L’apiculteur
Et le bruit du
tracteur, je sais que tu es là
Et maintenant je ne
peux rien fermer
Je ferme les yeux le
chien est là
Je viens dans tes yeux
te soulager de toi mais je ne peux pas
Le chien tout vieux
sent la pisse partout
Tes yeux irrités, ça
fait du gravier parterre que les herbes envahissent, des trous dans ma
mémoire, tu pars allumer un feu. Je vois les feuilles un peu trop sèches qui se
balancent dans leur monde. Il faudra attendre la pluie pour éteindre tous
les malentendus entre le feu et le foyer.
La lumière de tes yeux est un don de dieu, ne
pleure pas, ne gueule pas. Nous sommes
pauvres, seul l’ordinaire nous protégera du chagrin.
On dirait que tu ne
m’aimes plus tellement tu m’aimes
Quand il pleut ta
maison est une petite boîte, tu enroules autour de toi un ruban de temps
mort. Les matins se ferment sur les dimanches. Le rotavator et le gyro sont
tout crispés sous le hangar. Les herbes poussent comme des murs qui te sépareraient d’une
route et tu restes dans ton fauteuil comme un
christ couronné de gants d’eau fraîche, la tête penchée dans les mains
gentilles de l’air.
Les
avions tournent dans le jardin et les roses frissonnent.
La soupe est insipide,
on en met le moins possible, on la jette de plus en plus tôt, il n’y en a
plus dans le frigo qui tombe en morceaux.
Il y a des brasiers
dans ta voix, quand viendra le bateleur qui ne dit jamais rien ?
Nous sommes la lenteur féroce de l’été, ces lieux
étranges que le hasard éclaire, nous sommes de l’enfance, ce temps inaperçu
comme la douce feinte du sommeil qui m’autorise. Tu as traversé la mer
plusieurs fois dans ta vie, tu as traversé le ciel et l’Espagne tu sais
conduire pour que personne n’ait mal au cœur. D’ailleurs, le soleil
n’écrase pas mon père qui est beau comme un cowboy et les chevreuils
pourraient bondir jusqu’en Andalousie.
Les épaules des enfants branches se tendent, nous
sommes la frousse du gibier chassé de l’heure tranquille et fiable de
l’été. Je vous ai offert un bouquet de fiancés, tu te plains de ton corps
pas de ton cœur que nous mangeons. Ton enfant n’en finit plus de
courir à haute voix les bois et les champs, je te dis qui j’ai vu à l’orée
traverser le fossé et le refuge tendre de l’herbe où tu ne viens plus voir.
Hommage aux roses
générationnelles, qui se doute de ta rancœur en m’offrant un bouquet ?
L’indécise hospitalité de tes yeux fait crever les trémières, je
rassemble le désordre des roses et raconte les lièvres aux hommes que
j’aime. Quand tu n’es plus en colère,
tes yeux semblent l’exacte volonté de la lumière (cette coïncidence de la
lumière et de la bonté, encore)
Ton écriture lente et fautive
pourrait démêler mes cheveux des maux de tête, casser les mottes dures de
mes idées, rougir le sang bleu des lettres. Tu mets des fleurs dans la
maison, tu les offres comme un voleur pour qu’il n’y ait pas de mot. Elle,
c’est ton poème, c’est toi qui l’as écrite belle comme ça, moi j’enterre
les oiseaux que je finis par tuer.
Fils de la terre et de la gentillesse, qui te
donne des baisers ?
Nous allons respirer le vent à la place des
chiens morts depuis le paysage nous oublie là et nos pensées dans nos
bouches font mine de rien.
J’ouvre cette
parenthèse parce qu’il est monté sur le tracteur pour rejoindre un soleil.
L’image n’en est pas une, mais il n’y en avait pas pour cela. J’aurai donné
dix perdrix.
Tu
prends un pan de l’espace et tu tires le monde en nage indienne, un grand
rideau de mer accroché à ton épaule relie les vignes à l’atlantique. Les charrettes se souviennent du chemin de
cailloux, même les chiens de chasse suivent la piste de la mer. La joie
dégringole de l’après-guerre, les ribambelles de cousins, les victuailles,
le cheval et une jeune fille.
Nous nous sommes dit
les dunes contre l’océan et la clairière du milieu, dites grand-père, entre
l’air et la terre avec votre bêche ou votre fusil quelle centaine de lieux
avez-vous ouverts ? existe-il d’autres espaces que ceux de l’image à
l’orée enfuie ? Ce jardin de roses et de pivoines rouges où les ronces
procèdent des nuages où les âmes frôlent les mauvaises herbes.
Comment dire quand tu
es tout en haut de l’échelle si tu es grand ou petit, toi, l’enfant égaré
dans l’âge des femmes. Les bois se déroulent jusqu’à l’océan de tes
tourments mais l’invisible cadeau de dieu signe tes consentements. Un jour,
nous aurions le même âge dans les vignes et aucun épagneul ne serait mort.
Peur que tu ne tombes la nuit dans les cuves
d’angoisse ça fait des coups de pierres dans le corps et tu t’en fracasses une
là quand le jour se lève dans le fond de la gorge à éructer contre ce
bordel de Dieu et à cracher sur la vie qui recommence pour que ce putain de
dieu t’entende.
