. Elle revendique une écriture qui se joue dans le silence, mais « le silence du clocher résonne d’absence et de déploration ».

Si le poème sollicite « la lumière/magnanime », la nuit s’avance avec la « peur du néant » dans la « maison fermée où les verrous ne protègent pas des monstres » Écrire le poème signe une double appartenance qui l’accorde à « ce vouloir d’envol/qui la soude à la terre ». La lecture nous engage alors dans un double mouvement.  Le texte se déploie dans un espace où le souffle, un instant suspendu, permet l’avancée sur le chemin. La poésie de Joëlle Pétillot est « l’aveu d’une vivante », avec une pulsation rythmée par le cœur battant des mots.

©Mireille Diaz-Florian

 

 

Une image contenant extérieur, nature, rive, sableux

Description générée automatiquement

 

Confidence pour confidence…

 

Je me souviens très bien de mon premier exercice d’écriture, - j’ai bien dit « écriture » et non calligraphie.  Bien qu’apprendre à écrire fût déjà un plaisir d’une sensualité nouvelle : ces pleins, ces déliés, ces rondeurs majuscules, ces ponts, ces vallées de lettres... Mais le plaisir d’écrire (c’est-à-dire d’inventer) augmenta d’autant plus ma joie que je ressentais les mots comme des outils d’orfèvres. Très vite, ils m’apparurent comme une manière de parler sans la voix, d’enjoliver le réel, de s’isoler, aussi. Solitaire, de nature profonde, cela m’allait fort bien.

L’exercice en question, un poème à ma maman pour la fête des mères, fut longtemps gardé par l’intéressée. Heureusement il n’en reste rien, et cela vaut mieux pour mes improbables et, si jamais existants un jour, peu nombreux exégètes...

Mais voilà : pour résumer violemment les choses, c’était parti.

Parce que depuis, je n’ai pas arrêté.

Le premier lieu où j’écris, c’est ma tête. Comme ma mémoire a des caprices de diva, je me promène partout avec un carnet dans le sac, il y en a aussi sur ma table de chevet, un autre sur le bureau. Des hordes, des monceaux, des troupeaux de carnets. Un paysage, un oiseau, un bus, un café, un moment, une conversation, et une phrase me vient, les mots sont généreux : ils inspirent, provoquent l’envie de dire, de penser, de les épingler, papillons de haute volée, sur du papier ou un écran (moins nomade, que le carnet, mais désormais indispensable) ...  Ces carnets sont mes réserves. Rien là de bien original. J’y puise ou non suivant l’envie du moment : car les mots, êtres indépendants, vous tirent par la manche - ou pas : quand ils se taisent, quelle inquiétude.  Vieillir m’a toutefois donné ce privilège de ne plus la laisser parler : elle ne se pointe plus, ou beaucoup moins. Je laisse mes mots bouder, ils reviennent toujours.

J’aime par-dessus tout écrire au calme, soir ou matin, peu importe. Et, volupté suprême, la nuit. J’ai toujours su que l’insomnie me servirait à quelque chose, et maintenant plus que jamais, l’envers des autres, le plaisir d’écrire sur leurs rêves, dans le silence particulier troublé d’un seul ronron de maison vivante relève de la pure joie. On est là, verticale ou quasi, présence absence au milieu d’un temps élargi, sans autre sollicitation que cette lumière à l’intérieur, qui rend les choses plus faciles, les phrases plus accessibles, même si le travail de relecture demeure nécessaire, toujours. Car oui, l’écriture est pour moi une activité verticale, quelque chose qui tient du dépassement, et nécessite de se trouver, comme on dit, droit dans ses bottes, symboliquement dressé. Tant de chefs-d’œuvre nés de l’enfermement en témoignent. Et pour ceux qui, comme moi, écrivent avec la chance de la paix autour d’eux, il n’en demeure pas moins qu’on écrit mieux « tête droite ». 

Certains lieux sont féconds. Profondément celte dans mon âme, les côtes d’Armor, avec ce pouvoir d’enfance et les souvenirs qu’elles recèlent, m’ont soufflé des pages sur la mer, la roche, les mâts qui chantent au vent. Saint-Quay-Portrieux, Bréhat, parlent la même langue que moi. Combrit, Sainte Marine, le Finistère sud, de même. Plus récemment, Ouessant qui ne ressemble à aucun lieu si ce n’est à un être différent tous les jours. Mais pour peu que l’on voyage, et j’ai cette chance, tout lieu, toute rencontre, tout moment donne matière. L’écriture est verticale, et jaillit des yeux ouverts.

C’est sans doute pour cela que j’aime aussi passionnément la photo. Toujours un besoin de fixer ? Sans doute. Une manière de poser des bornes dans ce qui appartiendra, l’instant suivant, au passé. Fixer, mais non pas figer. L’image, comme le mot, a le pouvoir de « faire naître ». Je me souviens de l’argentique, et cet outil incontournable appelé « révélateur ». Quel mot juste. Il en va de même quand on écrit. Toucher le lecteur, « révéler », un peu de soi, et surtout de lui-même, signifie « Je t’ai eu(e) ».

