RENOUVEAU
Ils sont venus casqués dans leurs engins
démesurés
Ils ont creusé des saignées dans la forêt vivante
Ils ont coupé arraché tronçonné
les arbres
tous
les arbres
Ils ont chassé les insectes les oiseaux
tous les insectes tous les oiseaux
Ils ont étouffé l’herbe et les fleurs
toute l’herbe toutes les fleurs
Ils ont bétonné bétonné
bétonné
tout bétonné
Mais le vent est plus fort que l’homme
Mais la pluie est plus forte que l’homme
Le vent et la pluie associés
Sont bien plus forts que l’homme
Ils ont fissuré fendu creusé abattu le
béton
tout le béton
tout
le béton de l’homme
devant
l’homme sur l’homme
étonné apeuré effrayé bouleversé effondré
Mais le vent est plus fort que l’homme
Mais la pluie est plus forte que l’homme
Le vent a apporté la graine dans la terre
retrouvée
La pluie a retrouvé la graine dans la
terre retrouvée
la graine est devenue herbe fleur arbre
revenus les insectes et les oiseaux
dans l’arc en ciel du matin
l’homme étonné décidé réveillé
a regardé ses mains
promesses d’un nouveau regain
d’un nouveau chemin
*
RÊVE
DE L’ÉCRITURE
Plume caressant la matière encore
vierge
Couteau déchirant l’hymen de mon Moi
Cri jaillissant des entrailles
Vague déferlant sur les regards
environnants
Balancement sur la virginité oubliée
Encre m’écoulant dans le temps
Miroir à la mise au point sans cesse
brouillée
par
les mots qui m’échappent
Image déjà saisie et toujours enfuie
Vague toujours reformée et déjà
éparpillée
*
HISTOIRE
D’UNE FEUILLE BLANCHE
Je suis devant une feuille blanche
non
je suis devant ma feuille blanche
les
feuilles blanches sont différentes
elles
nous offrent tant de blancs
blanc mat brillant étincelant
blanc doux velours
blanc craie blanc lait
blanc neige blanc glacier
blanc gelée blanche
blanc écume d’océan
blanc fleur de printemps
elles
nous offrent tant de blancs
selon notre désir notre dessein
selon notre humeur notre vigueur
selon le moment l’instant
ma
feuille blanche attend
comme
un corps nu
qui
attend un vêtement
elle
attend que j’habille sa blancheur
de toutes mes couleurs
pour
le moment je vois tout en blanc
toutes
les couleurs
s’entendent
avec le blanc
mais
toutes les couleurs
ne
s’entendent pas toujours entre elles
il
ne faut pas qu’elles se querellent
je
ne peins pas les conflits
je
cherche l’harmonie
je
réfléchis longuement
ma
feuille attend patiemment
j’imagine
j’essaie
je
choisis je décide
le
vêtement est prêt
les
couleurs sont posées frottées
estompées ou appuyées
guidées
dans un
voisinage délimité
ma
feuille est effleurée caressée enveloppée
puis
submergée successivement
par les vagues colorées
qui
recouvrent définitivement
toute sa blancheur
désormais
mon tableau est terminé
vous
verrez le jeu des couleurs
mais
vous ne verrez pas
le blanc de ma feuille blanche
ce blanc choisi
comme support de vie
de ce pastel
*
JE T’AIME
Devant la mer
devant
la montagne
sous
la brise marine et l’autan des tempêtes
sous
la bise des cimes et le blizzard des neiges
sur
la poudre ocre du sable
sur
la roche grise du granit
Ils ont bâti leurs maisons
ils
ont écrit leur amour
Des décennies de rêve et de labeur
Il a fallu lutter contre les
habitudes
dominer
les aléas surmonter les obstacles
accepter
et maîtriser la nature
chercher
essayer trouver inventer
faire
refaire encore encore
Des décennies de projet
tissé
retissé brodé rebrodé
Ils ont bâti leurs maisons
ils
ont écrit leur amour
Des décennies de rêve et de labeur
Devant la mer
devant
la montagne
s’élèvent
leurs maisons sur la poudre ocre du sable
sur
la roche grise du granit
Depuis des décennies
soufflent
la brise marine et l’autan des tempêtes
la
bise des cimes et le blizzard des neiges
sur
leur amour sans cesse revivifié
inébranlable
Depuis des décennies
ils
crient je t’aime
ils
crieront toujours je t’aime
*
Y AURA-T-IL UN REGAIN ?
C’est une petite vigne
toute en pente
C’est une petite vigne
bien délaissée
C’est une petite vigne
non oubliée
C’est une petite vigne
bien décidée
à résister
Ses pleurs ont mouillé la terre
fleuri l’herbe
nourri les ceps
et leurs fruits
Mais les vendanges n’auront pas lieu
C’est une petite vigne
toute en pente
et tout en haut
elle a dressé
son beau drapeau
bien
coloré
de
fleurs qui s’ouvrent le matin
aux
couleurs du jus de raisin
de
fleurs qui se ferment le soir
et se
reposent dans le noir
en rêvant d’espoir
y
aura-t-il un regain?
