Mare nostrum
Ma rude amère
Mon amniotique marée
Tu m’as éperdue à ta corde
Et je t’accorde encore tous mes regrets
D’avoir quitté ton corps
Et sa Mare nostrum
Ton amène matrice,
A mes regards perdus ;
Ma rade où s’ancre ma peine
Et toutes les mésententes
Mon aride aven,
La corde au cou je rame
J’arrime les désaccords
Des âmes repentantes
A ton corps défendant ;
Ma rude amère, mon amphibie
Mon amniotique marée
Là tu m’as débarquée
En coupant le cordon
Là je me suis pendue
À ton corps défendu.
Extrait
du recueil Aquapoèmes,
éditions
le Chat polaire, Juin 2020

***
Je
m’appelle Silence
Ma
bouche est un pays de neige
et les
mots s’y enfouissent
reclus
dans l’invisible étendue de leur effacement
mais
j’amortis la chute,
condensation.
Ma voix
est peuplée de nuages
je
tisse des mots de soie aux fils dénoués de leurs arpèges,
musique
déferlante
et je
deviens rivière
ruissellement.
Je
m’appelle Limon
j’ai
été rejetée par les eaux,
là où
je fus déposée s’étendent les rives et les confins
de
l’impossible résurgence
dissolution.
Je
m’appelle Reflux
marée
des équinoxes,
les
nuits de pleine lune
je
retourne à la mer.
***
Aux
premiers instants des aubes rousses
quand
vibre l’ardente promesse du chemin
entre
les ajoncs et les vertes mousses
je
chausse mes herbes et me délivre
au
frais des ombres et sous les ifs
il est
des matins des fièvres des charmilles
dont
les parfums ont la couleur de la fugue
et me
dérivent au-delà de la foule
j’ai
dans le cœur des aubépines
des
silences recouverts de ronces
un peu
de rouille au bord de mes cils
l’esquisse
d’un remords qui me quitte
je
prends ma fuite et vous laisse à mes trousses
je file
au grès du temps et du vent qui me pousse
revêtue
de rivières j’affute mon esquive
je
cours l’eau vive des aubes rousses.
***
J’ai pansé mon jardin
mes rosiers
sauté par-dessus les haies
les ronces et les taillis
parfois les barbelés,
une pensée m’est venue
frôler les orchidées
et puis j’ai oublié,
c’était juste un peu de sucre
des feuilles d’organdi
toutes choses menues
aux parfums surannés.
Aujourd’hui
je vis
de l’or du temps
j’entends
dès lors
le désordre immobile
mille fois ces petits riens
et la clameur du vent.
***
My dear Papa
Dire moi aussi
my dear Papa
le vide
et la déréliction
les roseaux sont fragiles
l’onde n’est plus mon chemin vert
j’ai quitté la rivière
quelque chose a filé par le trou de mon cœur
la pluie s’en est mêlée
ourlé de genêts blonds, l’été s’en est allé
c’était au temps naguère
pourtant
aujourd’hui moi aussi
je dis my dear Papa
emporté par l’hiver
je dis, mon père
le vide a la vie dure
on dirait que tu dors
dans le temps des rivières
***
Le vent parfois vient déposer une âme
au bord de ma fenêtre
je la reconnais à son regard étrange
à son éternité,
et son si doux secret soudain
me frôle
mais elle se tait
Il faut éprouver le silence
pour savoir
ce qu’ils sont devenus
***
Au nom de mes absents
laissez les forêts se courber sous le vent
et les jours bleu marine
noyer les océans,
laissez la pluie s’il vous plait
glisser sur mes volets,
la buée sur mes vitres
console mes rivières.
Au nom de mon père et de ma mère
laissez venir le printemps
laissez la fenêtre ouverte
je veux encore courir dans les champs
***
C’était
au temps précieux où rien ne bouge,
profitant
du frémissement de l’invisible
j’ai
voulu planter un arbre à poésie
j’ai
attendu ses fruits,
quand
est revenu le mois d’août
vous
êtes passés par ici
vous
avez traversé mes pensées,
je me
suis dit alors
cours,
cours
et ne
fais pas de bruit
ne
leur dis pas qu’ici tout a verdi.
Épurer
sera mon labeur de l’été.
***
Merci
mes amies d’être venues
nous
avons été le vent toute la nuit
nous
avons bu
et
nos rires empourprés ont gité dans le temps immobile
nous
avons chaloupé
ce
fut un grand chahut
merci
mes amies pour la légèreté
nous
avons ri
et
tangué tout l’été dans le ballet des libellules
le
vent nous traversait
nous
étions ivres
et
vivre suffisait
il
m’a plu mes amies
que
vous soyez venues
mais
aux premières pluies
vous
êtes reparties
j’ai
cessé de danser
depuis
ce jour, le temps se hâte
j’entends
l’hiver venir
***
J’ai ouvert la fenêtre
tu es entrée comme un parfum,
le vent déployait tes cheveux
tes nuages et tes longs ruisseaux
et tu volais,
une petite voix m’a dit
tu vois
je suis le vent très bleu
j’apporte des oiseaux ;
j’ai voulu fermer la fenêtre
et serrer contre moi la couleur de tes yeux
mais mon cœur était vide.
Le vent est un menteur.
***
Le vent
Le vent est une impatience qui se lasse de
notre indolence
De notre lenteur à nous détacher de cette
inanité
De ce vide dont nous peuplons nos vies,
Nous tenant immobiles dans le temps altéré.
Le temps est une défiance qui nous oppose au
vent
A son élan et son empressement à nous déraciner
Aux torrents de ses bruits, à tous ses courants
d’air,
Nous laissant échoués dans les voies de
l’errance.
L’errance est une absence qui nous a emmurés
Oppressés dans l’étreinte de sa captivité,
Ne laissant prise au vent que pour nous
renverser.
Le vent, son inconstance, nous remuent en tous
sens
Nous enfoncent en naufrage et las de
résister,
Échus en défaillance, nous nous laissons sombrer.
Ma
chevelure
--------------- a pris le vent
Et le vent à moi s’en est pris
M’a emportée dans ses rafales
Abruptement, en coups de vent
Ma chevelure, de mèches cuivre
À mon cou dévoilée,
ivre
S’était enfuie à mon insu
Une insouciance, une innocence
Un rêve fou dans le grand vent
Ma chevelure, mon être libre
S’était enfuie et voulait vivre
Voler au vent, s’en démêler
Mais ici la chevelure, celle
De ma mère, ma sœur, ma fille
Est un défi
Une arrogance portée au cou.
Alors le vent s’en est mêlé
Il a jeté sur mes épaules
Ses coups de fouet, ses coups de trique
Aujourd’hui, de chevelure, mon dos se strie
De longues mèches couleur de brique,
Odeur de sang, goût de colère
Et si je hurle, si je crie
C’est pour ma mère, ma sœur, ma fille,
Les femmes et notre humanité.
Pour
les femmes afghanes.
©Laetitia Extrémet
(inédits)
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