Cela, c’est le plus beau constat du monde.

©Joëlle Pétillot

 

 

Le bal des choses immobiles

Éditions Alcyone 2019

 

Traîne

 

Il y a fleuve au cœur des paumes

Et de petits automnes roux

Circonscrits

Au dos de la main

Des pas inconnus

imprimés dans la boue

L’oiseau qui vole droit au bout de son cri

Le presqu’obscur

D’un nuage passeur d’éclair

Un orage de mariée

Tire sa traîne au bout du monde

Vient la pluie serrée

Les gouttes plantées dans l’air

Comme des clous

 

Dague

 

La joie est une dague

Un poinçon

Violent

Le coup assomme

Immense est la seconde qui suit

Les choses dilatées

Tournoient

Le rire éclate tout en haut

loin la crête du silence

Et la peau sur laquelle voyage la rivière

Finit par s’enfouir.

 

D’une rive à l’autre jouent les lumières

Et puis

Plus rien.

 

 

Grenier du rêve

 

Le sommeil ébréché des vieilles porcelaines

L’attente sans chagrin des ombres du grenier

La fenêtre unique, penchée

Les lucioles affolées d’un soleil de traverse

 

Tout meuble boite

Chaque pli est un gouffre

C’est puissant comme une marelle

Ciel et terre

En un seul parquet

 

Fixé sur les vieilles patères

Un temps de craie

Pendule d’une seule aiguille

Claudiquant

Posée là comme un codicille

Rien ne vieillit

Tout se patine

L’enfance, la vie,

Notre âme

Aussi.

 

 

Hors-ligne

 

À toujours prendre l’autre chemin

Marcher en boitant tout droit

Pleurer à pauvres larmes

Je sais que j’ai raison de me tromper

 

Je te méconnais par cœur

 

*** 

 

Une image contenant arbre, plante

Description générée automatiquement

 

Éclair obscur

Éditions Henry 2020

 

Jamais dernières

 

Une petite berceuse grêle

Un murmure sous les cils

Un doigt posé sur une vitre

Le givre écrit

La vie sillonne

Fenêtre-livre

raconte-toi dessous le ciel

Quand l’hiver dicte

Ses volontés

Jamais dernières

 

 

L’ange de boue

 

L’ange aux ailes de boue

berce de ses bras nus la houle

les voix fêlées.

Il dit : « je suis la peur » à ceux qui le savent déjà.

Dans les rocailles ou la soie des rues

un jour de nuit se tient.

Sans cri, juste l’orage

le chant confus des grêlons

briseurs de feuilles.

 

Derrière la vitre une figure

pointillée de gouttes claquantes.

L’enfant inquiète

regarde le jardin criblé.

un jour

elle sera grande

plus que l’eau.

 

 

Passant d’hiver

 

La brume affûte ses brouillards, polit les toits

Les rires de glaces brefs comme des aboiements

S’étoilent sous les écharpes

S’accrochent au milieu des ombres

Pendent aux griffes des arbres

Dont les ongles vernis dessinent le moment

En surbrillance.

 

Les pas des hommes

Pourtant

S’inscrivent toujours

Dans un désert

 

***

 

Une image contenant extérieur, ciel, crépuscule, silhouette

Description générée automatiquement

 

Chroniques des différents silences

suivi de Courts-métrages

(Editions Douro, 2021)

 

Coutures

 

Il y a surement foule

dans un silence de mort

la solitude n’existe que vivant.

 

La trace des douleurs dans l’écriture

rayure droite

zébrée visible

comme une mauvaise couture

loin de mes pieds tournés

vers le dedans

Je ne veux pas qu’on me répare.

 

Je préfère

que tu le fasses,

          toi.

 

 

Les ciels troués

 

les étoiles dépassent de ma poche

j’ai des rivières sous les ongles

les trous de mon manteau servent d’abri aux fleurs perdues

mes yeux portent des algues brunes

je ne les fermerai

qu’au vu des heures lentes

passées sur les rochers.

 

         Le temps est cette crasse figée aux pas des hommes

                  les crocs d’un insoumis rageur

 

La vie

cette lente

infiniment lente moisissure.

 

petite mouche noire

je sens tes ailes

le vent tremblote

sous mes genoux

l’hiver édenté ricane

sourire vide

sous le printemps

                  Les étoiles brillent sous mes jupes

                                   pourtant.

                                           

Chroniques des différents silences

*** 

 

                           Cadenas

                        tristesse de porte

                  injustement condamnée

 

                                   ---

                           Chaque jour

                   avec ta juste absence de mots

                         tu m’écris un jardin

                                   ----

                 

                           Lettre au chagrin

                 

                           Un jour je t’oublierai

                               à double détour.

 

                                   ---

                          

                             Rupture :

                           je pose nous

                           je retiens un.

 

Courts Métrages

Une image contenant arbre, extérieur, parapluie, herbe

Description générée automatiquement

Photos de l’auteure

 


Joëlle Pétillot

recherche et présentation par Mireille Diaz-Florian

Mars-avril 2022

 

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