TERRA INCOGNITA

 

 

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Archives : Terra incognita

 

Nouvelle rubrique depuis 2019 : découverte…

 

Automne 2024

 

Muriel Couteau Mauger :

 

« Nous sommes la lenteur féroce de l’été… »

 

L’apiculteur. Le guerrier.

 

(*)

 

Une image contenant noir et blanc, rouille, Ferraille, monochrome

Description générée automatiquement

©Muriel Couteau Mauger (photo)

 

 

 

L’apiculteur

 

Et le bruit du tracteur, je sais que tu es là

Et maintenant je ne peux rien fermer

Je ferme les yeux le chien est là

Je viens dans tes yeux te soulager de toi mais je ne peux pas

Le chien tout vieux sent la pisse partout

Tes yeux irrités, ça fait du gravier parterre que les herbes envahissent, des trous dans ma mémoire, tu pars allumer un feu. Je vois les feuilles un peu trop sèches qui se balancent dans leur monde. Il faudra attendre la pluie pour éteindre tous les malentendus entre le feu et le foyer.

La lumière de tes yeux est un don de dieu, ne pleure pas, ne gueule pas. Nous sommes pauvres, seul l’ordinaire nous protégera du chagrin.

On dirait que tu ne m’aimes plus tellement tu m’aimes

Quand il pleut ta maison est une petite boîte, tu enroules autour de toi un ruban de temps mort. Les matins se ferment sur les dimanches. Le rotavator et le gyro sont tout crispés sous le hangar. Les herbes poussent comme des murs qui te sépareraient d’une route et tu restes dans ton fauteuil comme un christ couronné de gants d’eau fraîche, la tête penchée dans les mains gentilles de l’air.

Les avions tournent dans le jardin et les roses frissonnent.

La soupe est insipide, on en met le moins possible, on la jette de plus en plus tôt, il n’y en a plus dans le frigo qui tombe en morceaux.

Il y a des brasiers dans ta voix, quand viendra le bateleur qui ne dit jamais rien ?

Nous sommes la lenteur féroce de l’été, ces lieux étranges que le hasard éclaire, nous sommes de l’enfance, ce temps inaperçu comme la douce feinte du sommeil qui m’autorise. Tu as traversé la mer plusieurs fois dans ta vie, tu as traversé le ciel et l’Espagne tu sais conduire pour que personne n’ait mal au cœur. D’ailleurs, le soleil n’écrase pas mon père qui est beau comme un cowboy et les chevreuils pourraient bondir jusqu’en Andalousie.

Les épaules des enfants branches se tendent, nous sommes la frousse du gibier chassé de l’heure tranquille et fiable de l’été. Je vous ai offert un bouquet de fiancés, tu te plains de ton corps pas de ton cœur que nous mangeons. Ton enfant n’en finit plus de courir à haute voix les bois et les champs, je te dis qui j’ai vu à l’orée traverser le fossé et le refuge tendre de l’herbe où tu ne viens plus voir.

Hommage aux roses générationnelles, qui se doute de ta rancœur en m’offrant un bouquet ? L’indécise hospitalité de tes yeux fait crever les trémières, je rassemble le désordre des roses et raconte les lièvres aux hommes que j’aime. Quand tu n’es plus en colère, tes yeux semblent l’exacte volonté de la lumière (cette coïncidence de la lumière et de la bonté, encore)

Ton écriture lente et fautive pourrait démêler mes cheveux des maux de tête, casser les mottes dures de mes idées, rougir le sang bleu des lettres. Tu mets des fleurs dans la maison, tu les offres comme un voleur pour qu’il n’y ait pas de mot. Elle, c’est ton poème, c’est toi qui l’as écrite belle comme ça, moi j’enterre les oiseaux que je finis par tuer.

Fils de la terre et de la gentillesse, qui te donne des baisers ?

Nous allons respirer le vent à la place des chiens morts depuis le paysage nous oublie là et nos pensées dans nos bouches font mine de rien.

J’ouvre cette parenthèse parce qu’il est monté sur le tracteur pour rejoindre un soleil. L’image n’en est pas une, mais il n’y en avait pas pour cela. J’aurai donné dix perdrix.

Tu prends un pan de l’espace et tu tires le monde en nage indienne, un grand rideau de mer accroché à ton épaule relie les vignes à l’atlantique. Les charrettes se souviennent du chemin de cailloux, même les chiens de chasse suivent la piste de la mer. La joie dégringole de l’après-guerre, les ribambelles de cousins, les victuailles, le cheval et une jeune fille.

Nous nous sommes dit les dunes contre l’océan et la clairière du milieu, dites grand-père, entre l’air et la terre avec votre bêche ou votre fusil quelle centaine de lieux avez-vous ouverts ? existe-il d’autres espaces que ceux de l’image à l’orée enfuie ? Ce jardin de roses et de pivoines rouges où les ronces procèdent des nuages où les âmes frôlent les mauvaises herbes.