Tu traites ta chienne de salope et je
tourne autour de toi comme une planète folle.
Tu dis que c’est triste que ça restera comme ça
le cochon ! tu te gonfles comme un animal peureux aux pattes rousses,
aux boucles brunes.
Tu gueules contre les bêtes pour prier Dieu, tant
de mères nous ont fait des promesses, elles qui dorment si peu et coupent
la tige des roses au non-dit de l’amour.
Je m’allonge contre ta
voix, n’écoute pas tes plaintes jonchées de mouchoirs blancs et de morceaux
de sucre qui roulent sous mes yeux.
Fleuve mortel et bleu
là-bas dans mon soleil, papa ta voix, nos voix
Il y a un puit dans ton
oreille
Une jeune maladie
Ce creux en toi d’où
remonte les colères lointaines de la mer
Le lait douloureux
d’une écharde sombre
Mon jeune homme
Attend le temps qui ne
passe pas vite
Le bruit de la porte du
langage, le temps qu’il faut pour qu’il soit enfin là
Je fais semblant de ne
pas t’entendre
J’ai tout préparé
Parce qu’ils gueulent
comme des veaux, parce qu’avec toi on ne sait jamais rien que c’est
toujours vite vite parce qu’y a jamais rien à la télé et qu’on ne comprend
rien à ce que les femmes disent.
On va tout foutre en
l’air ! Et ce con de toubib !
Devant la maison, les
herbes ne bougent plus, ne sont pourtant pas mortes, ne sont plus belles,
plus que ça, bientôt plus
un matin tout est déjà fini les vendanges la
vigne et les vaches la dernière
palombe la chemisette bleue et
travailler que ça va tout
doucement une clairière dans le
cœur et bien fermer les portes
tes bêtises et toute la tristesse
le sulfate de cuivre la chaux morte et un tas de fumier ne rien dire un matin les papiers les
faisans ta mémoire et novembre que tu me seras toujours venu en
aide tes pantalons en velours
l’usine et les 3/8 radio Monte-Carlo
ton genou qui te fait mal que tout ce que tu manges te donnes la
colique partir à la chasse la
bourse venir vieux et un seul amour
cette grande baraque tu te
tais la météo les bottes et les
pardons le sucre roux que je t’ai
emmené en voyage ton Lexomil un
matin 5 minutes tout est déjà fini ta voiture tes doutes tes tendres
retours la confiture
d’Intermarché la viande du boucher et ta culpabilité le pain la banque ta solitude le moins
possible pour ne pas trembler l’odeur du chai attendre depuis longtemps
attendre le téléphone ce qui ne vient pas ce qu’on ne veut pas qu’il arrive.
Je t’aime
mes papas
Tout est toujours trop
Tout te rend malade
Je
l’aime
La mort c’est-pas-te-revoir est ma mort
Les oiseaux renversent le ciel dans le piège qui
est ta terre
Parce que ça continue et que ça ne continuera
pas
Les pluies tendres de l’enfant été entrent à pas
feutrés dans la douceur du bois d’automne, ses doigts enroulent les mèches
noires de tes cheveux nous roulons dans la forêt elle sait qui est mort qui
se marie et où cueillir les champignons je ne sais plus combien nous sommes
mais nous roulons vers la neige vers la mer. C’est une architecture vaillante comme toi, elle
abrite l’eau noire et confuse, la langue bleue, les médailles en or. La
croix se briserait en petits morceaux de prières, en chaînes mélancoliques.
C’est la nuit, la porte agile du cœur après le jour, le ciel éteint d’un
bras dont l’intention s’ignore. Je suis cette enfant qui ne devait pas
entendre. Mes vengeances désordonnées, nos mariages
intérieurs, mes cours de justice puis l’onde de choc qui brise les caveaux
et l’eau qui s’infiltre jusqu’à la fleur des morts, c’est un tel secret
dans la nuit tressée de tes bras où dort tout ce qu’il en a été du soleil.
Si tu ne veux plus de tes rêves, qui les habitera ?
Je suis née dans une odeur de satin sombre et
douce aux arabesques brunes, celle du ventre des grives que tu as tuées,
ton odeur est le rêve dont je ne sors plus.
Ton fusil à l’épaule, rompu
Arcs perdus à cours d’été
Aller vers ce qu’il y a
Dans le sens que la pluie chasse
Et faire demain
Un seul arbre est en avance sur le vent du soir,
il tremble déjà
Le linge s’est pendu près de la cuisinière à bois
Ouvrier c’est mieux que paysan
Que le silence, tout ton silence
Les morts sont là et c’est si bien, ils ne
bougent plus de leur vie.
Un couteau repose près d’un quartier de pomme
La maison a tué ses petits veaux, vendu ses
grappes de raisins et ses morceaux de pêches, dépecé ses dernières bêtes.
Nous déjeunions à l’ombre du noyer. Les raisins mouraient parfois dans
l’eau close de ton vin. Je suis là, trop près, je ne vois plus ni
l’Espagne, ni l’alliance à ton doigt. Le temps s’est arrêté longtemps, pas
si longtemps avant de te tuer.
©Muriel
Couteau Mauger
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