*
CARESSES
Mais où sont passées les caresses
celles
que l’on donne
celles
que l’on reçoit
celles
que l’on attend
celles
qui nous surprennent
celles
qui nous aident
celles
qui nous font exister
les
caresses qui nous donnent du plaisir
de la joie
du courage
de la vie
Mais où sont passées les caresses
les
vents incessants de la souffrance
les
tempêtes répétées de la douleur
les ont empêchées
enfermées
ligotées
emprisonnées
jusqu’à quand
Tant de temps
Trop de temps
à
attendre le retour de l’aisance
à
espérer le regain d’une vie pleine
*

FACE
A LA MER
Quels sont ces oiseaux étranges
plantés
face à la mer
comme
un gros bouquet coloré
de
fleurs pour toujours regroupées ?
Ils n’avaient jamais espéré
offrir
tant de couleurs
aux
yeux qui les regardent.
Quels sont ces oiseaux étranges
dressés
face à la mer
qui
lisse leur rugosité
qui
polit leurs aspérités ?
Ils n’avaient jamais espéré
offrir
tant de douceur
aux
mains qui les découvrent.
Quels sont ces oiseaux étranges
fichés
face à la mer
dont
tous les assauts répétés
ne
les font jamais osciller ?
Ils n’avaient jamais espéré
offrir
tant de fermeté
aux
bras qui les entourent.
Oiseaux étranges
Figés face à la mer
Proue du bateau de rêve
qui
lèvera l’ancre
sous
une pluie d’étoiles.
*
MARCHER
Marcher
aujourd’hui
sur la plage
seule
Dérouler les épaules
dans
une respiration
pleine
offerte
Marcher
sur
la plage
platement
contourner
l’obstacle
Marcher
sur
la plage
sur
l’obstacle
Marcher
vivement
lestement
Marcher
pleinement
réchauffer
les muscles
faire
jouer les articulations
déjouer
les habitudes
les
lourdeurs
les
enroulements
Retrouver son corps
son
corps en mouvement
les
mouvements de son corps
Marcher
dans
la
plage
chaleur
lumière
mouvement
bruit
Éviter le crissement des coquillages
sous les pas
le
frisson d’une brisure insupportable
Ramasser une couleur
un
reflet
une
évocation
Marcher et
Rêver
Marcher et
ne
pas penser
Ne pas marcher et
penser
Marcher et Penser
Penser dans le sable
dans
la mer
sur
le sable
sur
la mer
Penser le sable
la
mer
les oiseaux de passage
le vent
les traces
Traces de pas qui s’impriment et
s’effacent
de
leurs empreintes
Penser l’horizon
pensées éphémères
pensées essentielles
Marcher et Penser
marcher
est penser
marché
et pensée
pensées
sans cesse retrouvées et inventées
au marché
du voyage de nos pas
à la
recherche de l’invisible
à la
recherche de l’indicible
Marcher les Traces
Penser les
Pas
*
SYMPHONIE
Le chef était là pour
orchestrer
la symphonie
Mais
les
instruments n’étaient pas accordés
Là
pas
de repère “La“
ou autre accord de départ
Là
que
des repaires
des
repaires où les instruments
se taisent
gémissent
ou hurlent
en
superpositions de monophonies juxtaposées
la
chanson de la solitude
la
chanson du désespoir
le
désespoir dont
les
petites larmes tombent
tombent
et rebondissent
par
les fenêtres entrouvertes
mais
il fait beau
hors de ces repaires
Et voilà
que
les larmes trouvent le soleil
et
font un arc en ciel
un
arc en ciel
si
grand si grand
qu’il
passe sous la porte de ces repaires
et
tous les instruments en sont éclaboussés
et
ils jouent
de
l’Arc en ciel
de
l’arc en ciel plein de chaleur
de fraicheur
de toutes les fleurs
tous
ensemble
sans
le chef d’orchestre
De chef d’orchestre
il
n’y en a plus
Il a pris l’instrument et il joue
tous
ensemble ils jouent de plus en plus fort
la
symphonie
des couleurs
des senteurs
du bonheur
Ils jouent fortissimi
la
symphonie de la vie
et
tous ceux qui les entendaient
chantaient
chantaient
chantaient
avec eux
de
vibrations en vibrations
d’échos
en échos
cette
musique si vraie et si puissante
ébranla
les murs de tous les lieux mortifères
et
par les brèches qui s’ouvraient
sortaient
les morts vivants enfermés
*
PAROLE
Ta Parole
balance
et
berce ta tiédeur sur mon corps
je
m’y creuse
et
je m’y love
chatte
endormie dans ton ronronnement
Ta Parole
déroule
le
Toi
j’en
enroule
le
fil infini
et
je le tricote en Moi
trame
d’un instant dévidée de tes lèvres
tissée
de fulgurance sur mon attente
que
ta Parole
coule
encore
encore
et encore.
Jouis de tes mots
©Janine Rabat
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