Comment dire quand tu es tout en haut de l’échelle si tu es grand ou petit, toi, l’enfant égaré dans l’âge des femmes. Les bois se déroulent jusqu’à l’océan de tes tourments mais l’invisible cadeau de dieu signe tes consentements. Un jour, nous aurions le même âge dans les vignes et aucun épagneul ne serait mort.

Peur que tu ne tombes la nuit dans les cuves d’angoisse ça fait des coups de pierres dans le corps et tu t’en fracasses une là quand le jour se lève dans le fond de la gorge à éructer contre ce bordel de Dieu et à cracher sur la vie qui recommence pour que ce putain de dieu t’entende.

Tu traites ta chienne de salope et je tourne autour de toi comme une planète folle.

Tu dis que c’est triste que ça restera comme ça le cochon ! tu te gonfles comme un animal peureux aux pattes rousses, aux boucles brunes.

Tu gueules contre les bêtes pour prier Dieu, tant de mères nous ont fait des promesses, elles qui dorment si peu et coupent la tige des roses au non-dit de l’amour.

Je m’allonge contre ta voix, n’écoute pas tes plaintes jonchées de mouchoirs blancs et de morceaux de sucre qui roulent sous mes yeux.

 

Fleuve mortel et bleu là-bas dans mon soleil, papa ta voix, nos voix

Il y a un puit dans ton oreille

Une jeune maladie

Ce creux en toi d’où remonte les colères lointaines de la mer

Le lait douloureux d’une écharde sombre

Mon jeune homme

Attend le temps qui ne passe pas vite

Le bruit de la porte du langage, le temps qu’il faut pour qu’il soit enfin là

Je fais semblant de ne pas t’entendre

J’ai tout préparé

 

Parce qu’ils gueulent comme des veaux, parce qu’avec toi on ne sait jamais rien que c’est toujours vite vite parce qu’y a jamais rien à la télé et qu’on ne comprend rien à ce que les femmes disent.

On va tout foutre en l’air ! Et ce con de toubib !

 

Devant la maison, les herbes ne bougent plus, ne sont pourtant pas mortes, ne sont plus belles, plus que ça, bientôt plus     un matin tout est déjà fini     les vendanges la vigne et les vaches     la dernière palombe la chemisette bleue     et travailler     que ça va tout doucement     une clairière dans le cœur et bien fermer les portes     tes bêtises et toute la tristesse     le sulfate de cuivre la chaux morte et un tas de fumier     ne rien dire un matin les papiers les faisans ta mémoire     et novembre     que tu me seras toujours venu en aide     tes pantalons en velours l’usine et les 3/8 radio Monte-Carlo     ton genou qui te fait mal que tout ce que tu manges te donnes la colique     partir à la chasse la bourse venir vieux et un seul amour     cette grande baraque     tu te tais     la météo les bottes et les pardons     le sucre roux que je t’ai emmené en voyage ton Lexomil     un matin 5 minutes tout est déjà fini ta voiture tes doutes tes tendres retours     la confiture d’Intermarché la viande du boucher et ta culpabilité     le pain la banque ta solitude le moins possible pour ne pas trembler l’odeur du chai attendre depuis longtemps attendre le téléphone ce qui ne vient pas ce qu’on ne veut pas qu’il arrive.

 

Je t’aime

mes papas

 

Tout est toujours trop

Tout te rend malade

 

Je l’aime

La mort c’est-pas-te-revoir est ma mort

Les oiseaux renversent le ciel dans le piège qui est ta terre

Parce que ça continue et que ça ne continuera pas

 

Les pluies tendres de l’enfant été entrent à pas feutrés dans la douceur du bois d’automne, ses doigts enroulent les mèches noires de tes cheveux nous roulons dans la forêt elle sait qui est mort qui se marie et où cueillir les champignons je ne sais plus combien nous sommes mais nous roulons vers la neige vers la mer. C’est une architecture vaillante comme toi, elle abrite l’eau noire et confuse, la langue bleue, les médailles en or. La croix se briserait en petits morceaux de prières, en chaînes mélancoliques. C’est la nuit, la porte agile du cœur après le jour, le ciel éteint d’un bras dont l’intention s’ignore. Je suis cette enfant qui ne devait pas entendre. Mes vengeances désordonnées, nos mariages intérieurs, mes cours de justice puis l’onde de choc qui brise les caveaux et l’eau qui s’infiltre jusqu’à la fleur des morts, c’est un tel secret dans la nuit tressée de tes bras où dort tout ce qu’il en a été du soleil. Si tu ne veux plus de tes rêves, qui les habitera ?

Je suis née dans une odeur de satin sombre et douce aux arabesques brunes, celle du ventre des grives que tu as tuées, ton odeur est le rêve dont je ne sors plus.

 

Ton fusil à l’épaule, rompu

Arcs perdus à cours d’été

Aller vers ce qu’il y a

Dans le sens que la pluie chasse

Et faire demain

Un seul arbre est en avance sur le vent du soir, il tremble déjà

Le linge s’est pendu près de la cuisinière à bois

Ouvrier c’est mieux que paysan

Que le silence, tout ton silence

Les morts sont là et c’est si bien, ils ne bougent plus de leur vie.

Un couteau repose près d’un quartier de pomme

La maison a tué ses petits veaux, vendu ses grappes de raisins et ses morceaux de pêches, dépecé ses dernières bêtes. Nous déjeunions à l’ombre du noyer. Les raisins mouraient parfois dans l’eau close de ton vin. Je suis là, trop près, je ne vois plus ni l’Espagne, ni l’alliance à ton doigt. Le temps s’est arrêté longtemps, pas si longtemps avant de te tuer.

 

©Muriel Couteau Mauger

 

 

Le guerrier

 

Sans escale dans le temps-dit-guerrier, guerrier-dit-arrivé, un point fort au milieu d’une possibilité sinon laquelle

L’un-dit-guerrier tant dit de fois tant fait de pas

Le plan d’un temple dans le ciel panoramique

 

Les guerriers sont arrivés, sont montés loin au-delà des arbres, au plus haut des cieux par le fil des ruisseaux secs écrits dans leurs mains. Les guerriers ont beaucoup marché, beaucoup marché jusqu’aux enfants, et lancé des pierres avec leurs talons sur les maisons d’en bas et chanté leur guerre dans la tête des gens.

 

L’ombre rapide d’une coupe dans l’air

Entre le départ

Sans arrêt, sans s’arrêter, jamais

 

Les insectes siffleurs découpent des parties de sol, des parties de ciel, élèvent des murs comme chaque pas soulève la poussière et tombe dans la forme des arbres, c’est ce que l’on voit des maisons en bas car il se trouve des yeux pour deviner dans le noir le visage des os disposés sur la terre.

Les enfants des guerriers sont nés de la volonté des pas dans les pierres, sont le vol des oiseaux au-dessus des colonnes mais les guerriers ont fini de marcher, sont arrivés jusque dans les os de leurs visages, et, arrivés, se regardent. Les guerriers verront les os, le ciel et le jus blanc de leur visage d’enfant.  

 

Comme si le lieu existait.

Et faute de vent

 

Il y a des pièces, dans le ciel, bien au-delà des arbres où nos yeux se confondent, où l’on conçoit des enfants, il y a des pièces où l’on se voit sans rien pouvoir concevoir d’autre que des enfants sans femme. Voilà ce que savent les gardiens qui regardent entrer les enfants.

Les gardiens regardent entrer les enfants, ils viennent des rêves et surveillent ce qu’il vaut mieux ne pas savoir, ils soufflent le vent et le rien entre deux canines géantes.

Les yeux fouillent le ciel, l’image tendue des miroirs où les champs se reflètent à l’envers dans les branches noires, les gens d’en bas regardent les rectangles blancs, tranquilles et brillants et se font des villages, de nouvelles maisons, des carrés de linge blanc et la terre à nouveau s’enroule au sommet de la guerre.

Les guerriers se regardent après avoir beaucoup marché et pensent à faire de nouveaux enfants, ne savent plus où marcher alors se soulèvent et trouvent les os, la terre et le ciel à la place de leurs enfants. Les gardiens savent que les guerriers ont beaucoup marché, ils savent bien d’autre choses encore, que tout finit toujours par continuer plus qu’il n’en faut, ainsi, laissent entrer leurs enfants en ce lieu de mémoire.

 

Au-delà l’histoire

Puisque le mal est fait.

 

Les guerriers auraient de grandes mains pour prendre la tête de leurs enfants et se soulever jusqu’au ciel, sont le vent.

Seuls les gardiens voient les enfants souffler dans le bois et les pans de tissus parce que les guerriers sont le vent des enfants. Les gardiens fixent les guerriers qui se soulèvent, sont les mendiants, l’aumône finalement et la fermeture du jour, Ishogun.

 

©Muriel Couteau Mauger

 

 

(*)

 

Ces deux textes en prose poétique nous semblent esquisser une sorte de cycle dédié aux figures emblématiques d’une humanité auto-dévorante en proie à un inévitable déclin, une humanité déjà révolue que l’autrice à la voix polyphonique célèbre ironiquement et tragiquement, comme des Travaux et des jours de la fin…  (D.S.)

 

Muriel Couteau Mauger est photographe, poète et psychanalyste. Elle vit en Normandie où elle est professeur à l’École des arts et Media Caen-Cherbourg. Elle a publié ses textes dans différentes revues : Recours au Poème, L’Act Mem, Traction-brabant, Néphanthès, Le Capital des mots, Paysages écrits, L’autobus, La page blanche.

 

 

Muriel Couteau Mauger

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Créé le 1er mars 2002